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Sports et bien-être

Entrevue: Camille Bérubé, l’athlète au regard lucide

Web-Rotonde
5 décembre 2016

Par Khady Konaté

Camille Bérubé impressionne, c’est le moins qu’on puisse dire : athlète de haut niveau en natation et étudiante en communications et études des femmes à l’Université d’Ottawa (U d’O), la jeune femme de 21 ans s’impose une vie disciplinée qui force l’admiration de l’étudiante lambda moyenne. La Rotonde s’est entretenue avec cette athlète passionnée, qui en a long à dire sur les différents aspects de son parcours.

La Rotonde : Ta carrière d’athlète au niveau professionnel a débuté il y a assez longtemps. Peux-tu tracer les lignes de ton parcours jusqu’à maintenant?

Camille Bérubé : J’ai commencé la natation compétitive à l’âge de 9 ans, simplement pour m’impliquer dans un sport. À l’âge de 13 ans, j’ai atteint les standards nationaux. Je me suis rendue à ma première compétition internationale, à Edmonton. Je m’y suis qualifiée pour le Championnat du monde [de natation]. J’avais 14 ans lorsque j’ai intégré l’équipe nationale. Depuis lors, j’en ai été membre à chaque année. J’ai participé à trois Championnat du monde, aux Jeux paralympiques de Londres en 2012 et à ceux de Rio cette année. J’ai aussi pris part aux Jeux parapanaméricains à Toronto en 2015, où j’ai été nommée capitaine de l’équipe, ce qui reste très spécial pour moi. Ça, c’est aussi sans compter toutes les heures d’entraînement!

LR : Tu reviens tout juste d’un camp d’entraînement et d’une compétition qui ont eu lieu en Floride, et juste avant ton départ avait lieu la grande cérémonie réunissant tous.tes les athlètes d’Équipe Canada des Jeux de Rio. En quoi ton expérience à Rio a-t-elle été différente du reste de ton parcours?

CB : À la base, je ne m’étais pas qualifiée pour les Jeux au mois d’avril. Ça avait été vraiment difficile : c’était comme une encoche dans mon parcours et c’était un objectif pour lequel je travaillais depuis  4 ans. Sauf que le vent a tourné au mois d’août : on apprit que la délégation russe avait été bannie des Jeux à cause de la polémique de dopage. Les autres pays ont donc pu avoir plus de places pour leurs délégations. Au Canada, 7 athlètes de plus, tous sports confondus, ont pu se joindre à la délégation des Jeux paralympiques. J’étais la seule femme sur les 4 athlètes retenu.e.s en natation. Ça a été différent parce que je n’ai pas eu le temps de faire tout le processus de préparation et de réaliser ce qui allait se passer : entre le jour où la nouvelle est tombée et le jour où j’ai coursé, seulement 17 jours s’étaient écoulés! Ça a été une belle expérience d’apprentissage, comme à Londres d’ailleurs, mais il a fallu que je fasse preuve de résilience.

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LR : Comment est-ce d’être une athlète qui ne cesse de monter les échelons à un si jeune âge et d’avoir à tout conjuguer?

CB : Ça demande énormément d’engagement. C’est comme un travail, sauf qu’il s’agit de ma passion, alors ce n’est pas du tout pénible! Sinon, plusieurs athlètes et moi avons le support d’une grande équipe de professionnels (entraîneurs, physiothérapeutes, psychologues, etc.) autour de nous. Je suis affiliée à l’un des programmes de  l’Institut national de sport du Québec qui se trouve à Montréal, donc une semaine sur deux je dois m’y rendre. C’est aussi le seul endroit au Canada où il y a un centre d’entraînement pour les athlètes paralympiques en natation.

LR : Tu évoquais plus tôt la résilience. Dans quels autres aspects de ta vie as-tu à faire preuve de résilience?

CB : D’abord à l’école. Je suis étudiante-athlète, et je fais aussi partie de l’équipe universitaire des Gee-Gees. Je dois aussi jongler avec ça. La résilience scolaire comme telle est très reliée à la pratique de mon sport : je manque souvent des cours en raison de mes camps d’entraînement. Il faut que je sois capable de communiquer avec mes professeur.e.s et rattraper la matière que j’ai ratée. Il y a aussi les défis avec lesquels je dois composer avec la réalité d’être à l’université.

LR : Tu dois aussi composer avec une situation de handicap. Qu’as-tu à en dire par rapport à l’accessibilité sur le campus de l’U d’O?

CB : C’est un défi au quotidien. Il y a les infrastructures : le trois quart du temps, il y  une option d’accessibilité, encore faut-il que je sache où elle se trouve. Par exemple, à Montpetit, il existe une rampe d’accès, mais pour me rendre à Vanier, il faut que je traverse d’abord Lamoureux. Je suis inscrite au Service d’accès, donc ça aide. Mais ça a aussi ses limites : il y a des locaux non-accessibles comme à la résidence Thompson et à Hagen. Quand les locaux de mes cours sont  non-accessibles, ça prend au moins deux semaines avant que les changements de locaux deviennent effectifs, parfois plus, car en début de session, les cours peuvent parfois changer d’endroit pour d’autres raisons, et tout est à recommencer. J’ai déjà dû attendre jusqu’à la mi-session pour pouvoir assister à mon cours!  

Il y aussi le problème de stationnement accessible : il n’y en a pratiquement plus sur le campus depuis que celui qui faisait face à Montpetit a disparu. Je ne peux pas prendre le transport en commun, ni le Para-Transpo : je suis obligée d’avoir une passe de stationnement, ce qui coûte les yeux de la tête. Pour une étudiante, 1600 $ par année, ce n’est pas réaliste!

LR : Comment parvenir à faire bouger les choses à l’U d’O, alors?

CB : C’est très difficile. D’abord, les programmes sportifs universitaires ne sont pas conçus pour accueillir des athlètes paralympiques. Il a fallu que mon entraîneur et moi nous battions pour que je puisse intégrer l’équipe des Gee-Gees. La valorisation des athlètes paralympiques est déficiente. Les infrastructures sont parfois inaccessibles : le nouveau gymnase réservé aux athlètes des Gee-Gees se trouve dans les donjons, et la seule façon de s’y rendre, c’est en empruntant quelques 50 marches… C’est une bataille constante, même si je me plais au sein de l’équipe. Le système universitaire en natation est très axé sur la performance. C’est clair que je rapporte moins de points à mon équipe qu’un nageur de 6 pieds avec une pleine capacité d’usage de ses jambes! Avec l’expérience que j’ai,  je suis aussi un atout pour l’équipe par mon leadership, mon éthique de travail, ma perspective – et tout ça n’est malheureusement pas pris en considération.

À tous les niveaux, vraiment, il faut que les gens changent leurs mentalités et leurs attitudes pour favoriser l’inclusion et la reconnaissance de la diversité. Je suis aussi d’avis que le rôle des personnes handicapées est de faire une différence concrète en démystifiant le handicap et en prenant le temps et les occasions pour en parler. C’est le meilleur moyen pour briser les mentalités et les obstacles liés au handicap!

Le 3 décembre 2016 avait lieu la Journée internationale des personnes handicapées, proclamée par les Nations Unies et célébrée depuis 1992. Apprenez-en davantage ici : http://www.un.org/fr/events/disabilitiesday/

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