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Étude sous amphétamines : la réussite à tout prix ?

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6 novembre 2017

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Par: Charlotte Côté et Nicolas Hubert

 

Avec la saison des examens de la mi-session qui bat son plein, il n’est pas rare d’entendre des mots tels que débordé, surchargé et stressé sortir de la bouche des étudiant.e.s sur le campus. Alors que chacun tente de gérer la pression, parfois accablante, ressentie face à une charge de travail estimée trop lourde, certain.e.s se tournent vers l’usage de produits stimulants, tels que les amphétamines, pour doper leurs capacités d’endurance ou de concentration. Tandis que la grande majorité des produits consommés sont accessibles par le biais médical, il existe un véritable réseau d’entraide et de revente sur le campus.  

Si nous avons voulu en apprendre plus sur ce réseau, l’usage et les effets des produits utilisés, nous avons avant tout désiré mettre l’accent sur l’expérience et le ressenti des étudiant.e.s, ainsi que sur les causes profondes qui motivent cette pratique. Dans cette perspective, nous avons rencontré 23 étudiant.e.s désirant témoigner soit de leur usage de stimulants, soit de leur perception de cette pratique au sein de la communauté universitaire.

Le monde des amphétamines 

Les amphétamines sont plus généralement des stimulants physiques qui augmentent les niveaux de dopamine et de sérotonine dans le cerveau. Cette famille compte l’Adderall et la Vyvanse, entre autres, des médicaments qui sont prescrits dans le cadre du traitement du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Or, plusieurs recherchent les effets stimulants de ces médicaments pour supprimer leur fatigue et mieux se concentrer.

Sur l’ensemble des personnes interrogées par La Rotonde, sept ont confirmé consommer des produits stimulants dans un objectif scolaire, neuf ont affirmé avoir des amis proches qui en consomment également ou en ont consommé et six personnes ont reconnu connaître des personnes ayant menti pour obtenir des prescriptions médicales à cet effet. La majorité des étudiants consommateurs rencontrés s’est cependant procurée les substances via des connaissances ou des amis qui eux-mêmes ont une prescription.

Que ces réseaux se trouvent sur le campus, à Ottawa, ou dans leurs villes natales, les consommateurs rencontrés s’approvisionnent soit gratuitement auprès de connaissances, ou moyennant une somme entre 10 et 20$ par l’intermédiaire d’un marché informel. Malgré plusieurs tentatives, La Rotonde n’est pas parvenue à recueillir le témoignage de revendeurs.

Les personnes interrogées qui ont consommé des amphétamines dans une perspective scolaire ont affirmé en avoir eu recours à la « dernière minute » afin de les soulager d’une surcharge de travail en fin de session. Certains ont également souligné ne pas vouloir réitérer cette expérience. Si la Dr Danielle Gervais, médecin de famille à la clinique de l’U d’O, estime que les médecins de l’Université ne voient « pas régulièrement des patients [étudiants] qui utilisent des stimulants régulièrement pour cette raison », elle avoue néanmoins que « ce n’est pas nécessairement à leurs médecins qu’ils le confieraient ».

Une « drogue d’étude »

Un étudiant de quatrième année en Sciences infirmières nous confie en effet connaître plusieurs étudiants qui utilisent des drogues et de l’alcool pendant la session d’examens pour soulager leur anxiété et déstresser : « Les dangers de la pratique sont réels et indéniables, mais je comprends complètement pourquoi certaines personnes se tournent vers ces pratiques pour faire face à la pression », déclare-t-il.

La vingtaine d’étudiant.e.s de l’U d’O interrogé.e.s nous ont mentionné que malgré ses dangers, la consommation illégale d’amphétamines était parfaitement normalisée. « Des connaissances m’en ont offert lorsque j’étais stressé.e » est une phrase qui est revenue dans la bouche du tiers d’entre eux.

En effet, les amphétamines jouissent d’un statut particulier dans le monde étudiant : « c’est une drogue peu stigmatisée : tu la prends soi-disant pour être concentrée », nous raconte une étudiante en droit, qui a vu son ami proche consommer de l’Adderall à plusieurs reprises pour améliorer sa concentration. « Les vendeurs formulent ça comme si ces substances aident à étudier », renchérit un étudiant en criminologie, ancien consommateur occasionnel. Certain.e.s en ont même des discussions décontractées avec de parfait.e.s inconnu.e.s lors de leurs sessions d’étude à la bibliothèque Morisset.

 

« c’est une drogue peu stigmatisée : tu la prends soi-disant pour être concentrée ».

 

« Parfois, avec le travail de jour et les mille autres affaires à faire, je n’ai pas le temps de faire mes choses », nous explique une étudiante du département d’Anglais qui consomme des amphétamines de manière occasionnelle. Une telle situation suscite cependant un sentiment d’injustice chez les personnes qui en sont témoins. L’étudiante en droit n’est pas la seule à associer cette pratique à la fraude scolaire, alors qu’elle-même vit la même pression scolaire en refusant de se booster.

Rester éveillé toute une nuit

Un étudiant en gestion nous a confié que l’Adderall l’avait rendu « beaucoup plus efficace » pendant cinq heures. Le même médicament aurait permis à une étudiante en science de se concentrer pendant près de 12 heures. La Vyvanse aurait aidé un étudiant en histoire à rédiger deux travaux d’une vingtaine de pages en 36 heures. Le speed aurait procuré à une étudiante en anglais assez d’énergie pour rester éveillée une nuit au complet pour étudier. Tou.te.s nous ont indiqué s’être sentis invincibles, dans une forme incomparable, et avoir obtenu des notes satisfaisantes et habituelles.

Cette illusion d’invincibilité provient, selon le Dr William Ogilvie, professeur du Département de chimie et sciences biomoléculaires, de la fausse logique que « si ça fonctionne pour eux [personnes vivant avec le TDAH], ça devrait aussi fonctionner pour moi [personne qui n’en a pas médicalement besoin]. Mais ça ne se traduit pas nécessairement de cette façon. »

Des effets à court terme aléatoires

Les effets des amphétamines sont en effet « hit or miss », comme l’ont formulé plusieurs personnes interrogées. « Ça reste de la consommation illégale récréative, et que tout dépend de ce que tu fais de ton temps sous l’influence » nous informe l’étudiant en criminologie. La majorité compare les effets à court terme à une forte dose de caféine. Certains consommateurs rencontrés par La Rotonde n’ont cependant pas ressenti les effets, alors que plusieurs autres ont avoué s’être adonnés à des activités plus ou moins productives. Que ce soit faire le ménage, observer les aiguilles d’une horloge, jouer de la guitare ou comparer deux pièces de monnaie, plusieurs mentionnent avoir « perdu leur temps ».

Des effets secondaires importants

Selon le Dr Gervais, les jeunes adultes, sans être nécessairement à risque, pourraient éventuellement ressentir « une augmentation de la pression artérielle, un manque d’appétit [ou] un impact sur le sommeil ». Très peu de recherches existent sur le sujet, insiste le Dr Ogilvie : « les preuves que ces drogues aident [à étudier] sont minuscules et rares. Ce qu’on sait, par contre, c’est que les amphétamines entraînent une dépendance ».

Les risques à ne pas négliger, selon les deux experts, sont d’une part l’approvisionnement sur le marché noir et d’autre part le manque d’information lié à la prise de ces substances hors d’un contrôle médical. Si la source de la substance est inconnue, les normes sanitaires, les régulations et donc la composition de la substance le sont également. La présence possible de métamphétamines dans les amphétamines de rue est à considérer. « Les métamphétamines [chimiquement apparentées aux amphétamines], ont des effets euphorisants et stimulants qui donnent l’impression d’être invincible, l’illusion de bien performer. Mais non seulement le risque de toxicité ou de dépendance est plus élevé, mais [l’étudiant] aurait peut-être aussi bien fait [dans ses travaux ou examens] sans en consommer », prévient Dr Ogilvie.

«non seulement le risque de toxicité ou de dépendance est plus élevé, mais [l’étudiant] aurait peut-être aussi bien fait [dans ses travaux ou examens] sans en consommer».

 

Le danger de s’approvisionner par l’intermédiaire de personnes bénéficiant de prescription, en contrepartie, est le surdosage de sa consommation. Cette dernière pourrait entrainer l’apparition d’effets secondaires tels que l’augmentation de l’anxiété, des crises de panique ou une accélération anormale du rythme cardiaque, pouvant être dangereuse en fonction des individus.

« Je suis devenue irritable et émotionnelle », nous confie l’étudiante en anglais qui, après avoir consommé de l’Adderall, a vu s’amplifier son anxiété. D’autres auraient commencé à développer une dépendance : « [après la quatrième fois], il devenait encore plus difficile d’étudier qu’à l’origine », nous explique l’étudiant en gestion qui a depuis arrêté de consommer, « j’avais l’impression d’en avoir besoin ».

Des diagnostics hâtifs ?

Un thème récurrent qui est apparu au cours des entretiens est la prescription sur mensonge. Environ un tiers des 23 étudiants ont affirmé avoir au moins un ami ayant menti pour obtenir une prescription d’Adderall. « Il serait important de se demander pourquoi tant d’étudiants peuvent facilement se faire prescrire des drogues dures ou des médicaments qui changent la chimie du cerveau et comment il est possible pour un médecin de faire un tel diagnostic dans les deux minutes de consultation à la clinique sans rendez-vous », s’interroge une étudiante de quatrième année en sciences.

Dr Ogilvie rappelle cependant que le processus de diagnostic est souvent beaucoup plus complexe. Dr Gervais explique que le diagnostic de TDAH tend à être établi plus tôt dans le cheminement scolaire et qu’une fois rendu à l’université, il s’avère être long et coûteux pour le patient. La docteure reconnaît cependant que pour les médecins de famille de l’Université, il est difficile d’effectuer l’ensemble des tests et évaluations nécessaires à un bon diagnostic à cause de ressources et du temps limité à leur disposition.

« Souvent, un étudiant va venir nous voir au mois d’octobre ou au mois de novembre » souligne-t-elle, « ses notes sont plus basses qu’anticipé, peut-être qu’il pense avoir atteint son maximum, [il est en proie à] l’anxiété ou la dépression parce qu’il souffre à l’école ». Dans cette situation, les médecins de famille de l’U d’O n’auraient pas réellement le temps de réaliser les évaluations adéquates pour établir un diagnostic précis de TDAH. Certains d’entre eux auraient alors tendance à se fier à leur patient.e.s et établir une médicamentation pouvant leur venir en aide.

Pression scolaire, dépression et anxiété

Or, comme le rappelle l’étudiant en sciences infirmières, la consommation de telles substances peut avoir un impact fortement dommageable à la fois sur le bien-être et sur la santé mentale. « Une personne sous l’influence [des amphétamines ou même d’autres drogues qui soulagent le stress] est moins stressée et plus à même de bien performer », explique-t-il avant de préciser qu’« à répétition, cette personne risque d’assimiler sa bonne performance à son utilisation de drogues ». Ses niveaux de stress deviennent alors intimement liés à l’acte de consommer pour se rassurer, et c’est précisément le problème selon les deux docteurs : les personnes qui utilisent des substances ne travaillent pas pour développer d’autres stratégies plus saines.

« Plusieurs étudiants […] ne sont pas prêts et n’ont pas la capacité de prendre bien soin d’eux-mêmes, de gérer leur anxiété », explique le Dr Gervais. Un étudiant en sciences sociales explique en effet qu’il est souvent complexe de jongler vie sociale, travail et études et que « quand ça devient trop, on nous répond que «c’est la vie» et qu’il faut fonctionner parfaitement malgré l’avalanche de travaux et d’examens et les emplois à temps partiel ». Il dit viser de bonnes notes, non dans le but d’apprendre, mais plutôt pour conserver ses bourses de mérite. Il n’est pas le seul : nombreux des interrogés ressentent la nécessité d’obtenir des résultats scolaires adéquats. L’étudiante en sciences mentionne qu’elle consomme de l’Adderall en partie à cause d’une grande pression, à la fois personnelle et académique, pour valider son entrée en école de médecine.

« Quand ça devient trop, on nous répond que c’est la vie et qu’il faut fonctionner parfaitement malgré l’avalanche de travaux et d’examens et les emplois à temps partiel ».

 

Un aveuglement sur une banalisation pourtant alarmante

La Gestionnaire des relations avec les médias de l’U d’O, Néomie Duval, a affirmé que l’Université « a réalisé que certains changements étaient nécessaires à [son] approche générale [pour faire face] à la santé mentale et le bien-être sur le campus » et qu’elle avait « fait de l’excellent travail à cet égard ». Elle rappelle que l’administration ainsi que le Service d’Appui au Succès Scolaire sont au courant « d’une utilisation accrue des antidépressifs, stimulants, et autres drogues sur le campus », mais que pour des raisons de confidentialité, l’U d’O « ne collige pas ce genre d’information ». Les étudiant.e.s concerné.e.s sont néanmoins invité.e.s à se prévaloir des services de l’Université.

Pourtant, les entretiens menés par La Rotonde ont fait ressortir que cette situation est courante, voir commune, au sein de la communauté étudiante, au point où l’usage d’amphétamines, en tant que stimulant, semble s’être banalisé et avoir obtenu une place de choix aux côtés de la caféine et des boissons énergisantes. Cette pratique n’est pas confinée à un groupe particulier ni à certaines disciplines, mais existe dans l’ensemble des facultés. Les étudiant.e.s en parlent plus ou moins ouvertement, souvent sur le ton de la plaisanterie.

Il est alors important de ne pas oublier que derrière cette pratique, l’injonction à la réussite reste prépondérante. C’est l’anxiété, la peur de l’échec et la compétition universitaire qui tendent à rendre cette pratique commune. Ainsi, au lieu de s’absoudre du problème, l’Université aurait tout à gagner à s’interroger en profondeur sur son modèle pédagogique et le rapport qu’elle entretient avec sa population étudiante.

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