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Éditorial

Encore et toujours, prendre notre place

Rédaction
19 novembre 2018

Éditorial

Par Mathieu Tovar-Poitras – Rédacteur en chef

Le 15 novembre 2018 est une date qui représentera à jamais un jour noir dans la francophonie canadienne. Cependant, elle représentera aussi un moment ayant fait jaillir l’étincelle qui a rallumé le feu contestataire de la communauté franco-ontarienne. Près de 20 ans après la dernière grande mobilisation, il faut retourner au créneau.

Suite à l’élection de son gouvernement, le premier ministre Doug Ford avait tenté de rassurer les Franco-Ontariens qui craignaient que les progressistes-conservateurs coupent dans les projets et institutions francophones. Quelques mois plus tard, force est d’admettre que ce n’étaient que des paroles captieuses. L’abolition du ministère des Affaires francophones aurait dû être un signe laissant présager que le gouvernement ontarien n’hésiterait pas à écarter le dossier du fait français, et pourtant nous voilà confrontés à pire.

Jeudi dernier, on apprenait dans le cadre d’un énoncé économique que le Commissariat aux services en français serait aboli. Vous pensez avoir été pris par surprise ? Imaginez alors la réaction du commissaire François Boileau qui a appris la nouvelle une demi-heure avant l’annonce officielle.

On apprenait aussi que le projet de l’Université de l’Ontario français avait été sabré. Ce sont donc des années de revendications, d’organisation et de promesses politiques que Ford a grossièrement négligées sous prétexte que c’est pour le gros bon sens économique. Mike Harris doit être fier.

On parle beaucoup – et avec raison – des compressions touchant la francophonie ontarienne. Toutefois, il ne faut pas le faire au détriment des autres coupures, comme celles des Commissariats à l’environnement ainsi que celui à l’enfance. Ajoutons à cela la résolution des membres du Parti progressiste-conservateur qui définit l’identité du genre comme étant une « théorie libérale ». Et Ford veut toujours nous faire croire qu’il fait tout cela pour le peuple ? Si c’est le cas, eh bien il semblerait que son peuple soit beaucoup moins inclusif que le peuple du dictionnaire.

Des justifications ou des excuses ?

Le mutisme de Caroline Mulroney, ministre déléguée aux Affaires francophones, après l’annonce en a fait parler plus d’un. On dit souvent que l’on reconnaît un leader par sa capacité à faire preuve de courage, mais aussi de respect en se présentant à la tribune pour annoncer de mauvaises nouvelles. De regarder dans le blanc des yeux ceux et celles qui seront directement touchés par ces changements.

S’il y a bien une chose que Mulroney a prouvé, c’est qu’elle n’est pas en mesure d’assumer les décisions de son gouvernement. Lorsque finalement elle se prononce publiquement, elle affirme que c’est une décision nécessaire à cause de la situation budgétaire, qu’elle n’avait en fait pas le choix.

Désolé madame, mais vous aviez un choix. Vous auriez pu vous tenir debout et défendre les intérêts de la communauté dont vous êtes supposément « une grande amie » — ce sont vos propres mots. Vous avez au lieu choisi la vision populiste et à court terme du carcan conservateur.

Vous aviez le choix.

On tente de se justifier en citant le déficit budgétaire. Le projet de l’Université de l’Ontario français représentait 20 millions de dollars cette année. Le Commissariat ? Un maigre 3 millions. C’est donc 23 millions d’économies pour faire face à un déficit de 15 milliards, 0.15 % de déficit. En plus, si on considère que les 13 fonctionnaires du Commissariat seront relocalisés au sein du Bureau de l’Ombudsman, quelles sont les réelles économies ? Cette justification commence de plus en plus à prendre les allures d’une excuse pour couper dans ces institutions.

Essaie-t-on vraiment de justifier la suppression d’institutions protégeant la communauté de la langue officielle en contexte minoritaire pour quelques sous de plus ? Pourtant, ce serait aller à l’encontre du rôle de tout gouvernement : protéger les minorités. Ce serait aussi en quelque sorte aller à l’encontre de la Constitution canadienne dont les tribunaux avaient reconnu la protection des minorités comme un principe sous-jacent. Position qui avait été confirmée dans la décision rendue en 2000 concernant l’hôpital Montfort.

Se mobiliser pour notre place

Plusieurs parallèles ont été dressés entre la situation actuelle et celle d’il y a vingt ans. À cette époque, le gouvernement conservateur de Mike Harris avait décidé de fermer Montfort, seul hôpital universitaire de langue française en Ontario. Présentement, ce sont des institutions telles que celles de l’Université de l’Ontario français qui sont les victimes d’un autre gouvernement conservateur.

La différence est qu’il y a 20 ans, on se battait pour qu’une institution ne soit pas tuée. Aujourd’hui, on se bat pour donner la chance à une autre de voir le jour.

C’est par l’entremise d’une mobilisation unie et solidaire rivalisant celle de SOS Montfort que la communauté franco-ontarienne devra faire entendre sa voix. Ce n’est pas la première qu’elle fera. Oui, il y a les événements d’il y a 20 ans, mais il ne faut pas oublier la lutte contre le règlement 17 – politique qui interdisait l’enseignement du français ainsi que son usage après un jeune âge.

Par contre, il ne faut pas se rassurer en se disant que vu qu’on l’a déjà fait, on va réussir, qu’on en a l’habitude. Certes, les revendications pour notre langue font partie de notre quotidien. Mais il est temps que l’on cesse de se dire qu’on a l’habitude de se battre pour plutôt se dire qu’on va se battre pour que ce ne soit plus une habitude.

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