Inscrire un terme

Retour
Opinions

Être un acteur moral

Web-Rotonde
11 avril 2016

Être un acteur moral

L’argument présenté par monsieur Pilon dans la dernière parution de La Rotonde est fort intéressant. Comment peut-on définir « quelles vies comptent, quelles vies ne comptent pas »  de manière à inclure les êtres humains et exclure les animaux?

Toutefois, monsieur le rédacteur passe d’emblée une prémisse implicite. Il affirme qu’il est primordial que notre schème éthique inclue « tous les êtres humains ». Mais est-ce vraiment le cas?

Il semble que nos engagements éthiques diffèrent en fonction des individus. On prend soin de nos proches (nos enfants, nos parents, nos amis), mais pas nécessairement des inconnus. De plus, les droits qu’on accorde changent en fonction des individus auxquelles on les accorde. Par exemple, on donne le droit de vote aux citoyens, mais pas aux touristes.

Mais l’exemple le plus pertinent de gens à qui l’on n’étend pas certains droits est sans doute les criminels. Liberté de circulation et d’établissement, liberté d’association, sécurité de la personne : ce sont des droits garantis par la Charte canadienne. Pourtant, ils sont refusés aux meurtriers, aux violeurs et aux pédophiles.

La logique derrière cette réalité est que la « communauté morale », comme vous l’avez appelée, joue dans les deux sens. Pour recevoir ses bénéfices, il faut aussi y participer activement. Il faut être ce que j’aimerais appeler un « acteur moral ».

Mon chat, aussi intelligent soit-il, n’agit pas selon des principes éthiques. Je peux l’entrainer à coup de vaporisateur d’eau et lui apprendre de ne pas monter sur le comptoir. Mais s’il évite d’y trainer ses pattes, ce n’est pas par soucis du bien commun, mais plutôt par conditionnement et peur des conséquences.

En conséquence, voici le critère que je propose pour définir ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas. Les acteurs moraux qui participent activement à la communauté morale comptent, les autres non.

J’attends votre réponse avec impatience,

– Daniel Lemieux

Réponse du rédacteur

Cher monsieur Lemieux,

Je vous remercie tant pour votre intérêt dans mon éditorial que pour l’effort de pensée de votre lettre. C’est précisément ce genre de réponse que j’espérais recevoir.

Votre argument est en fait un syllogisme qui repose sur deux prémisses. D’un côté, vous affirmez que les individus qui ne sont pas des acteurs moraux, ne méritent pas de droits. De l’autre, vous postulez que les animaux ne sont pas des acteurs moraux. La conclusion suit de soi.

Pour contrer l’argument, il me faut que défaire l’une de ces prémisses. Toutefois, il me semble que les deux sont tout aussi problématiques.

D’un côté, si vous définissez l’acteur moral comme quelqu’un qui « agit selon des principes éthiques » ou « par souci du bien commun », alors bien des êtres humains seront exclus.

On peut penser, encore une fois, aux jeunes enfants qui n’ont pas encore développé une conception éthique. L’empathie commence à s’apprendre environ à 4 ans, mais la notion du « bien commun » vient encore plus tard. Ensuite, les gens atteints de troubles cognitifs sévères n’auront surement jamais cette capacité. Devrait-on alors les dépourvoir de droit et disposer de leur corps ou de leur vie comme bon nous semble?

Même l’exemple du criminel n’est pas sans accrocs. Oui, on enferme en effet les criminels en prison, par souci de punition ou de prévention, mais on leur accorde tout de même des droits. Ils ont recours au système judiciaire, droit aux services médicaux, droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités, etc. Ils peuvent même voter. Il serait absurde de suggérer qu’on traite les criminels comme du bétail : engraissé et incapable de bouger dans leurs propres excréments, pour ensuite les tuer et distribuer leur viande.

Mais il ne faut pas non plus sous-estimer les animaux. Dire que leurs actions n’ont catégoriquement aucune dimension morale est inconsistant non seulement avec la recherche dans le domaine, mais aussi avec nos interactions journalières avec nos animaux de compagnie.

Les animaux dits « sociaux » observent des codes de conduite complexes qui contribuent au bien-être de la meute. Combien d’animaux reconnaissent la souffrance d’autrui et modifient leur comportement en conséquence? Même les rats cessent d’utiliser un levier à nourriture lorsqu’il cause de la douleur à un autre. Et combien d’animaux – dauphin, éléphants, oies, gorilles, etc. – pleurent la mort de leurs proches? Lorsque l’on pense au chien de famille, toutes ces caractéristiques sont pourtant évidentes. Alors pourquoi penser différemment des autres animaux?

Bref, même lorsque l’on parle « d’acteurs moraux », il semble que la démarcation entre animal humain et animal non humain demeure tout aussi floue.

– Didier Pilon, rédacteur en chef

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire