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Arts et culture

S’exprimer derrière les barreaux

Culture
8 avril 2019

Par Maeve Burbridge, journaliste et Viktoria Miojevic, contributrice

Faire peindre, danser et composer des criminels en milieu carcéral : voilà une méthode de réformation des détenus qui s’éloigne de l’idée de la prison comme lieu de punition. La méthode permettrait de développer une meilleure image du détenu, tout en changeant son image à l’extérieur des murs de la prison. L’art permettrait-il au détenu de redevenir plus individu que criminel ?

Le paradoxe de la pratique artistique en milieu carcéral est que celle-ci promeut l’expression de soi dans une institution qui cherche à effacer l’individu. Ces programmes commencent à faire du bruit pour leurs bienfaits psychologiques même s’ils font toujours l’objet de stigmatisation.

L’art de la maîtrise de soi

L’incarcération est un défi psychologique de tous les instants : violence, peur, lassitude et solitude sont le plat quotidien des détenus. Shreya​ Shah, directrice du programme canadien de l’organisation ​Art de vivre qui offre des programmes axés sur la spiritualité et l’art, explique que « les détenus n’ont aucun contrôle sur la manière dont ils se font traiter en prison, et nous non plus d’ailleurs. Mais ce qu’on peut faire, c’est de guider leur réaction ». En effet, ces programmes réussissent à réapprendre aux détenus comment aborder leurs sentiments négatifs. Shah dit observer que « cela permet une meilleure maîtrise de soi ».

Laurie Brooks, directrice générale au ​William James Association Prison Art Project, organisation qui offre des cours et ateliers artistiques dans les prisons californiennes, a observé en intervenant directement dans les prisons que les programmes d’art dans celles-ci tendent à réduire les comportements violents. ​P​eu d’études ont été réalisées pour prouver l’efficacité de ces programmes, en termes de prévention de récidive et réinsertion dans la société civile. D’après leurs expériences, Shah et Brooks affirment néanmoins que ces programmes brisent le cycle de criminalité.

Rebâtir sa confiance

D’après Brooks, « les détenus développent un sens de fierté et de respect de eux-même qui les aide à briser [leurs] comportements destructifs ». C’est cette estime de soi nouvellement acquise qui leur permettrait de « vivre dans un état ​plus calme et plus heureux, en dedans et en dehors de la prison », pour reprendre les mots de Shah.

Cette facette du système paraît particulièrement puissante lorsqu’on considère que « les gens arrivent en prison avec un bagage psychologique [et qu’]ils ont souvent eu des histoires de vie assez difficiles », d’après Sylvie Frigon, professeur de criminologie à l’Université d’Ottawa qui participe aux programmes d’art en prison en tant qu’intervenante. Dans ce sens, l’art permet de rebâtir une confiance en soi qui a été érodée dès le jeune âge d’après Frigon, qui qualifie l’art en prison d’un « baume » qu’on appliquerait à la plaie d’un passé douloureux.

Impact non négligeable… selon certains

Les trente années d’incarcération de Peter Collins et sa connaissance du milieu carcéral mettaient au jour, quelques mois avant sa mort, les conditions d’emprisonnement à Hull. Il répondait au micro du Ottawa Citizen que les détenus libérés « sont plus frustrés, instables et dangereux que lorsqu’ils y sont entrés ». Sa vidéo Fly in the Ointment ​(disponible sur YouTube), qu’il avait écrite pendant une période prolongée en cellule d’isolement, narre la profondeur de la solitude du prisonnier et l’exposition à la violence quotidienne. Son récit est un appel à la prise de conscience collective pour recréer, par l’art, un lien sensible entre les barreaux de la cellule et la société qui détourne le regard de ce milieu opaque.

La compagnie de théâtre WHoS, William Head on Stage, en Colombie-Britannique est un cas unique au Canada avec ses 57 représentations au compteur. Depuis plus de trente-sept ans, cette compagnie invite le public en prison. Ancienne étudiante en criminologie à l’Université d’Ottawa, Ridha Thana a réalisé son mémoire sur cette compagnie en 2018. Elle y explique que « grâce à la présence et à la participation d’un public, WHoS offre aux hommes la possibilité de contester les points de vue de la société et les conceptions erronées concernant les prisonniers ».

Ces programmes sont souvent critiqués, jugés dérisoires ou annexes par la société, le personnel de prison ou les détenus eux-mêmes. Brooks explique la stigmatisation entourant ces programmes; selon elle, « le système est conçu sur un principe de punition, et donc le personnel de prison peut parfois penser que les détenus ne méritent pas la chance de faire de l’art ». Malgré cela, les programmes se multiplient partout en Amérique du Nord et même en France où le gouvernement contribue directement au financement de ces programmes de réinsertion. Pour Frigon, ces programmes devraient être encouragés par le gouvernement canadien et à la charge financière du fédéral.

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