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Éditorial

Guerre au terrorisme : l’U d’O veut former l’élite

Web-Rotonde
15 septembre 2014

Édito
-Par Le Comité éditorial de La Rotonde-

Illustration:Andrey Goose

Former l’élite des décideurs sur les thèmes de la cybersécurité et des enjeux géopolitiques, c’est ce que l’Université d’Ottawa (l’U d’O) tentera de faire avec le nouvel Institut en politiques et sécurité. L’initiative a été justifiée en affirmant qu’il est nécessaire de se prémunir des « menaces qui nous guettent », une phrase qui détonne du calme imperturbable qui occupe la vie universitaire.

Le campus a été décrit par le Centre de développement professionnel comme un lieu de prédilection pour une telle initiative, car il représente un endroit apolitique, où les connaissances peuvent être enseignées de façon neutre. Mais le vocabulaire employé par l’institution met de l’avant la présence de menaces et ramène à une approche bien ancrée dans les politiques étrangères de certains pays. Dire qu’il faut se battre contre des menaces, et former les décideurs pour qu’ils y réagissent, c’est aussi appuyer indirectement la guerre au terrorisme. L’apolitique est déjà disparu.

Souligner qu’il faut adopter des actions contre une menace qui nous guette, sans l’identifier clairement, c’est s’appuyer sur des préjugés qui sont véhiculés dans la société occidentale sans faire de véritables efforts pour comprendre les causes mêmes de la situation. L’Université est l’un des espaces où doit se développer une connaissance critique sur ces sujets, et il est crucial de conserver cette neutralité.

En septembre dernier, le magazine canadien Affaires universitaires soulevait les liens entre des membres de l’industrie militaire et les universités nord-américaines, écrivant qu’elles « sont malheureusement devenues [de façon directe ou indirecte] des partenaires de choix de sociétés comme Lockheed Martin et Northrop Grumman, qui fabriquent des drones armés, des avions furtifs F-35 et des armes nucléaires. » Des décennies après que les liens entre l’industrie et l’armée soient dénoncés, c’est maintenant les universités qui doivent être mises sous la loupe, expliquaient les auteurs du texte intitulé « Universités canadiennes et armes nucléaires – un appel ».

Aucune consultation de la communauté universitaire n’a été accomplie avant la mise sur pied du programme. Officiellement, la consultation n’était pas nécessaire, puisque les formations sont transmises par le Centre de formation continue. Ainsi, il n’y avait aucun besoin d’approuver l’initiative au Sénat de l’U d’O. La communauté universitaire a donc été informée de la création de l’Institut seulement deux jours avant le lancement officiel. L’Université n’a pas jugé important de questionner la communauté sur son désir de former une élite à lutter contre le terrorisme. L’avis de ceux qui le financent, qui paient leurs frais de scolarité semestre après semestre, ne semble pas avoir assez d’importance.

Les étudiants ont eu très peu d’information avant le lancement. Pourquoi craindre un processus plus transparent? Ceci nous laisse envisager que la communauté universitaire sera pauvrement informée sur ce qui sera enseigné. À moins qu’ils s’inscrivent à des cours coûteux et non crédités qui ne leur sont pas destinés, il sera très difficile pour les étudiants de savoir ce que l’Université présentera sur les menaces terroristes. Les connaissances seront transmises en fonction de quelles perspectives? Quels biais influenceront les cours? Ceci demeurera un mystère pour la grande partie (ou la totalité) d’entre nous.

Parmi les sujets de formation prévus, on est en droit de se demander ce qui sera enseigné dans des cours tels que celui de géopolitique intitulé « Les menaces terroristes au pays et à l’étranger ». Rappelons que ces formations sont destinées aux membres d’une élite qui pourra « renforcer les capacités de leur organisation », comme l’écrit le Centre de développement professionnel.

L’invité d’honneur au lancement du programme, George Friedman, spécialiste du renseignement militaire états-unien, a donné le ton à sa présentation avec une carte illustrant les pays entourant la mer Noire. Ce dernier semblait bien connaître l’emplacement des nations dont il faut se méfier, et il semblait juger que peu était nécessaire pour expliquer une telle approche. Espérons qu’une perspective plus critique sera de mise lors des formations mises de l’avant par l’Institut.

La cérémonie d’ouverture du programme, qui s’est déroulée au Château Laurier sous forme de banquet, a été financée par Symantec, une entreprise spécialiste des services de télécommunications. Cette dernière a été accusée d’avoir participé à la création d’un logiciel informatique utilisé par l’armée israélienne pour contrer le programme nucléaire iranien. Bien que les cours soient autofinancés par ceux qui s’y inscrivent, la polémique qu’a créée la présence de Symantec au lancement met de l’avant les risques que l’U d’O court en accueillant des partenaires privés pour discuter de terrorisme.

Il n’y a pas lieu à s’inquiéter, nous affirme le directeur de l’Institut, car on enseigne déjà ce genre de programme dans d’autres campus. Les grandes univer-sités du monde le font déjà, nous dit-on. Ne nous laissons pas distraire par de simples sophismes : la vigilance doit être de mise. Et puis, que gagne-t-on avec la présence d’un tel Institut ? S’il ne s’attaque pas aux racines du problème, il n’aidera en rien aux problèmes actuels.

En plus d’avoir ignoré la communauté universitaire sur la question, l’initiative de l’Université n’a pas été débattue ni au Bureau des gouverneurs, ni au Sénat. Qui a donc approuvée la présence de l’Institut à l’U d’O? Les étudiants ont droit à cette réponse. Le programme devrait être suspendu pour que la communauté étudiante et les instances décisionnelles s’expriment quant à sa pertinence sur le campus. Que l’U d’O entraîne des professionnels à faire face à des problèmes de sécurité ainsi qu’au terrorisme aura des conséquences importantes sur son indépendance et son objectivité. Occulter cette discussion pourrait avoir de graves répercussions.

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