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Opinions

Dénoncer l’État islamique et la violence policière d’un seul souffle?

Web-Rotonde
8 décembre 2014

Les dénonciations sont une manifestation de l’indignation générale, des signes vitaux d’une conscience collective. Presque 15 ans après les attentats du tournant du siècle et environ 15 générations depuis les États-Unis esclavagistes, cet activisme du « pas en mon nom » sert-il à se laver les mains d’une cause ou de s’y engager?

Le silence équivaut à la complaisance : deux poids, deux mesures?

Depuis la résurgence des conversations portant sur le terrorisme et l’extrémisme, on a vu beaucoup de voix s’élever, surtout musulmanes, aidées par la facilité de diffusion déployée par le World Wide Web, pour dénoncer les actes de violence d’extrémistes donnant allégeance à un leader inconnu, ayant une force armée non-estimée, dans un locus approximatif (malgré le nom indicatif). Ces dénonciations ont été fortement critiquées pour la présomption qu’elles portent : les musulmans occidentaux doivent, à chaque occasion, expliciter, même épeler sur un morceau de carton, qu’ils sont des personnes pacifiques qui ne prennent pas plus goût aux décapitations que leurs concitoyens.

L’affaire de Michael Brown, suivie de celle d’Eric Garner, a provoqué tout récemment des vagues sur les écrans, aussi bien que dans les rues. Depuis qu’a été élevée la bannière statuant que « silence équivaut à la complaisance », il en a été fait un slogan que beaucoup de Blancs ont adopté face à un inconfort d’engager dans des discussions sur le racisme, rendu évident par le discours du « All Lives Matter », ainsi que celui du « Criming While White ». Serait-il plus acceptable de demander aux Blancs de dénoncer le racisme et la violence policière que de demander aux musulmans de dénoncer ISIS et compagnie? Pourquoi?

La cause élue des médias et des politiciens : du pareil au même?

Malgré l’âge de l’oppression des Noirs américains, la maturité médiatique n’a pas suivi. Plus les médias en parlent, plus il y a perpétuation de stéréotypes des jeunes hommes noirs comme étant nés avec le gène du crime. Alors qu’il y a médiatisation des activités de « gangues » et d’activité criminelle dans les cartiers noirs du pays, les incidents de violence policière qui causent la mort d’un Noir toutes les 28 heures d’après un rapport sur la brutalité étatique aux États-Unis, récent de 2012, sont énormément sous-représentés. À cela s’opposent la sur-médiatisation et le soulèvement d’émotions fortes des actes aussi brutaux, entrepris par des mains plus basanées et nantis d’une touche de barbarisme. Bien que les victimes de ce groupe auto-proclamé « État islamique » ont d’abord été des musulmans et des moyen-orientaux, les images les plus répandues d’exécutions sont celles d’étrangers journalistes, humanitaires, Blancs. Il y a là des liens à faire, sans le moindre besoin de puiser dans le conspirationnisme, étant donné que le racisme n’a pas besoin d’être accompagné d’une mens rea pour être entaché de culpabilité.

Au-delà de l’évident service que rend le terrorisme et son inflation à l’industrie de la guerre, des avions combat CF-18, et de la machinerie de sécurité, il y a multiplication des sommes d’argent versées dans les initiatives de sécurité allant du financement des institutions de surveillance au financement de la recherche et des initiatives populaires anti-extrémistes. Cette attention est incomparable à ce que reçoivent les initiatives anti-oppressives qui sont entreprises souvent gratuitement par ceux qui n’ont pas le privilège de choisir entre l’affront de la cause et le fait de s’en évader.

Enfin, ce qui illustre le plus clairement la différence entre la dénonciation qu’on sollicite des musulmans et la dénonciation que l’on demande aux Blancs est qu’alors qu’un de ces groupes profite de la situation de déséquilibre socio-économique qu’apportent les structures racistes, l’autre souffre d’une représentation erronée de ce que leur foi motive.

Par ce survol des distinctions fondamentales du contexte de dénonciation, on voit que celle-ci vaut beaucoup dans le cas d’un manque de critique des appareils oppressifs dont sont coupables nos sociétés que dans le cadre d’une obsession du décri constant d’une menace internationale. Il est aussi évident que puisque la pression de dénoncer se fait à l’égard de strates foncièrement distinctes dans leur privilège, en occident et dans un contexte Nord-Sud, l’une est plus facilement accablée par un tel fardeau.

– Assma Basalamah, étudiante en droit civil

 

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