
À la croisée des identités plurielles en contexte de minorité linguistique
Crédit visuel : Jurgen Hoth – Photojournaliste
Article rédigé par Michelet Joseph — Chef du pupitre Actualités
À l’occasion du numéro 49-50 de la Revue du Nouvel-Ontario intitulé « Les francophonies minoritaires et l’intersectionnalité », le Centre de recherches sur les francophonies canadiennes (CRCCF) a tenu une table ronde à la bibliothèque Morisset. Organisée le 9 octobre, elle a donné la parole à Ahdithya Visweswaran, Genevieve Latour et Georgie Gagné, intervenant.e.s et contributeur.rice.s de la revue, pour un dialogue ancré dans leurs identités et vécus en situation linguistique en contexte minoritaire.
Naviguer entre les mondes
Parmi les voix de la soirée, Ahdithya Visweswaran, aux identités multiples en tant qu’immigrant allophone, homme gay, résident de l’Alberta, et dont le français est sa troisième langue, a livré un témoignage révélateur. Né de parents indiens et ayant grandi dans l’Ouest canadien, il explique comment la diversité de ses origines nourrit son rapport à la langue française.
« Mes parents sont originaires de l’Inde, d’où je tire une culture riche et des langues maternelles multiples. Je suis né aux États-Unis et j’ai grandi dans l’Ouest canadien, au contact de communautés francophones minoritaires qui m’ont transmis l’amour du français et un profond respect pour la diversité des parcours qui composent la francophonie canadienne. », affirme-t-il
Il croit fermement que la pluralité des identités représente une force unique pour la francophonie, quand cette dernière s’ouvre à elles. C’est dans cette perspective que s’inscrit son balado « Les Francos oublié·e·s » une démarche d’écoute et de mise en valeur des voix marginalisées.
« La francophonie gagne en force lorsqu’elle s’ouvre à toutes les voix qui la composent. Derrière chaque accent, chaque parcours, il y a une histoire qui enrichit notre langue commune »
- Ahdithya Visweswaran -
L’intersectionnalité vécue au quotidien
Si l’expérience de Visweswaran met en lumière les croisements culturels et linguistiques, Geneviève Latour, originaire de la communauté franco-ontarienne et aujourd’hui domiciliée au Nouveau-Brunswick, incarne d’autres formes d’intersectionnalité. Femme blanche, cisgenre, mère de trois jeunes enfants, elle se définit comme personne queer vivant une relation hétérosexuelle. Détentrice d’une formation supérieure, résidant en milieu rural et issue de la classe ouvrière, elle illustre un ensemble d’identités imbriquées qui façonnent profondément son rapport au militantisme et à la francophonie.
« Mon identité influence mes décisions. Malgré mon implication féministe, je suis une femme de la classe ouvrière rurale, avec ses défis et motivations. Ma maternité et ma précarité façonnent ma réalité. L’intersectionnalité, c’est considérer ces aspects, même ceux qu’on pense secondaires », soutient-elle.
Par ailleurs, Latour insiste sur la nécessité de cohérence entre le discours et la pratique dans les milieux institutionnels, particulierement en matière de lutte contre toutes les formes de discrimination. « Il est important de faire preuve d’honnêteté. On travaille dans des structures patriarcales, hétéronormées, capitalistes et dominées par la suprématie blanche. On peut avoir plein de bonnes intentions, mais les systèmes sont là. Ce que je trouve difficile, c’est quand on prône la diversité sans la pratiquer réellement. » dénonce-t-elle.
Pour Latour, reconnaître ces réalités, c’est aussi avoir le courage de les nommer. Une étape essentielle pour créer des espaces sécuritaires et poser les bases d’un monde nouveau.
« Il faut nommer les oppressions, créer des espaces plus sûrs et accueillir toutes les opinions pour rendre possible un autre monde. »
- Geneviève Latour -
Autochtone et francophone ou ambivalence identitaire ?
Pour Géorgie Gagné, autochtone, franco-québécoise, transféminine et bispirituelle, le rapport à la langue française s’inscrit dans une ambivalence marquée : elle n’a pas choisi d’être francophone, le français s’est juste imposé à elle.
« Je suis francophone, peut-être pas par choix. L’héritage colonial de cette langue me pousse à préférer parler en cri plutôt qu’en français. », déclare-t-elle.
Partie du Québec pour s’installer en Ontario dans l’intention de vivre en anglais, elle raconte comment la communauté franco-ontarienne l’a rapidement rattrapée : « J’ai été passionnée par la francophonie ontarienne, son histoire de résistance face aux forces majoritaires. Cela m’a conduit à un parcours intéressant dans le plaidoyer linguistique local, régional et même national. Cela m’a ouvert un monde franco-queer partout sur l’île de la Tortue. Je suis reconnaissante, mais ce n’était pas vraiment un choix. »
Cette passion a toutefois fait naître chez elle des tensions intérieures entre ses engagements francophones et autochtones. Elle plaide pour une reconnaissance accrue et une inclusion du plaidoyer linguistique porté par les personnes autochtones également francophones.
« Je pense qu’on peut aller beaucoup plus loin dans les nuances. On affirme vouloir accueillir davantage de diversité et inclure des personnes autochtones dans nos mouvements, mais encore faut-il s’ouvrir à comprendre ne serait-ce que 5% du plaidoyer que ces personnes doivent mener pour assurer leur propre survie. », défend-elle.
Pour une francophonie collaborative et inclusive

L’idée principale dégagée par les trois intervenant.e.s converge vers une francophonie collaborative inclusive et décentrée. Le professeur Michel Bock, directeur du CRCCF, a lui aussi insisté sur la nécessité du dialogue et de la mise en relation des points de vue :« La collaboration et la communication reposent toujours sur le dialogue et la volonté des différent.e.s acteur.rice.s de se parler et de discuter », soutient-il.
Selon lui, le concept d’intersectionnalité offre une voie pour dépasser les clivages :« L’intersectionnalité met en lumière les divergences, mais aussi les carrefours, les lieux de rencontre possibles entre différentes communautés », ajoute-t-il.
« C’est dans le choc des idées et la discussion perpétuelle que la lumière se fera et qu’on pourra provoquer des rapprochements, sans que personne n’abandonne ses convictions. »
- Michel Bock -
