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Opinions

Hors des murs de nos villages : Définie de l’extérieur et à distance d’elle-même

Web-Rotonde
5 octobre 2014

– Par Didier Pilon –

Si tu es franco-ontarien, tu as sûrement vécu l’expérience où un Québécois essaie de t’adopter. « Non, mais tu parles très bien français, donc dans ma tête tu es québécois ». Ou peut-être t’a-t-on rassuré que, dans l’éventualité où le Québec se séparerait, tu serais certes bienvenu de t’assimiler à leur culture? Derrière ces exemples survit encore la notion d’une certaine supériorité de la culture québécoise. Nous, pauvres Franco-Ontariens, devrions être flattés de passer pour — ou, encore mieux, d’un jour devenir — de vrais Québécois.

C’est la Journée franco-ontarienne et l’on parle de nous. C’est bien, du moins en théorie. Dans les faits, bien des gens nous définissent de l’extérieur; bien des gens, en dépit de n’avoir jamais vécu notre réalité, nous disent comment vivre notre culture. Cet acte serait impensable dans le cas d’autres groupes minoritaires. Qui oserait dire à une autre ethnie comment vraiment s’épanouir dans sa culture? Mais pour les Franco-Ontariens, c’est presque banal. Il n’est pas rare que des Québécois (ou des Français) nous informent que c’est « bien triste » que l’anglais prenne une place plus importante dans notre culture que dans la leur, et que, pour être de bons petits Franco-Ontariens, il nous faudrait être plus comme eux. Certes, ce n’est pas par méchanceté, mais c’est du paternalisme culturel.

Toutefois, il est difficile d’en vouloir aux autres pour une attitude que nous adoptons trop souvent nous-mêmes. Je m’explique :

Si le français survit toujours en Ontario, c’est en partie grâce à des institutions. Toutefois, un clivage s’est dressé entre le peuple et les institutions chargées de le représenter. Celles-ci ont élevé les murs de nos villages pour nous défendre contre l’invasion assimilatrice des anglophones. Elles ont mis notre langue derrière une vitrine de musée pour la protéger contre la corruption du temps. Ils ont oublié qu’une chose : une culture ne vit pas à huis clos.

Alors que le peuple change, les institutions stagnent. On nous raconte les mêmes histoires au sujet du règlement XVII (1912–1927) ou de la création de notre drapeau (1975). Toutefois, il est de plus en plus clair que nos points de repère, gravés de force dans la mémoire d’une génération qui ne les a pas vécus, sont devenus des lignes de partie stériles. La vraie culture franco-ontarienne, celle que nous vivons jour le jour, est non seulement à distance de ces représentations, mais, encore pire, elle est sans cesse critiquée de ne pas être à la hauteur des idéaux institutionnels.

Je n’avais que huit ans lorsque mon nom est apparu pour la première fois dans le journal Le Droit. À l’occasion de la Journée franco-ontarienne, j’ai lamenté en quelques phrases le fait que certains étudiants parlaient en anglais durant la période de récréation. Certains penseront peut-être que mon analyse sociologique était très développée à un si jeune âge. Toutefois, ceux qui ont grandi en Ontario savent que je n’avais qu’intériorisé la honte institutionnelle à l’égard de ma propre culture.

Sans s’en rendre compte, plusieurs ont fait de même. Cette honte est maintenant endémique. Ce n’est plus que le système scolaire qui nous réprimande lorsque l’on parle en anglais, en déplorant nos choix de musique et de films. Combien de mes amis — des Franco-Ontariens de souche — s’amusent à prendre leur petit « accent franco-ontarien » en introduisant des fautes d’accord ou en finissant leurs phrases avec des prépositions? Combien de Franco-Ontariens modifient leur accent lorsqu’il parle à une figure d’autorité, question de « sonner plus québécois »?

Je suis franco-ontarien et fier. Mais pas simplement de la Culture avec un grand « C » qui est mise en scène, mais bien de la culture que nous vivons au quotidien. Ce n’est pas à nous d’avoir honte. Ce n’est pas à nous de changer. Tout comme les dictionnaires doivent représenter la langue telle qu’elle est réellement parlée (et non l’inverse!), c’est aux institutions de représenter notre culture telle qu’elle est vécue. Nous, nous n’avons qu’à la vivre la tête haute.

 

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