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L’acceptabilité « scientifique et rigoureuse » de l’industrie pétrolière expliquée par Gattinger

Web-Rotonde
25 mars 2015

– Par Marc-André Bonneau –

Un nouveau partenariat de recherche qui vise à «amener le public à accepter et à soutenir le développement énergétique », inauguré les 4  et 5 mars par un colloque fermé au public, a attisé plusieurs critiques. La Rotonde s’est entretenue avec Monica Gattinger, coorganisatrice de la conférence et présidente du Collaboratoire de recherches sur les politiques énergétiques. Cette dernière nous informe notamment des « conditions pour atteindre l’appui d’une communauté » et du désir de l’industrie de s’associer à l’Université pour mener des recherches « scientifiques et rigoureuses ».

La Rotonde : Comment la conférence du 4 et 5 mars s’est-elle déroulée?

Monica Gattinger : On est très content avec la conférence. C’était l’évènement inaugural pour le projet Énergie Positive. Ce projet-là s’intéresse à toute la question de l’acceptabilité sociale dans le domaine énergétique. Ça devient un enjeu de plus en plus important de nos jours. Pas uniquement pour les  hydrocarbures, mais aussi pour les énergies renouvelables. Il y a plusieurs opposants aux projets comme les pipelines, les sables bitumineux, les gaz de schiste mais aussi les projets d’énergies éolienne, solaire, etc. Alors [l’acceptabilité] devient un enjeu de politique publique extrêmement important et complexe. C’est la raison pour laquelle le Collaboratoire de recherches sur les politiques énergétiques a décidé d’en faire une priorité pour les prochaines années. [Le Collaboratoire] veut mettre en contribution la recherche scientifique portant sur ces questions. Il s’agit d’une recherche-action, ce qui veut dire qu’on implique les partis prenants pour mieux définir les questions prioritaires et les pistes de recherches les plus prometteuses.

LR : Qu’est-ce que le Collaboratoire?

MG : C’est une nouvelle initiative qui relève du Cabinet du vice-recteur à la recherche [de l’Université d’Ottawa]. Je suis la présidente du Collaboratoire et il a pour mandat de se pencher sur des questions de recherches concernant les politiques énergétiques en Amérique du Nord, La question de l’acceptabilité sociale dans le domaine de l’énergie devient vraiment la question, de nos jours, qui est prioritaire en matière de recherche.

LR : Le Collaboratoire est-il financé par l’industrie ou l’Université?

MG : Le Collaboratoire est financé à même les fonds de l’Université. Le projet Énergie Positive est financé par le Collaboratoire, mais on a également été chercher des sources externes de financement pour ce projet.

LR : Quels sont les évènements à venir?

MG : Le projet Énergie Positive est d’une durée de trois ans. C’est un projet de type recherche-action. Ça veut dire que les évènements comme celui qu’on vient d’organiser alimente les recherches qui vont être entreprises. […] On est en train de rédiger un rapport de la conférence inaugurale, qui va être rendu public. Il va d’abord décrire les messages clés qui sont sortis de l’évènement et les prochaines étapes dans le cadre du projet. On a identifié quatre dimensions de l’acceptabilité sociale : la littératie énergétique et l’opinion publique, les communautés locales et les ONG, les communautés autochtones et, finalement, le fédéralisme et les relations intergouvernementales. On est en train de développer des projets de recherches dans chacune de ces dimensions et il va y avoir des évènements qui vont avoir lieu dans les mois qui viennent.

LR : Ces évènements seront encore organisés avec le Collaboratoire?

MG : Ce qu’il faut toujours garder en tête, c’est que ce sont des projets de recherches des universités. On met le focus sur les recherches scientifiques dans ce domaine. C’est une collaboration de recherche entre le Collaboratoire et Energy Policy and Management Center de l’Université Western. Notre raisonnement, c’est que les universités sont des lieux de recherche neutre, objective, crédible, rigoureuse, etc.

LR : Le rassemblement d’individus avec des intérêts communs pourraient-il nuire à l’objectivité de la rencontre?

MG : Pour l’évènement inaugural, on voulait vraiment rassembler un groupe assez restreint pour faciliter et favoriser le dialogue. Nous nous sommes limités à un groupe de 120 intervenants, uniquement sur invitations. Pour ce qui est des évènements à venir, il va y avoir des évènements beaucoup plus ouverts au grand public. L’idée c’est justement de faire en sorte que ceux qui veulent participer peuvent le faire. Pour l’ordre du jour de l’évènement inaugural, on a vraiment fait exprès de s’assurer qu’il y ait une représentation de tous les partis prenants. On n’a pas seulement réuni des compagnies qui ont des intérêts pour les hydrocarbures, mais aussi des compagnies comme ATCO, qui ont des intérêts pour le domaine de l’électricité. [On veut] s’ouvrir à d’autres sources d’énergie, incluant les sources d’énergies renouvelables. Pour avoir une représentation de tous les groupes, nous avons payé les frais d’inscription, de transport et d’hébergement des groupes qui sont moins bien nantis, comme les communautés autochtones, […] pour représenter le spectre dans le domaine de l’énergie qui a trait à l’acceptabilité sociale.

LR : Mais croyez-vous que de seulement rassembler des communautés qui sont déjà impliquées dans des projets énergétiques et des membres de l’industrie peut nuire à l’objectivité de la rencontre?

MG : Ce n’est pas un reflet fidèle des gens qui étaient dans la pièce. Non seulement dans la pièce, mais dans les panels également, on avait des gens qui ne sont pas des adhérents des hydrocarbures. Par exemple, des personnes comme la directrice exécutive de Clean Energy Canada […] ont permis de représenter tout le spectre du domaine de l’énergie et des diverses perspectives par rapport à l’acceptabilité sociale.

LR : Plusieurs étudiants qui ont consulté l’ordre du jour se sont indignés qu’on parle d’acceptabilité sans jamais aborder les conséquences concrètes qu’ont ces projets sur les communautés. Qu’en pensez-vous?

MG : Il faut d’abord prendre un petit recul par rapport au projet. Tout d’abord, l’énergie, on en a besoin. Que ça soit les hydrocarbures, l’énergie renouvelable, etc. Il n’y a pas une source d’énergie qui n’a pas de conséquences, que ce soit sur l’environnement, sur les communautés et ainsi de suite. C’est l’une des raisons pour lesquelles, comme chercheure, je trouve ce domaine passionnant. C’est un domaine de politiques publiques complexes puisqu’il n’y a pas de source d’énergie qui n’a pas de conséquences. Développer les énergies, ça veut dire faire des choix. Le but de ce projet-là, c’est justement de se pencher sur la question de l’acceptabilité sociale. Évidemment, ce n’est pas l’acceptabilité sociale à tout prix. C’est « quelles sont les conditions, que ce soit pour les communautés autochtones, les groupes environnementaux ou le Canadien ordinaire, pour développer les ressources énergétiques qui vont atteindre l’acceptabilité sociale? ».

LR : Dans l’horaire, la grande majorité des acteurs parlent surtout d’énergies non renouvelables. Il y a des acteurs très influents liés à l’industrie pétrolière. Croyez-vous que c’est vraiment un choix puisqu’on s’intéresse seulement aux ressources qui intéressent les acteurs présents?

MG : Je reviens à ce que je viens de dire : on ne s’est pas penché uniquement sur les hydrocarbures. […] Un des panélistes a annulé et par la suite on a pu aller chercher Chris Henderson. C’est un spécialiste dans le domaine de l’électricité, des projets renouvelables, avec les communautés autochtones. Il a travaillé avec plus de 200 communautés autochtones dans le domaine de l’électricité renouvelable. Ce n’est pas juste une conversation qui porte sur les hydrocarbures. […] Il ne faut pas oublier que le libellé du projet, c’est « Énergie Positive ». On veut mettre le focus sur « qu’est-ce qui marche? », « Qu’est-ce qui semble fonctionner? », « Quelles sont les conditions pour atteindre l’appui d’une communauté? ». Que ça soit une  communauté autochtone, locale, ou les Canadiens dans leur ensemble.

LR : Sachant que vous défendez l’objectivité du colloque et considérant que le Colloque est financé par plusieurs membres de l’industrie pétrolière, croyez-vous que le nom Énergie Positive donne une image positive à l’énergie pétrolière?

MG : Le choix du libellé essayait de mettre le focus sur un dialogue positif dans le domaine de l’énergie dans son ensemble. Pour revenir au début de notre conversation, on sait que le domaine de l’énergie devient de plus en plus politisé et qu’il y a de plus en plus d’opposition, non seulement pour les hydrocarbures mais également pour les énergies renouvelables. Cette question de l’acceptabilité sociale devient un enjeu majeur. On a besoin d’énergie, peu importe sa source. Donc l’idée du nom, c’est de symboliser le type de dialogue et d’activités qu’on souhaite favoriser.

LR : Existe-t-il une entente écrite sur le partenariat de trois ans qui lie le Collaboratoire à la Ivey school of management, sachant que ce dernier implique plusieurs questions financières?

MG : Il s’agit d’une collaboration de recherche. Alors que ce soit dans le cadre de ce projet ou dans le cadre d’autres projets de recherche, une entente écrite n’est pas nécessaire. Il s’agit de deux chercheurs, moi et Guy Holburn de l’Université Western. On organise et gère l’ensemble des évènements. C’est une collaboration, je ne pense pas qu’il y a de mot plus juste. […] Il n’y a pas d’entente formelle entre les chercheurs pour la plupart des collaborations de recherche.

LR : M. Holburn est président de la chair de recherche Suncor. Croyez-vous que ceci a une influence sur l’objectivité du colloque?

MG : Pas du tout. Les organismes [qui financent les chaires de recherches] sont très prudents et s’assurent que les titulaires de ces chaires n’aient pas de contraintes et ne soient pas influencés. [L’industrie] veut que la recherche soit objective, scientifique et rigoureuse.

LR : L’industrie a beaucoup à gagner en s’associant avec l’Université, justement à cause de cette image d’objectivité, de science et de rigueur. Mais croyez-vous que l’industrie utilise cette image pour augmenter l’acceptabilité de ses projets?

MG : J’espère que non. Moi-même, comme chercheure, je ne veux pas que mon objectivité et ma réputation soient biaisées par un projet financé, en partie, par l’industrie. Je ne me lancerais pas dans projet où ma crédibilité comme chercheure, ma réputation, ma légitimité et mon objectivité soient mises en question. La réponse c’est non.

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