Inscrire un terme

Retour
Actualités

Le déficit imaginaire : Allan Rock panique, l’Université essuierait-elle un déficit?

Actualités
7 mars 2016

– Yasmine Mehdi –

Il était une fois l’Université d’Ottawa (U d’O), l’Université qui, selon ses propres administrateurs, avait « plus de cash que Tim Hortons ». Tout allait bien dans le meilleur des mondes jusqu’au 6 janvier, date à laquelle le recteur de cette institution d’apparence prospère, Allan Rock, envoie un mémo pour annoncer à l’ensemble de l’administration que le déficit de cette année dépassera le 1,9 million approuvé par le Bureau des gouverneurs (BdG) pour atteindre les 7,6 millions, une augmentation de 533 %. Voilà tout d’un coup que l’Université est en situation d’alerte budgétaire, que des projets de construction sont suspendus et que les excédents des Facultés sont récupérés par l’administration centrale. Au milieu de la cohue, un homme appelle à la raison. Christian Rouillard, professeur à l’École d’études politiques, a passé des mois à tenter de déchiffrer les finances de l’U d’O. Et selon lui, le déficit qui affole l’administration ne serait qu’illusion. Qu’en est-il vraiment?

Récapitulons. En mai dernier, le BdG donne le feu vert pour un déficit de 1,9 M pour l’année 2015-2016. En décembre, on s’aperçoit que le déficit s’élèvera plutôt à 7,6 M. Conclusion : un écart de 5,7 M doit être comblé et vite. Pour ce faire, des projets de rénovation qui n’ont pas encore débuté sont suspendus et l’administration centrale se permet de percevoir entre 8 et 10 % des surplus accumulés par les Facultés et les services.

Pour Christian Rouillard, pourtant, il est « impossible de prendre au sérieux l’enjeu budgétaire » étant donné que le mémo envoyé ne justifie nullement l’augmentation du déficit de 533 % et que selon lui, il n’y aurait « aucun scénario en vertu duquel ces mesures seraient crédibles ».

Denis Cossette, vice-recteur associé aux ressources financières, admet que « l’administration aurait dû communiquer davantage avec la communauté ». Il explique que l’augmentation du déficit est due à deux facteurs principaux : l’augmentation du nombre de bourses d’admission et l’embauche inattendue d’une soixantaine de professeurs.

Ces facteurs étaient toutefois relativement prévisibles. Tous deux figurent en effet dans le plan stratégique Destination 2020 qui prévoit notamment une hausse des moyennes d’admission et une augmentation du ratio d’étudiants par professeur.

L’U D’O ET SES PRÉVISIONS FINANCIÈRES ERRONÉES

Si M. Rouillard reproche à l’administration son manque de transparence, il dénonce aussi ses pauvres capacités de prédiction. Le professeur explique : « Au cours des dernières années, dix budgets ont été déposés anticipant un déficit, mais ce n’est arrivé qu’une seule fois. »

En effet, lorsqu’on compare la différence entre ce qui était prévu par l’administration et ce qui s’est vraiment produit entre 2006 et 2015 [en se basant sur les états financiers], on constate que l’Université a sous-estimé ses résultats de 455, 3 M.

La suspicion de M. Rouillard est partagée par l’Association des professeurs de l’Université d’Ottawa (APUO) qui, le 2 février, a envoyé une lettre au BdG. Dans celle-ci, l’APUO qualifie le déficit annoncé de « pure conjecture » et ajoute que « même si ce déficit devait se réaliser, il ne représenterait que 0,73 % des recettes totales. »

À la rencontre du BdG du 22 février dernier, Victoria Barham, professeure d’économie et représentante des professeurs au Bureau, a tenu à mettre en garde ses collègues : « Il y a une perception que l’Université invente les chiffres. » M. Rock a par la suite concédé qu’il y avait « un vrai problème quant à la crédibilité des chiffres énoncés dans le budget » avant de déclarer : « Ce qu’on dit est, à ma connaissance, vrai. Nous ne cachons pas d’argent. »

CASSE-TÊTE COMPTABLE

Une péripétie vient compliquer l’histoire : l’administration et ses critiques n’utilisent pas les mêmes chiffres.

Il existe deux façons de comptabiliser les résultats financiers : la méthode de caisse et la méthode d’exercice. La différence majeure entre ces deux méthodes est que la méthode d’exercice prend en compte l’amortissement; par exemple, le coût d’un bâtiment n’est pas comptabilisé sur un an, mais sur quarante ans.

Une méthode est-elle supérieure à l’autre? Le professeur Walid Ben Amar est sans équivoque : « Il y a un consensus quant à la supériorité de la méthode de comptabilité d’exercice. » Il ajoute : « Les normes comptables en vigueur au Canada exigent l’application de la méthode de la comptabilité d’exercice pour la présentation des états financiers. »

L’U d’O n’est pas mauvais élève : elle présente ses états financiers à l’aide de la comptabilité d’exercice. Cependant, lors des discussions internes, c’est la méthode de caisse que l’administration choisit d’employer.

Ainsi, si on avait présenté le budget à l’aide de la comptabilité d’exercice, l’Université n’aurait pas eu de déficit, mais un surplus de 13,2 M. L’administration choisirait apparemment de présenter les chiffres avec la méthode qui surestime le déficit.

Sommes-nous face à un complot? Pas tout à fait. D’après M. Cossette, la raison pour laquelle la méthode de caisse est utilisée est tout simplement parce qu’elle correspond mieux à la réalité universitaire : « C’est ce qui nous donne les entrées et sorties de fonds. Pour faire des constructions, il faut avoir des fonds maintenant, pas dans les quarante prochaines années. » M. Cossette ajoute que c’est la méthode de caisse qu’utilise le gouvernement ontarien lorsqu’il doit classer les Universités.

« PLUS DE CASH QUE TIM HORTONS »

850 M. C’est le chiffre apporté par M. Rouillard lorsque questionné sur les surplus accumulés de l’Université. Incrédules? M. Cossette a confirmé ce chiffre. Mais alors, pourquoi l’Université ne pioche-t-elle pas dans son quasi-milliard afin de compenser les 5,4 M manquants?

Cossette répond que cela est plus complexe que ça en a l’air : « Une université a des restrictions sur les fonds qu’elle reçoit, différents fonds ont différentes obligations ou contraintes à respecter. » Pour faire simple, l’Université ne peut pas utiliser ses fonds de recherches pour payer ses professeurs comme elle ne peut pas employer ses fonds de fiducie pour financer un nouveau bâtiment.

« C’est sûr que quand on regarde les chiffres, on se dit ‘wow, il y a 800 millions d’argent’. Ça a déjà été entendu, ça a déjà été dit, on a plus de cash que Tim Horton », a-t-il ajouté à la rigolade.

Il reste que l’administration semble se faire beaucoup de soucis pour un déficit qui ne représente même pas 1 % de ses fonds. Réagirait-elle de manière disproportionnée? M. Cossette avoue du bout des lèvres : « Historiquement, [on] n’est pas habitué à devoir faire face à des ajustements budgétaires en cours d’année, donc c’est sûr que ça suscite une certaine inquiétude. »

Rouillard dénonce ouvertement cette peur bleue du déficit, en déclarant que l’administration a créé un « excédent budgétaire structurel ». M. Cossette ne nie pas les faits, mais préfère qualifier l’approche de l’U d’O de « prudente ». Il invoque le règlement 55.4 de l’Université concernant la gestion budgétaire et dans lequel on peut lire que les budgets présentés au BdG ont comme prérogative de devoir être équilibrés.

DÉFIER LES CONVENTIONS COLLECTIVES?

La question à poser aux détracteurs de l’administration est la suivante : pourquoi vouloir majorer un déficit? M. Rouillard suggère une hypothèse : « Quatre conventions collectives sont échues cette année. C’est une vieille tactique utilisée par l’employeur [que] de prétexter qu’il y a une situation difficile inattendue pour avoir un avantage à la table de négociations. »

Est-ce plausible? Jennifer Dekker, présidente de l’APUO, n’en serait pas étonnée : « On a constaté cette stratégie à plusieurs reprises. » Pascal Sergent, vice-président du syndicat des professeurs à temps partiel, abonde en ce sens : « Ce n’est certainement pas impossible, ça peut faire partie de leur stratégie de négociation. Mais s’ils ont mal géré leur budget, ce n’est pas de notre faute. »

Néomie Duval, gestionnaire aux relations médias, balaye cette hypothèse du revers de la main en déclarant par courriel que le processus de planification budgétaire se fait indépendamment des négociations.

L’EXPÉRIENCE ÉTUDIANTE, PREMIÈRE VICTIME

Le mémo de M. Rock ouvre la porte à une autre mesure qui pourrait être adoptée si les conditions ne s’amélioraient pas d’ici 2016-2017. « Nous envisageons une réduction uniforme du budget de base […] entre 1 % et 2 % », peut-on y lire.

Cossette confirme cette information et ajoute : « Cet ajustement sera beaucoup plus près de 2 % que de 1 %. » Le vice-recteur explique que la diminution de la population ontarienne âgée entre 18 et 20 ans ira en diminuant dans les vingt prochaines années, ce qui mettra beaucoup de pression sur l’Université. Ainsi, la crise ne serait pas pour aujourd’hui, mais pour demain.

Rouillard est alarmé par les coupures à venir. Il explique : « L’administration sait très bien que la majorité des fonds des Facultés est incompressible puisqu’elle renvoie aux salaires du personnel. »  Les Facultés devront donc couper dans leur budget discrétionnaire, qui représente entre 6 et 10 % du budget total. Il précise : « Si on enlève 2 % d’un budget qui ne totalise que 6 %, ça fait une coupure d’un tiers. »

Mais à quoi correspond le « budget discrétionnaire » exactement? Dans sa lettre, l’APUO cite l’organisation de conférences, d’ateliers visant à préparer pour le marché de l’emploi ou les achats pour la bibliothèque, toutes des « ressources qui enrichissent directement la qualité de l’expérience étudiante. »

Les étudiants sont donc les premiers à souffrir de cette coupure. Duval s’en défend : « La priorité de l’Université demeure ses étudiants et chaque décision est prise dans ce contexte. » Dans un courriel, la gestionnaire des relations publiques a cité bon nombre d’initiatives mises en place avant d’ajouter : « L’objectif est de poursuivre sur cette lancée dans un contexte financier plus difficile. »

Et alors, comme un cycle sans fin, une question revient : « Avec quels fonds? » Tandis que les yeux de l’administration sont tournés vers le recteur qui crie au loup, l’attention est détournée de l’expérience des 35 000 étudiants sur le campus, et le mystère du mécontentement étudiant reste encore et toujours irrésolu.

 

 

Année Prévisions de l’Université lors de la présentation du budget États financiers vérifiés à la fin de l’année
2014-2015 -41 170 62 842
2013-2014 -20 677 15 275
2012-2013 -12 162 -1485
2011-2012 -542 28 158
2010-2011 295 41 466
2009-2010 99 63 189
2008-2009 116 16 893
2007-2008 225 52 055
2006-2007 219 103 402

 

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire