Inscrire un terme

Retour
Actualités

Accueil mitigé pour les excuses papales canadiennes 

Camille Cottais
8 août 2022

Crédit visuel : Long Thiên – Flickr

Article rédigé par Camille Cottais – Journaliste

Le pape François s’est rendu au Canada fin juillet pour un voyage de six jours, durant lequel il a présenté ses excuses pour les crimes commis par les catholiques contre les autochtones, notamment dans les pensionnats.

Plus de 150 000 enfants autochtones ont été séparé.e.s de force de leur famille pour être assimilé.e.s dans les pensionnats, financés par le gouvernement fédéral, mais dirigés par l’Église catholique. Veldon Coburn est Algonquin de la Première Nation Pikwakanagan et professeur adjoint à l’Institut de recherche et d’études autochtones de l’Université d’Ottawa (U d’O). Il rappelle que les catholiques ont administré près des deux tiers des pensionnats, bien que l’implication de l’Église catholique dans la destruction culturelle des peuples autochtones ne se limite pas aux écoles résidentielles.

Une visite unique en son genre

Emma Anderson, professeure titulaire à l’U d’O dans le département des sciences des religions, explique que c’est la seconde fois que le pape s’excuse au nom de l’Église catholique vis-à-vis des peuples autochtones : c’est en mars dernier, à Rome, qu’il l’a fait pour la première fois. Un événement que la professeure qualifie d’« historique ».

La visite au Canada du représentant du plus grand groupe religieux ayant administré les pensionnats faisait partie de l’un des 94 appels à l’action recommandés par la Commission de vérité et réconciliation pour favoriser la réconciliation entre Canadien.ne.s et Autochtones. Présenter des excuses aux survivant.e.s des pensionnats étaient donc le principal objectif de ce « pèlerinage pénitentiel », affirment les deux professeur.e.s.

Selon Anderson, une visite de ce type est unique dans l’histoire du Canada, et est d’autant plus singulière qu’elle a été organisée très rapidement, en quelques mois seulement, alors qu’habituellement « les visites papales prennent une voire deux années à être organisées ». Cette rapidité est certainement attribuable, pour Anderson, à l’état de santé fragile du pape. Âgé de 85 ans, il est apparu dans une chaise roulante à de nombreuses reprises lors de son voyage.

Des excuses attendues, mais critiquées

Coburn affirme que les personnes autochtones n’ont pas toutes réagi de la même manière à ces excuses : beaucoup de survivant.e.s avaient besoin de les entendre et ont été soulagé.e.s, mais d’autres les ont rejetées, estimant qu’elles n’étaient pas suffisantes ou souhaitant davantage.

Anderson explique qu’une des critiques adressées aux discours du pape a été sa reconnaissance de la culpabilité de certains chrétiens, plutôt que de l’institution, l’Église catholique, dans son ensemble. Coburn mentionne que l’Église unie du Canada et l’Église anglicane ont quant à elles admis il y a longtemps leur responsabilité, à la fois en tant que personnes et institution.

Une seconde critique concerne le coût de ce voyage, estimé à environ 100 millions de dollars canadiens, une somme qui a servi à assurer la sécurité du pape et le changement de certaines infrastructures. Selon Coburn, bien que ses excuses soient importantes symboliquement, cet argent aurait pu aider les peuples autochtones concrètement, par exemple les 38 communautés n’ayant toujours pas accès à l’eau potable.

Pour Anderson, les excuses du pape à Rome en mars ont été préférées à celles du Canada en juillet, « car il semblait plus sincère, plus ému et [son discours] était moins préparé et formel ». Elle soupçonne que les excuses papales faites en terres canadiennes ont été écrites à l’avance par un comité et non par le pape lui-même.

Un pape étonnamment progressiste

Anderson observe ainsi deux faces du pape François : informelle comme à Rome, avec un pape n’hésitant pas à parler ouvertement et avec son cœur, « qui pourrait presque être notre grand-père », et formelle, comme lors de sa visite pénitentielle au Canada, où il s’est montré plus sage, plus politique et plus fermé. Ce contraste reflète selon elle les difficultés d’être pape : bien que le pape François se montre relativement progressiste et libéral, il lui faut également limiter les critiques de la part des catholiques plus conservateurs, du Vatican, mais aussi des États-Unis, par exemple.

Le pape actuel demeure bien plus progressiste que ses prédécesseurs, affirme Anderson, contrastant notamment avec le pape Jean Paul II et ses positions conservatrices sur l’avortement ou encore l’homosexualité. Selon la professeure en sciences des religions, le pape François « met davantage l’accent sur des péchés commis par tout le monde et non seulement certaines catégories de populations », comme la destruction de l’environnement ou la non-solidarité envers les pauvres et les migrant.e.s. Ses positions pro-immigration lui ont d’ailleurs valu l’aversion de Donald Trump et de certains dirigeants européens, rappelle-t-elle.

Coburn ajoute que le progressisme du pape se perçoit également dans le fait qu’il ait déjà présenté ses excuses pour d’autres crimes commis par l’Église catholique. En témoignent ses discours prononcés pour le scandale des « maisons mère-enfant » en Irlande, ayant mené au décès de 9 000 bébés et enfants, ou les abus sexuels commis par des membres du clergé au Chili. En outre, le pape tente selon Coburn de se montrer proche du peuple : il provient d’un milieu pauvre et est le premier pape moderne à être originaire d’un pays non européen, l’Argentine.

Cependant, il faut rester prudent selon le professeur : il est possible que nous fassions face à un contrecoup lors de la sélection du prochain pape, qui pourrait être bien plus conservateur. D’après lui, ce choix pourrait être fait pour satisfaire les nombreux.se.s catholiques estimant que le pape François ne reflète pas le traditionalisme et le conservatisme de leur religion.

 

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire