
Anne-Marie Roy : « La culture du viol n’a pas sa place ni en privé ni en public »
– Par David Beaudin Hyppia –
Au cœur de la polémique qui a secoué le campus ces derniers temps, la présidente de la Fédération étudiante de l’Université d’Ottawa (FÉUO) a choisi de donner, dans un entretien avec La Rotonde, son point de vue sur des questions qui entourent ce qu’elle considère comme étant «la culture du viol».
La Rotonde : Qu’entendez-vous par l’expression «la culture du viol»?
Anne-Marie Roy : La culture du viol, ça n’existe pas seulement sur le campus. C’est omniprésent dans la société. C’est souvent intégré dans la culture populaire, mais c’est aussi une attitude qui banalise et qui ridiculise la chose au lieu de la dénoncer. C’est ramener le blâme sur la femme. C’est trouver une raison pour s’expliquer cette violence sexuelle sans s’avouer qu’il y a un problème. C’est, dans le fond, de sauter par-dessus l’étape de consentement entre deux personnes, et si jamais ce consentement-là n’est pas obtenu, ce n’est pas la faute du demandeur. On entend aussi souvent l’expression « j’ai violé mon examen » ou encore « je me suis fait violer par mon exam », ce sont des expressions qui font référence à la violence sexuelle sans parler de l’enjeu qu’est la violence sexuelle. Très souvent des gens sont venus me demander comment c’était possible que des choses comme cela se produisent sur un campus et sont faites par des gens éduqués. Ça a beau être des gens éduqués, on a été élevés dans une culture qui présente la femme de façon dégradante autant dans les films que dans les vidéoclips, dans les paroles de chansons, etc. Même pour les filles, c’est difficile de s’en sortir, c’est difficile de dénoncer ce genre de comportement. Très souvent aussi, les femmes se font répondre qu’elles dramatisent, qu’au fond, ce n’est pas si grave que ça. Dans une culture du viol, on ne laisse pas le choix à la victime de décider des limites de ce qu’elle trouve acceptable ou non.
LR : Comment cette culture du viol est-elle normalisée selon vous?
AMR : Dans le fait que les gars qui me dégradaient complètement pensaient que c’était un comportement normal, et ceux qui le défendent aussi. Cela se prouve dans la validation des autres gars, qui lui disaient qu’ils allaient lui acheter une bière s’il faisait ce qu’il disait qu’il allait me faire. Ils s’encourageaient mutuellement. Malheureusement, on est entourés de cette culture du viol. Je suis certaine qu’à tous les jours, on peut trouver un incident qui a normalisé et banalisé la culture du viol. C’est tellement omniprésent que, pour certaines personnes, c’est devenu presque impossible à cerner. On aurait jamais vu de « fellation forcée » ou n’importe quoi d’autre si j’avais été un homme. Moi je trouve ça dommage. Je suis capable d’avoir des bons débats, j’aimerais qu’on me contredise pour mes idées plutôt que de me faire dégrader comme ça. Dans l’histoire des joueurs de hockey, par exemple, ce que je trouve vraiment triste c’est le fait que ça ait été camouflé pendant deux semaines. Je ne peux pas croire qu’il n’y avait pas un autre joueur qui était au courant qui ne l’a pas dénoncé. Le silence ça permet à la culture du viol de prendre place. Aussi, on critique souvent les femmes violées d’être trop dramatiques ou de dramatiser ce genre d’évènements-là, comme si elles en faisaient trop. Par exemple, la déclaration de l’Association des étudiants en criminologie « nous ne condamnons pas les gestes d’Alexandre Larochelle », me laisse vraiment perplexe. Même les associations étudiantes sur le campus ne peuvent en échapper. Même dans les bars, aucun gars va te demander pour te prendre une fesse. Tu vas juste te faire prendre une fesse pis ça finit là. Et quand la femme n’aime pas ça, très souvent la réaction des hommes c’est de banaliser le geste.
LR : On entend souvent l’argument que ces conversations étaient privées et qu’elles n’auraient pas dû être rendues publiques. Qu’en pensez-vous?
AMR : Ces conversations-là n’ont pas leur place dans le privé comme dans le public. Le fait que certains gars ont une conversation comme celle-là, même si c’est une blague et que c’est pris à la légère, je suis certaine que certains gars ne font pas la différence entre le privé et le public. Qu’est-ce qui les empêche de passer à l’acte? Moi je trouve ça inacceptable, et ça n’a pas sa place nulle part, et c’est très problématique. La conversation aurait pu aller beaucoup plus loin, entre nous on normalise la violence sexuelle, qu’est-ce que ça va être quand on va être en public? Ces gars-là ont réalisé qu’ils avaient fait une bêtise, et n’ont surement pas pensé pourquoi ils avaient fait une erreur mais ils ont certainement pensé à leur réputation. Je pense que la chose que j’ai trouvée le plus insultant dans cette affaire-là, c’est de me faire dire « écoute Anne-Marie, on t’a envoyé un courriel d’excuses, ça devrait suffire, tu devrais être satisfaite avec ça ». Ce qu’il faut se rappeler, c’est que c’est toujours à la personne qui vit l’expérience de décider quand elle est satisfaite ou pas. Je pense que les gens sont en train de réfléchir à la chose, c’est certain. Il y a des journalistes qui m’ont dit que j’étais trop dramatique. Il faut éduquer les gens sur ce que c’est et comment ça s’imprègne dans la société. C’est presque rendu inconscient, mais c’est encore possible de la dénoncer. J’espère qu’en allant de l’avant on va tous apprendre de ça et qu’il va y avoir un changement parce que les statistiques sont vraiment alarmantes, et ça concerne autant les hommes que les femmes. Tout le monde contribue à la culture du viol. Je sais que le mot est très fort, mais ce sont des comportements et des attitudes qui permettent aux viols et à la violence sexuelle d’exister dans la société.