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Regard sur la communauté polyamoureuse : « Pour comprendre, il faut regarder au-delà du sexe » – Franklin Veaux

Web-Rotonde
2 mars 2015

– Par Alex Jürgen Thumm –

Des gens qui entretiennent des relations ouvertes, intimes et durables, qui ne sont pas adhérés à une secte religieuse? Oui, cela existe, même chez nous, et on leur attribue le terme polyamour. La Rotonde s’est entretenue avec deux polyamoureuses et deux polyamoureux de la région, ainsi qu’une ancienne polyamoureuse.

« Il faut faire la distinction entre une relation ouverte et le polyamour : celui-ci implique un engagement et des règles fermes entre partenaires, voire des contrats écrits pour qu’on s’y tienne », constate un polyamoureux ottavien. Un autre attribue une définition plus vaste. « Je prends le terme à la lettre : de multiples amours. Si j’ai trois frères, je les aime tous de manière égale. Pareil pour mes amantes. Je peux dire avec toute sincérité que je les aime de manière égale ». En effet, les relations polyamoureuses se situent sur un continuum et se définissent par la flexibilité. La manière dont on le perçoit est individuelle.

Selon une ancienne polyamoureuse, dont le pseudonyme est Marie, « le polyamour est la compréhension que l’on peut avoir de multiples types de relations avec de multiples individus. C’est l’idée que l’on peut aimer plus d’une personne. Être amoureux de l’un n’exclut pas des sentiments pareils envers l’autre. Beaucoup de gens ont de la misère avec la monogamie parce qu’ils ont des sentiments spéciaux envers une deuxième personne, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne veulent plus être avec leur partenaire premier. Bref, ce n’est qu’un type de relation qui fonctionne pour certaines personnes ».

L’identité et le vocabulaire polyamoureux ont commencé à prendre forme à la fin des années 1990, selon Franklin Veaux, l’une des voix les plus fortes dans l’univers polyamoureux et l’auteur derrière le site web More Than Two.

Dans un essai de 2012, M. Veaux explique que cette sexualité n’indique pas que ses partenaires individuels sont inadéquats, mais que l’on cherche à complémenter les uns et les autres. Il cite l’écrivaine Anaïs Nin : « Chaque ami représente un monde en nous, un monde qui n’aurait peut-être jamais existé sans lui et que cette rencontre a rendu possible ».

« En monogamie, il est souvent sous-entendu qu’une nouvelle relation prononce la fin de l’ancienne. […] Pour moi, une nouvelle relation n’est pas forcément la fin de l’ancienne », constate M. Veaux.

Devenir polyamoureux

« La coloc d’un ami m’a mis le livre La salope éthique dans la main, en me disant : “je pense que c’est quelque chose qui pourrait fonctionner pour toi” », raconte l’homme qui se définit comme polyamoureux depuis cinq ans. Un autre homme y a réfléchi pendant une semaine après que sa copine, il y a 15 ans, le lui ait proposé après six mois de relation. « Je n’ai jamais regardé en arrière. J’ai essayé d’être monogame avec ma première copine et c’était un échec. Je ne peux être rien d’autre que polyamoureux ».

Le polyamour peut être intéressant pour les gens bisexuels. « J’aime avoir et un copain, et une copine. Je ne voulais pas de relation sérieuse, mais je ne voulais plus de relations occasionnelles non plus », relate une femme.

« J’ai découvert un nouveau paradigme où les gens peuvent coucher les uns avec les autres sans que ça mène à un désastre », explique un homme. Malgré cinq ans d’expériences, il hésite de dire que le polyamour est parfait. « Or, c’est ce que je veux : je veux la liberté sexuelle. Le polyamour a ses inconvénients, mais à mon avis, ça renvoie à la socialisation dominante : tout dans notre culture glorifie la monogamie ».

Marie, qui ne pratique plus le polyamour suite à une mauvaise expérience, insiste sur le devenir organique. « Le polyamour n’est pas quelque chose où tantôt on l’est, tantôt on ne l’est plus. C’est une approche relationnelle. On rencontre des gens qui le pratiquent et c’est souvent par eux que l’on s’y introduit ».

Comment ça fonctionne

« Chaque relation est unique et définit ses propres limites. Il y a le polyamour horizontal, ou solo, où chaque partenaire est dit “égal” », explique Marie. « Ensuite, on a le polyamour vertical ou hiérarchique. Mettons que tu vis avec ton partenaire primaire, mais en plus, tu as plusieurs partenaires secondaires. La nature de chaque relation varie : on peut avoir des partenaires avec qui la relation est équilibrée, purement émotionnelle ou purement sexuelle ».

« Je suis mille fois plus heureux depuis que je suis poly », affirme un professeur âgé de 40 ans. Pendant 13 ans, il avait une partenaire primaire et plusieurs relations secondaires. Depuis deux ans, il vit seul et n’a plus aucune partenaire primaire, mais toutes ses partenaires secondaires s’entendent bien. « L’une de mes partenaires est mariée et je m’entends très bien avec son mari. Des fois, lui et moi passons du temps ensemble sans elle »

« Je trouve aussi qu’il facilite des relations plus intimes parce qu’il faut tout discuter. Si je kife quelqu’un, ma partenaire n’est pas mon ennemie de qui je dois tout cacher. Plutôt, elle est heureuse que je sois heureux ».

Tout le monde est d’accord sur un fait : ce mode de vie exige la communication. Marie note que la notion de règles semble compliquée, mais que toute relation monogame a elle aussi des règles, surtout sur la fidélité. « C’est juste que la tradition a fait les règles pour nous et on n’a pas besoin d’en faire soi-même ».

Le défi principal du polyamoureux : le temps. « Ça devient facilement trop pour beaucoup », croit Marie. « On peut certes aimer plusieurs personnes à la fois, mais on n’a que 24 heures par jour pour les aimer tous ». Cependant, le professeur trouve qu’avoir trois copines est très réaliste. « Je vois chacune une ou deux fois par semaine, donc on a toujours hâte de se voir l’un l’autre. Ça exige en fait moins de temps que vivre avec une partenaire monogame ou primaire ».

Le mariage polyamoureux

Le polyamour n’équivaut pas à la polygamie, mais on peut être marié à une personne tout en en fréquentant d’autres. Telle est l’histoire d’une ancienne de l’Université d’Ottawa, devenue romancière. Mariée et mère de deux enfants, elle a rencontré quelqu’un il y a six ans et en a parlé avec son mari. « Je me suis mise à réfléchir sur les raisons pour lesquelles seule la sexualité devait être exclusive au couple, et je n’ai pas trouvé de raison qui me satisfaisait, alors j’en ai parlé à mon mari. En discutant, nous nous sommes rendus compte que nous étions monogames non par choix mais par défaut, parce qu’il semblait que c’était la seule façon d’être en couple ».

Au début, le couple s’est donné toute une gamme de règles pour leurs relations extra-conjugales. « Ces règles ont tombé peu à peu, au fur et à mesure de notre expérience et de notre confiance grandissante. On s’y habitue, on devient plus à l’aise et ça devient moins inquiétant ». Elle a maintenant un amoureux et une amoureuse à part de son partenaire principal, son mari. « Nous n’avons plus besoin de refouler nos attirances pour protéger notre couple, et comme il n’y pas d’infidélité, c’est un problème de moins qui risque de mettre notre couple en péril. Nous demeurons d’une certaine manière plus libres, plus indépendants dans nos choix ».

« Certaines personnes considèrent qu’elles sont polyamoureuses par nature. Pour ma part, le polyamour est un choix. L’idée de l’amour romantique est attirante, c’est une belle fiction, mais comme c’est irréaliste et impossible à mon avis, j’aime bien faire mes choix en conséquence ».

« J’aime beaucoup ce que chaque personne peut m’apporter, me faire découvrir. J’adore l’énergie des débuts des relations, et j’aime avoir la chance de saisir les occasions qui se présentent plutôt que de devoir les sacrifier ou les cacher pour protéger mon couple. Étant donné que je me considère comme allosexuelle, ce mode de vie me donne l’occasion d’explorer également cet aspect. J’aime me sentir entourée, avoir plusieurs personnes vers qui me tourner en cas de besoin et recevoir énormément d’affection ».

La communauté d’Ottawa

Rachel, l’une des coordinatrices de Poly Ottawa, explique que la communauté est diverse. « Il y a les rencontres régulières au Atomic Rooster et un groupe de discussion. […] On a même un club de lecture. En plus, nous avons une présence importante sur Internet. Ainsi il s’agit véritablement d’une communauté à multiples fonctions pour toutes sortes de gens. Ce n’est vraiment pas une pick-up scene. La plupart arrivent avec leur partenaire primaire et viennent pour discuter de manière informelle. En jasant et parlant de nos vies, les gens se rendent compte que le polyamour est composé de gens tout à fait typiques : nous avons un emploi, une famille, une vie normale ».

Un homme est de l’avis que ce n’est pas pour lui. « Je suis allé une fois au Atomic Rooster, mais je suis plus jeune que les autres, qui avaient presque 40 ans. Mais je comprends que parfois, il y a des plus jeunes, même de 18 ans. Les gens non polyamoureux y vont aussi juste pour apprendre ». Il constate aussi, d’ailleurs, que la communauté en tant que telle s’entremêle un peu avec la communauté BDSM.

La romancière mariée fréquente peu la communauté, mais reconnaît sa valeur. « Ce genre de groupe est très utile pour se sentir moins marginal, discuter de certaines questions qui touchent les polyamoureux et dont il est parfois difficile de discuter avec les personnes monogames. Les gens dans ces groupes sont très compréhensifs et ouverts à la discussion, alors une personne qui se questionne sur le sujet pourrait y aller sans problème ».

Le professeur, lui, adore le groupe et en profite beaucoup. Puisqu’il rencontre ses amants en ligne, ce n’est qu’un lieu social. « Les gens y sont très ouverts d’esprit et puisque beaucoup couchent avec beaucoup de gens, on y retrouve une ambiance un peu à la secondaire, mais avec une fraction du drame, puisque tout est si ouvert ».

 

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