Inscrire un terme

Retour
Éditorial

Vaut-il mieux se fermer la yeule?

Web-Rotonde
31 octobre 2016

Éditorial

Par Frédérique Mazerolle

Commençons donc cet éditorial avec une mise en situation. Vous est-il déjà arrivé, suite à l’écoute de propos douteux d’un.e collègue ou d’un.e ami.e, de demeurer silencieux et de ne pas renchérir, même si ce qui a été dit vous chicotait à l’intérieur? Ou encore, alors que vous marchiez dans la rue et que vous aviez été témoin d’une situation problématique, de ne pas intervenir, de préférer garder la tête basse et la bouche cousue, parce que vous ne vouliez pas faire l’objet de représailles et de critiques?

C’est facile, de rester silencieux, semble-t-il. Pas de conséquences ou de répercussions, vous pouvez vous en laver les mains. Pourtant, en journalisme, il est impératif de ne pas rester silencieux et de plutôt dénoncer haut et fort les problèmes de la société. Alors que le travail d’une poignée de journalistes est applaudi par certains, celui-ci ne peut pas faire le bonheur de tous. Et c’est clairement ce qui s’est passé avec la couverture du Vet’s Tour.

Ceci n’est pas une lettre ouverte à tous ceux et celles qui ont osé critiquer l’intégrité journalistique de La Rotonde. Non. Une lettre ouverte serait trop longue et passerait complètement à côté du bateau. Ceci est un éditorial qui s’inscrit en continuité de la ligne éditoriale qui a permis la dénonciation d’une culture qui ne devrait pas avoir lieu d’exister sur un campus universitaire. 

En somme, il n’a jamais été question de critiquer les pratiques sexuelles des étudiant.e.s de l’Université d’Ottawa, ou d’accuser tous les participant.e.s d’être des agresseurs sexuels ou encore de propager un agenda soi-disant anti-féministe et puritain. Encore une fois, ce serait passer à côté du bateau. 

Intérêt public c. intérêt du public

En faisant une lecture individualiste de la participation à l’évènement, on pourrait croire qu’il se déroulait effectivement dans un environnement sain où tous et toutes étaient consentant.e.s.

Qu’il n’y avait pas de risques que les choses puissent dégénérer, car tout le monde est sur la même longueur d’onde.

Que les présumées victimes d’agressions sexuelles auraient tout simplement pu inventer leurs témoignages.

Et que la bannière de la culture du viol a tout simplement été accrochée de façon opportuniste à cet évènement par des journalistes assoiffés de gloire et de pouvoir.

On se laisse emporter dans ce discours sur la culture du viol, comme si c’était la dernière tendance. Violence sexuelle ici, manque de consentement là. Les gens semblent oublier que le problème ne s’arrête pas au Vet’s Tour. C’est bien plus complexe, bien plus large et bien plus dégoutant que cela.

La non-reconnaissance de l’expérience des victimes de violence sexuelle est aussi vivante sur le campus de l’Université d’Ottawa qu’elle l’est à l’Université Laval, à l’Université de la Colombie-Britannique ou à l’Université de Stanford.

Pour tous ceux et celles qui osent dénigrer le travail méticuleux du journalisme d’enquête, nous vous recommandons fortement d’aller vous divertir en écoutant le film Spotlight, qui raconte l’histoire d’une équipe de journalistes du Boston Globe qui avait décidé d’enquêter sur les actions d’une centaine de prêtres qui auraient posé des gestes de nature sexuelle sur des enfants dans les années 60 et 70, et ce, sous le regard du cardinal de la région.

Alors que les témoignages s’accumulent et que la frustration des journalistes continue de grimper, un message est mis en relief : tout le monde aurait pu être victime d’une agression sexuelle. Ça aurait pu être vous. Ça aurait pu être votre ami.e. Ça aurait pu être votre camarade de classe. C’est un problème qui touche toute la société, mais qu’on préfère ne pas regarder en face, on aime mieux détourner le regard et critiquer l’enquête au lieu de regarder les faits dans le blanc des yeux. Vous en voulez du journalisme? En voilà.

Aujourd’hui, c’est si facile de se défouler sur une journaliste, caché derrière un écran et dissimulé dans l’anonymat qu’offre le cyberespace. Facile de critiquer son éthique, la véracité des faits et même d’aller jusqu’à lui faire des menaces de mort et de viol, parce qu’elle « ne s’est pas mêlée de ses affaires ».

Pourtant, comme Pierre Elliot Trudeau l’a si bien dit à son époque, « L’État n’a pas sa place dans les chambres à coucher de la nation ». Par contre, dans une ère où le privé n’est qu’une extension de la sphère publique, où les gens se lèvent finalement et dévoilent les vices de la violence sexuelle, il ne faut pas oublier qu’une agression sexuelle, peu importe où et quand elle s’est produite, est une action illégale qui mérite d’être publicisée.

Ce que plusieurs essaient d’oublier toutefois, c’est qu’il n’est pas aisé de dénoncer une agression sexuelle dans un contexte de fête sociale. La victime sera rapidement accusée d’avoir menti, de sembler l’avoir voulu, de ne pas avoir été assez claire quant au consentement et pire encore, d’avoir voulu « casser le fun ».

Ça suffit les enfantillages. Ça suffit la culture du silence qu’on impose aux sujets un peu trop problématiques pour la sphère universitaire. Ça suffit l’intimidation qui n’existe que parce que les coupables sont incapables de reconnaitre leurs torts.

Ça suffit de se taire.

La Rotonde refuse de rester silencieuse.

La Rotonde continuera de parler au nom de ceux et celles qui ont perdu leurs voix au profit du squelette dans le placard qu’est la culture du viol, qu’on essaye encore et encore de repousser derrière des portes doublement verrouillées. 

Parce qu’une victime d’agression sexuelle reste une victime de trop.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire