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Kappy-Yuki dans le train (partie 4)

Secrétaire de rédaction
13 mars 2017

Labyrinthes

Par Gabrielle Tardiff

À la lueur de la lune, je l’ai suivi jusqu’à une ruelle sombre où il y avait un vieux banc de bois. Nous nous sommes assis et nous avons continué à parler. Je l’aimais de plus en plus parce qu’il avait beaucoup de patience avec moi parce que c’était vrai qu’il aimait les enfants. Je remerciais les dieux d’être tombée sur un être si gentil. La plupart des hommes que je connaissais au quartier de Tandaï, il me donnait un peu d’argent pour me toucher, et salut. Lui, il ne voulait rien de ça. Nous avons dormi blottis l’un contre l’autre et je me demandais s’il était légal parce que Sano, un ami de Jak me disait toujours « les gens légaux ne dorment pas dans la rue, y a que les renégats comme nous qui le font et c’est tant mieux. » Je me disais que les artistes se situaient peut-être au même niveau que les Yakuzas.

Alors que j’étais sur le point de m’endormir, il m’a demandé:

« Tu n’as vraiment pas de parents?

-Non. J’habite chez Monsieur Jak.

-Alors, demain je vais te reconduire chez Monsieur Jak.

-On ne peut pas. Il se cache. Et il m’a dit que si j’essayais de le retrouver, ça pouvait être dangereux.

-Avec moi, il ne t’arrivera rien. Je suis le plus agile manieur de sabre de la région. »

Il disait ça pour m’encourager, mais je n’avais plus ma naïveté de cinq ans.

« C’est pas beau de mentir.

-J’te jure que je maîtrise le sabre.

-Mais avec tes yeux, ça doit ne pas être évident. »

Il n’a pas répondu.

« Tu pourrais m’aider à retrouver Monsieur Jak?

-Oui. Si tu veux.

-Je l’aime beaucoup, Monsieur Jak. C’est lui qui m’a élevée. »

Je n’ai pas osé lui raconter toute mon enfance avec lui. Je me disais que ce Kawasu devait être quand même plus honnête que les Pushers de Tandaï et qu’il refuserait sans doute de m’aider à retrouver Jak s’il apprenait qui il était, parce que j’avais compris que les gens normaux détestent les gens comme moi et refusent toujours de venir en aide aux moins gradés qu’eux.

« Je t’aime bien, Kawasu. Je me sens moins seule avec toi.

-Moi aussi, je me sens moins seul avec toi. C’est drôle que je te dise ça, non? D’habitude, les gens de mon âge sont bien entourés. »

C’était vrai. Jak avait réussi à unir comme jamais les catacombes de Tandaï, et nous y étions tous copains, prêts à défendre les autres avec nos vies. Nous avions besoin les uns des autres pour survivre à la société, c’est Sano qui disait ça. Peut-être que les gens honnêtes n’ont pas besoin des artistes aux yeux croches.

« Demain, tu vas t’en aller?

-Je ne sais pas. J’étais censé me rendre à une falaise près de Yuhanko pour y peindre un peu… ma vie n’est pas très mouvementée.

-Ce doit être amusant de passer sa vie à dessiner.

-Oui… Rappelle-toi ceci, Kappy : dans la vie, il faut faire ce qu’on a toujours voulu faire.

-Moi je veux écrire un manga. Je veux créer des héros qui feront de grandes aventures, comme Kosai.

-D’accord. Mais demain, nous commencerons par trouver Monsieur Jak.

-Et toi, qu’est-ce que tu vas devenir quand je l’aurai retrouvé?

-Eh bien euh… Je vais continuer ma vie, comme avant. »

Sa réponse me frustra beaucoup. Je ne voulais pas concevoir qu’il puisse poursuivre sa vie comme si de rien n’était après m’avoir rencontrée.

« Tu pourrais venir avec nous. Monsieur Jak a toujours besoin d’hommes autour de lui.

-Il fait quoi dans la vie, Monsieur Jak?

-Euh… c’est assez compliqué, mais il pourrait te payer.

-S’il n’a pas besoin d’un peintre, ça ne sert à rien. Je n’ai pas l’intention de changer de métier pour une question d’argent. Et si j’exerce mon art, c’est que je ne sais rien faire d’autre.

-Mais tu manies bien le sabre, il te prendra parmi nous.

-Nous? Vous êtes combien?

-Beaucoup. »

Là j’ai fait semblant de m’endormir. Grâce à ma sieste dans le train, je suis restée éveillée assez longtemps pour qu’il s’endorme avant moi. Il était beau, quand il dormait. Plus beau qu’avant, parce qu’avec les yeux fermés on ne voyait pas son défaut visuel. Je l’ai observé un peu, et je remarquais qu’il avait bel et bien la trame de Kosai quand on pouvait oublier son air maladroit. J’ai imaginé que je m’endormais dans les bras du grand Kosai, à l’abri de tout danger. Kawasu devait être juste un peu plus jeune que Jak, mais Jak ne me prenait jamais dans ses bras pour m’endormir, et ça me faisait bizarre de dormir blotti sur un homme. À force de faire semblant, j’ai dormi pour vrai.

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