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Opinions

Chronique: Dans la peau d’un traducteur

Web-Rotonde
3 février 2017

Alexandre Henoud – contributeur
Étudiant en traduction et en philosophie
Université d’Ottawa 

La profession de la traduction est un domaine qui évolue peu à peu dans le monde via la mondialisation. Depuis l’antiquité grecque, cette profession a vécu beaucoup de phases dans l’histoire de l’humanité, notamment celle relative à la philosophie arabe qui a pris racine des textes de Platon (comme Plotin, un philo­sophe du IIème siècle après J.-C.) et ceux d’Aristote (Aver­roès, très connu dans la Rome antique au XIIème siècle après J.-C.). Le savoir des traducteurs de Bagdad se transmettait de génération en génération, car ce métier était considéré artisanal générant des textes grecs traduits vers l’arabe.

C’est ainsi que la profession de la traduction était considérée comme artisanale. Alors, quelle est l’approche du traducteur à l’ère du numérique? Que ressent-il face à cette avancée technologique, pour ne pas dire robotique? Ces questions se posent de nos jours et surtout chez les jeunes qui ressentent une hantise post-diplômée, à savoir : « Serais-je le prochain dans la liste de licenciement? » Il est donc essentiel, d’une part, de se concentrer sur l’idée régulatrice du traducteur qui, dans ce monde commercial où le profit fait office de statut hiérarchique des entreprises les plus rentables sur le terroir économique, se perd dans la ferveur de traduire avec créativité, et d’autre part, la place du traducteur dans le futur proche, soit améliorer la considération que le traducteur met en œuvre pour le service de traduction demandé.

L’idée régulatrice du traducteur qui se perd dans la ferveur de traduire avec créativité, revient à dire que le rapport de force entre la langue de départ et la langue cible apporte une dominance linguistique sur l’autre (marketing commercial), un fil conducteur historique d’un pays bilingue (le Canada) et plusieurs domaines de traduction (littéraire ou autre) ; de plus, la place du traducteur dans le futur proche demande un examen de conscience dans le développement de soi

en tant que traducteur, soulève l’enjeu de licenciement, et remet en question le numérique avec la traduction robotisée de l’anglais vers le français au sein du gouvernement.

De nos jours, la demande de services en traduction coule de source. La mondialisation tend à obliger le traducteur à retranscrire les idées de l’auteur à l’image de la langue cible, soit une image culturelle (faits sociaux), langagière (expressions idiomatiques), politique (visage local), touchant les pensées de la langue maternelle. La dominance linguistique se propage avec l’occidentalisation et les pays riches sur les pays pauvres voisins. Certes une domination, mais quel est le moteur qui a conduit à cette dernière? Après la Deuxième Guerre mondiale, apparut dans les pays développés une excentricité de consommation, surtout qu’après le plan Marshall, le plan capitaliste annonçait la prospérité comme confort pour tous. Du coup, la mondialisation roule à plein flot et tourne plus vite que la Terre. De ce fait, pour comprendre les services et les produits d’une entreprise, la langue de départ pourrait être ressentie comme une dominance linguistique des histoires guerrières passées, ou même du colonialisme comme celui du Japon s’alliant au Royaume-Uni pour envahir la Chine via le marché de l’opium. Pouvons-nous donc dire que la dominance linguistique, qui était auparavant le français, comme langue noble et diplomate, est le surplomb commercial pesant sur le monde généré par l’occident? Prenons l’exemple de l’Allemagne avec la marque automobile Volkswagen : dans chaque publicité, la culture occidentale apparaît à pignon sur rue et aussi dans des évènements que tout le monde a au moins vécu dans sa vie, et se termine par : « Volkswagen, das Auto ». Voilà déjà ici, une parfaite illustration d’une langue germanique qui essaie de s’incruster, pour ne pas dire s’enraciner, dans les autres pays du monde ; d’ailleurs, les slogans peuvent être traduits, mais lorsque la notoriété de l’organisation prend de l’ampleur, ses services et produits doivent être à l’image des racines du pays et le sociolinguistique joue un rôle important dans cette mondialisation. Le traducteur est donc tiraillé entre la culture de la langue de départ et la langue cible, car il doit garder le fond en changeant la forme.

L’esprit du bilinguisme est toujours présent. À l’époque de Lahontan, dans Dialogue avec un Sauvage, il a bien fallu un bon entendement entre les autochtones et les « blancs ». Pour comprendre une culture, il faut connaître la langue, car la reconnaître est prendre connaissance du relativisme culturel. Travail ethnologique de la compréhension culturel amérindienne, les interprètes et traducteurs sont les piliers de la conciliation et des négociations surtout dans la diplomatie. En outre, une bonne entente s’est installée entre « Francs » et « Sauvages ». Beaucoup de faits historiques se sont déroulés par la suite dans cette chronologie, puisque les « Anglois » et les « Francs » sont devenus par la suite les colonnes du Canada.

Tous les textes gouvernementaux, judiciaires, législatifs ont été traduits, et les démarches constitutionnelles sont allées de l’avant. La traduction tient les rênes du bilinguisme national, elle est la raison d’un pays unissant les deux langues que le fil conducteur historique aura du mal à s’en défaire. Le défi est d’équilibrer la dominance linguistique dans les deux communautés pour stabiliser les rapports de force langagiers.

Le domaine de traduction choisi est une ouverture vers de nouveaux termes spécifiques, par exemple « cock » est le coq de la pendule alors que dans le langage courant, la définition est toute autre. Le point positif est que l’éventail de domaines proposés est une richesse de recueil de mots, que ça soit au Bureau de la traduction ou en tant que pigiste. Quel domaine choisir? Le monde du cinéma, l’agriculture, l’armée, l’informatique et autres, montrent l’ambition de percer l’abcès pour une juste reconnaissance. La connexion est donc bien établie en espérant de joindre les deux bouts pour compléter la traduction d’une messe par exemple.

Les traducteurs ont un réseautage leur permettant de demander de l’aide et de départager la tâche à plusieurs personnes pour traduire un texte de dix mille mots. Beaucoup de traducteurs se sont plaints au Bureau de la traduction, car les traductions automatisées dans le gouvernement vont causer de profonds dégâts : d’une part, la valeur francophone serait en ligne de mire, car presque toutes les traductions automatisées, au sein du gouvernement, seraient de l’anglais vers le français, et d’autre part, la dominance linguistique est certainement un trait de caractère dans le monde de la traduction, puisque citant Jean Delisle dans Le Droit, « la langue de l’administration fédérale est rapidement devenue l’anglais, promue au rang de “langue nationale”, a qualifié Charles Le Blanc. ». Quelle est donc la place du traducteur dans le futur proche?

« Il fallait bien que quelqu’un aille au bâton parce que les traducteurs ont peur de parler, parce qu’ils sont fonctionnaires. », disait Charles Le Blanc dans une entrevue avec Le Droit. C’est bien là tout l’envers du décor. Comment ressent le traducteur face à cette menace? La majorité des étudiants au programme de traduction n’a pas un chemin tout tracé ou n’a du moins pas encore établi une carrière professionnelle après le diplôme obtenu. Tout se joue sur le fait que le traducteur, lié à la mondialisation, a l’enjeu de se prévaloir dans le marché du travail. En outre, la concurrence de chaque demandeur d’emploi dans le domaine de la traduction ajoute un double stress, à savoir : « Vont-ils m’embaucher? » et « Serais-je le prochain dans la liste de licenciement? »

Dans « La traduction : une profession en évolution », Ann Rutledge explique que « les agences européennes et américaines entraînent une chute des tarifs [et i]l se trouve même de nombreuses entreprises canadiennes qui n’hésitent pas à faire traduire leurs documents au Maroc ou en Inde pour une fraction du prix moyen exigé au pays. » .

De ce fait, la mondialisation affecte le savoir-faire traductionnel canadien qui est visé et mis en péril, car le rapport qualité-prix ne peut que compromettre une qualité rédactionnelle et linguistique ; la grande majorité des traducteurs possède un diplôme en traduction et est certifiée par des bureaux d’agrégation comme l’ATIO (Association des traducteurs et interprètes de l’Ontario).

Comme vu précédemment, la fièvre traductionnelle automatisée (ou robotisée) à l’ère numérique est juste un tremplin pour faciliter les échanges : « Ce sont tous ces acquis que la direction actuelle du Bureau, composé majoritairement d’anglophones, risque de compromettre […] par son intention d’implanter un logiciel de traduction automatique à la grandeur de la fonction publique. », a écrit Delisle. Un autre souci de la traduction automatisée comme Google Translate (Bing Translate et autres) lorsqu’un festival galicien traduit du portugais « A feira do grelo de As pontes » à l’espagnol « La feria de los Puentes clítoris » : « Selon le porte-parole de la ville, Monserrat Garcia, Google Translate, ne reconnaissant pas le mot galicien “grelo”, l’a assimilé avec le mot portugais “grelo”, qui se traduit en castillan par clitoris. »

L’erreur de traduction est fatale et le traducteur est toujours visé comme une proie facile, d’où le souci constant de se relire et de réviser une rédaction.

En conclusion, le traducteur doit générer considérablement un travail de qualité et l’entraide est très appréciée. Il est bousculé par le phénomène de mondialisation et arrive difficilement à se trouver. Il est important de conserver les colonnes du Canada pour maintenir le toit du bilinguisme et à ce pas, la dominance linguistique s’estompera. Le chemin numérique est utile pour faciliter la gestion du temps, mais il ne remplacera jamais le travail rédactionnel et linguistique. Chaque étape a son importance et le traducteur est le seul qui peut changer la donne.

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