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Éditorial

Plus que des excuses

Web-Rotonde
29 février 2016

Mais qu’est-ce que c’était ce jeu politique? Lundi dernier, Kathleen Wynne a offert ses excuses officielles, au nom du gouvernement de l’Ontario, pour le Règlement 17. Le Règlement 17 était une politique de destruction culturelle. Elle avait un but clair : éliminer le fait français en Ontario. La méthode de prédilection était l’éducation. De 1912 à 1927, l’éducation publique en français était illégale. Mais si vous avez manqué la cérémonie, ne vous inquiétez surtout pas : vous n’êtes pas les seuls.

Un manque d’organisation

À vrai dire, deux tiers de l’Assemblé ne s’est même pas pointé. Il faut croire que ces 70 députés avaient mieux à faire, un lundi après-midi, que de démontrer leur solidarité avec la population franco-ontarienne.

Ou peut-être n’ont-ils simplement pas reçu le mémo? Après tout, on ne saurait les blâmer. La date de l’évènement, qui avait été dévoilée le mercredi précédent, a été officiellement confirmée moins d’une journée ouvrable à l’avance. L’évènement n’était pas inclus dans l’ordre du jour pour les médias. L’heure précise a été confirmée la journée même.

Bref, ce qui aurait dû être une cérémonie qui souligne la lutte et la persévérance d’un peuple face à une politique d’assimilation a fini par être un jeu politique semi-improvisé.

Une plaie toujours ouverte

Le discours de Wynne a mis l’accent sur le dernier siècle. La première ministre s’est exprimée avec éloquence tant au passé composé qu’à l’imparfait. Elle a parlé de gens « dont la famille a été touchée », tout en félicitant le cheminement qui a mené à la Loi sur les services en français de 1986. Bref, elle fait comme si tout est bien qui finit bien.

Pourtant, l’impact du Règlement 17 se fait encore sentir. En réitérant des mots comme « il y a cent ans », le discours de Wynne néglige entièrement que l’héritage du Règlement 17 est bel et bien vivant.

Ce n’est pas que durant les années 1920 que les francophones ont eu des problèmes d’accès à l’éducation. Peut-on prendre quelques instants pour vraiment songer au fait que ça a pris plus 100 ans après la Confédération pour avoir des écoles secondaires francophones en Ontario? Et ça, c’est les premières. Là où les francophones étaient minoritaires – comme à Windsor, Cornwall ou Penetanguishene – le gouvernement a carrément refusé de subventionner des écoles. Ensuite, ce n’est que dans les années 1990 que les Franco-Ontariens ont eu droit à leur premier collège, la Cité collégiale. À ce jour, malgré une population de plus de 600 000, il n’y a toujours pas d’université francophone en Ontario!

Le manque d’accès se traduit directement en un manque d’éducation. Au début des années 1980, près d’un tiers des Franco-Ontariens n’avait pas leur 9e année, en contraste à 17 % pour la population générale. En 1986, le rapport Churchill montre que le taux de fréquentation universitaire chez les francophones de l’Ontario n’est que la moitié de celui des anglophones. Le recensement de 1991 trouve que 17,5 % des francophones, presque deux fois plus que leurs compatriotes anglophones, n’ont pas leur diplôme d’études primaires.

Assimilation et insécurité linguistique

Malheureusement, les statistiques ne sauraient saisir la portée du Règlement. D’un côté, les chiffres négligeront nécessairement une grande partie de la population qui, dans les vestiges de cette loi, ne parle plus français du tout et ne s’identifie plus comme franco-ontarienne. Ceux qui, afin de poursuivre leurs études, ont adopté la langue dominante… Ceux qui, à défaut d’avoir appris à lire et à écrire dans leur langue, n’ont pu la transmettre à leurs enfants… Ou encore ceux qui ont bien compris le message du gouvernement : en Ontario, c’est l’anglais qui domine.

Mais même ceux qui ont échappé à l’assimilation – un phénomène qui, selon certaines recherches, frôle le 40 % – sont victimes de l’insécurité linguistique franco-ontarienne.

L’insécurité linguistique, c’est comprendre que sa langue et son dialecte ne sont pas valorisés. C’est le malaise qu’on ressent lorsqu’on a interiorisé le mépris de la communauté envers son appartenance linguistique. En Ontario français, ce mépris est double. D’un côté, nous avons à faire notre paix avec un héritage historique qui affirme l’infériorité du français face à l’anglais. Mais cet héritage a aussi modifié notre accent et notre langue. De l’autre côté, nous devons aussi accepter que les normes linguistiques qui régissent notre manière de parler, même si elles ne sont pas les mêmes qu’au Québec, aient autant de valeur que n’importe quelles autres. Avec tout ce bagage, il est facile de comprendre que plusieurs préfèrent parler en anglais.

Une province sans université francophone. Une capitale provinciale et fédérale unilingue anglophone. Un climat social qui, encore de nos jours, se moque ouvertement de notre manière de parler. Un taux d’assimilation si élevé qu’on se demande tous un peu si nos enfants parleront français. Voilà bien l’héritage du Règlement 17.

Mais tout n’est pas perdu. La jeunesse franco-ontarienne est vivante et engagée. Suffirait d’avoir un gouvernement qui prend les revendications franco-ontariennes au sérieux ­pour faire du progrès. Arrêtons de se demander si une université franco-ontarienne ou une capitale bilingue seraient rentables. Ce ne sont pas des questions économiques. Ce sont des impératifs de justice social.

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