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Arts et culture

Qui dirige le monde?

Culture
12 février 2018

Critique littéraire

Par: Nonibeau Gagnon-Thibeault

Dans son livre Who Rules the World, l’éminent linguiste et politicologue Noam Chomsky nous offre une analyse éclairante de la place dominante qu’occupent les États-Unis sur la scène internationale et de ses politiques impérialistes. Armé d’une riche documentation et de son habituelle ironie mordante, Chomksy dénonce le jeu de pouvoir et de domination globale des États-Unis qui, selon lui, met l’existence de l’humanité en péril.

« Tout pour nous et rien pour les autres, voilà la vile maxime qui paraît avoir été, dans tous les âges, celle des maîtres de l’espèce humaine », a écrit le philosophe des Lumières Adam Smith, un des pères du libéralisme économique, en faisant référence aux marchands et manufacturiers de son temps. Ce constat est partagé par l’anarchiste américain Noam Chomsky, à l’exception qu’il voit les maîtres de l’espèce humaine d’aujourd’hui comme étant, entre autres, des conglomérats de multinationales et d’institutions financières. Ceux-ci ayant une énorme concentration de pouvoir influencent les politiques de l’État au détriment de la population.

Tout au long de son livre, Chomsky nous amène à voir un large éventail d’enjeux en politique internationale sous un autre point de vue, presque absent des médias de masse. Il s’attaque notamment au conflit israélo-palestinien, aux changements climatiques et à l’armement nucléaire de la Corée du Nord et de l’Iran en faisant des parallèles pertinents avec la Guerre froide.

Distinguer le discours de l’État et ses actions

Dans ce livre, Chomsky démontre une différence marquée entre le discours des États occidentaux et leurs actions concrètes. Par exemple, après les attentats sur Charlie Hebdo, il y eut une vague de dénonciations du terrorisme islamique au détriment de la liberté d’expression. Des chroniqueurs du Times ont parlé de « clash des civilisations ».

Chomsky met toutefois en lumière que l’OTAN a bombardé en 1999 la station principale de la télévision d’État serbe, tuant 16 journalistes. L’OTAN s’est défendue en disant que « c’est un effort pour miner le régime du président Slobodan Milosevic de la Yougoslavie », qui, selon l’OTAN, a utilisé la station comme organe de propagande. Un crime de guerre selon Amnesty International. Après le bombardement, il n’y a pas eu d’outrage de la part des politiciens et des médias occidentaux. Au contraire, ce fut même applaudi par certains politiciens. Quelle est alors la valeur réelle de la liberté d’expression et de la lutte contre le terrorisme? Chomsky nous expose à plusieurs doubles standards de ce genre à travers son livre, nous conscientisant sur nos propres crimes.

La crise nucléaire en Corée du Nord, la faute de qui?

L’homme de 89 ans nous amène aussi à voir d’un autre angle des crises politiques comme celle de l’armement nucléaire en Corée du Nord. Il passe par une gamme d’accords entre la Corée du Nord et les États-Unis, soutenus par des documents publics du gouvernement américain et de l’ONU, qui ont soit été refusés par les États-Unis, soit terminés par un non-respect des conditions de la part des États-Unis.

Il y a, par exemple, une proposition de la Corée du Nord en 2005 de terminer tout développement d’armes nucléaires du pays en échange d’un réacteur à eau légère pour des besoins médicaux et la fin de menaces de l’intégrité du territoire nord-coréen. Cette proposition a immédiatement été minée par le président Bush, qui a également demandé aux banques d’arrêter de faire des transactions nord-coréennes, même légales. La Corée du Nord a réagi en intensifiant son programme nucléaire et continue toujours ainsi.

Deux grands dangers : le nucléaire et les changements climatiques

Dans ce qui sera inévitablement un de ses derniers livres, Chomsky met l’emphase sur deux grands dangers qui nous guettent : le nucléaire et les changements climatiques. Une guerre nucléaire signifie mettre fin à l’humanité telle qu’on la connaît aujourd’hui, avertit l’intellectuel américain.

Il rappelle les efforts constants des États-Unis à l’encontre du Traité de non-prolifération des armes nucléaires afin d’avoir une large mainmise sur certaines régions, notamment le Moyen-Orient. Ceci entraîne le monde vers un jeu nucléaire dangereux, répète-t-il plusieurs fois à travers son livre.

En ce qui concerne les dangers que représentent les changements climatiques, Chomsky n’épargne pas le Canada. « Les sociétés les plus riches et puissantes dans l’histoire du monde, comme les États-Unis et le Canada, font une course à pleine vitesse pour détruire l’environnement aussi vite que possible », constate-t-il en observant des projets pétroliers comme l’oléoduc Keystone XL, qui relie les réserves de pétrole albertaines aux raffineries texanes.

Pourquoi alors est-ce que ces pays foncent vers leur destruction et ne vont pas plus rapidement vers des alternatives propres? « Ce n’est pas parce que la population ne le veut pas; les Américains sont assez proches de la norme internationale dans leur préoccupation à propos du réchauffement climatique [indiquent les sondages]. Ce sont les structures institutionnelles qui bloquent le changement. Les intérêts commerciaux ne le veulent pas », analyse Chomsky.

Who Rules the World est un livre qui témoigne de la pertinence toujours actuelle des critiques politiques de Noam Chomsky. Ses analyses dures, mais rafraîchissantes, nous mènent à reconsidérer les fondements démocratiques des États occidentaux et à envisager des politiques non basées sur des intérêts commerciaux et financiers, mais humains. Ainsi, il met sa pierre à l’édifice de la tradition de la philosophie des Lumières, contre la vile maxime des maîtres de l’espèce humaine.

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