Inscrire un terme

Retour
Éditorial

Par-delà la masculinité

Web-Rotonde
22 février 2016

Éditorial

Par Didier Pilon

Un virage culturel vers un ordre gynocentrique? Selon les dires de Paul Nathanson, professeur de l’Université McGill, c’est bien ce qui semble être en train de se produire. Cet ordre, maintient le conférencier, est le projet de société de « féministes idéologiques » qui privilégient l’identité et le pouvoir féminin en « déshumanisant » les hommes.

Ainsi, peu seront surpris d’apprendre que sa conférence au pavillon Hamelin au sujet de la misandrie ait été accueillie autant par des masculinistes que par des manifestants et des policiers.

Le mythe de la misandrie

Commençons avec une clarification importante : le concept même de la misandrie est tiré par les cheveux. Contrairement à la misogynie – un concept que Nathanson prend tout de même au sérieux – il n’y a aucune évidence d’une hostilité systémique, institutionnalisée et légiférée envers les hommes.

Certes, il y a des enjeux qui affectent particulièrement les hommes. Toutefois, ces enjeux peuvent être expliqués en fonction d’autres formes de discrimination : le racisme, l’homophobie, le classisme et le sexisme tel qu’il existe vraiment – la misogynie. Par exemple, si le sans-abrisme, l’abus de substance et le suicide affectent particulièrement les hommes, ce n’est pas parce que la société ne les valorise pas. Au contraire, c’est que la société dévalorise les comportements qu’elle juge féminins : parler de ses problèmes, demander de l’aide, pleurer, etc. Ainsi, ce n’est que lorsqu’un homme dévie de l’idéal masculin qu’il est susceptible d’être marginalisé. La solution ne serait donc pas – comme l’a suggéré Nathanson – de renforcer l’identité masculine, mais plutôt remettre en cause cette glorification de la virilité.

Une identité masculine « saine »?

L’argument de Nathanson est que le féminisme a tant bouleversé notre société au cours des dernières années qu’il n’aurait désormais plus de place pour les hommes. Plus précisément, la société contemporaine n’arrive plus à accommoder une « identité masculine » saine.

Mais alors, comment définit-il l’identité masculine saine?

Avoir une « identité masculine fondée sur le corps mâle », raconte-t-il, c’est être en mesure d’offrir une contribution nécessaire, socialement valorisée, mais surtout, « distinctive ». La contribution de l’homme est dite distinctive si et seulement si les femmes ne sont pas en mesure d’accomplir une tâche similaire.

L’homme des cavernes – grâce à sa « force physique supérieure » – avait une identité saine puisqu’il pouvait subvenir au besoin des femmes. Ensuite, c’est par ses fonctions économiques que l’homme est parvenu à maintenir son identité. Mais dans un monde où les femmes « n’ont plus besoin d’hommes pour subvenir à leur besoin puisque l’État s’en charge », où est la place de l’homme?

Une identité de privilège!

Mettons une chose au clair tout de suite. Une femme n’a besoin de personne pour subvenir à ses besoins (ou du moins, pas plus qu’un homme a aussi besoin d’autrui). Elle est parfaitement capable de prendre soin d’elle-même.

Si l’on pense pour trois secondes à ce que raconte ce masculiniste, on se rend compte que l’identité qu’il décrit n’est pas fondée sur le « corps mâle » comme il le prétend naïvement, mais plutôt sur une structure de privilèges. Si la femme a besoin de l’homme pour combler ses besoins, c’est qu’une société s’est érigée pour l’assujettir et maintenir la dominance masculine en contrôlant les instances économiques et politiques.

Ainsi, sa définition d’une « identité saine » nécessite de prime abord un privilège masculin! Et c’est précisément ce qu’il revendique : un ordre social qui maintient les femmes en condition de dépendance afin que les hommes se sentent utiles. Les féministes sont ainsi perçu.e.s comme les ennemies puisque, en tentant d’égaliser le terrain, elles et ils s’attaquent au privilège masculin.

Vers une nouvelle auto-détermination

La conclusion qu’il n’y a plus d’identité possible pour les hommes puisqu’il n’y a plus de privilège masculin est doublement ridicule.

Dans un premier temps, c’est de la désinformation totale de prétendre qu’il n’y a plus d’avantages sociaux à être né avec un pénis. Au contraire, les énumérer de manière exhaustive mériterait facilement un journal entier. Il est impossible de prendre cette farce destructive avec un grain de sérieux.

Ensuite, la notion qu’un homme doit nécessairement s’identifier en fonction de la soi-disant « supériorité » de son sexe est aussi absurde qu’aberrante. Outre sa culture ou sa religion, en plus de sa profession ou ses passe-temps, au-delà de sa personnalité, sa communauté ou son groupe d’ami.e.s, une personne – homme ou femme – peut s’identifier en fonction de ses valeurs, des causes qu’elle tient à cœur et des différences qu’elle fait dans ce monde.

Peut-être Nathanson trouvera-t-il une identité saine et positive le jour où il abandonnera son complexe de supériorité masculine et qu’il s’identifiera lui aussi en tant que féministe.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire