Par Yasmine Mehdi

Étudiant.e.s du premier cycle, votre Fédération étudiante vous convie à un prestigieux évènement. Vos cartons d’invitation vous ont été envoyés par courriel: dans ceux-ci, on vous a indiqué la date, le lieu et l’heure, soit le 15 mars à l’auditorium Marion, lorsque l’horloge sonnera 18 h. L’évènement auquel vous avez été conviés n’est nul autre que l’Assemblée générale (AG), soit la plus haute instance de la Fédération étudiante de l’Université d’Ottawa (FÉUO). Avant de vous rendre à cet apogée de la politique étudiante, La Rotonde vous propose un briefing des motions proposées, mais aussi de nombreuses questions qui demeurent sans réponses.

LES MOTIONS 

POLITIQUE CENTRALISÉE SUR LES ACCOMMODEMENTS ET LES INCAPACITÉS

C’est le Mouvement étudiant révolutionnaire (MÉR) qui est derrière cette motion, appelant la FÉUO à faire pression sur l’administration pour qu’une politique centralisée sur les accommodements et les incapacités soit mise en place, conformément à la Loi sur les droits de la personne de 2010.

Jackie Boulding, étudiante en philosophie et membre du MÉR, explique : « De nombreux étudiants en situation de handicap nous ont confié que les Services d’accessibilité ne jouaient pas leur rôle. Nous trouvons que cette situation est inacceptable et qu’elle représente une barrière à l’accès à l’éducation. »

Il y aurait cependant un petit bémol quant à cette motion. En effet, selon Néomie Duval, gestionnaire aux relations avec les médias de l’Université d’Ottawa (U d’O), une politique centralisée serait déjà en voie d’être adoptée avec la collaboration de la FÉUO. Reste à savoir si cette motion saura accélérer le processus.

FONDS D’URGENCE CONTRE LA PRÉCARITÉ ÉTUDIANTE

Cette motion vise à ce qu’un fonds soit débloqué dans le prochain budget de la FÉUO afin de dépanner des étudiants ayant besoin d’aide financière dans une situation d’urgence.

Vanessa Dorimain, vice-présidente aux affaires universitaires, a contribué à la création de cette motion, en collaboration avec la table ronde des affaires universitaires. « De nombreux étudiants sont déjà venus dans mon bureau pour me parler d’une situation pour laquelle ils avaient besoin d’aide financière », a-t-elle expliqué.

D’ordinaire, la création d’un tel fonds passerait par un référendum. Dorimain explique la décision de passer par l’AG et non par les urnes : « Étant donné qu’il aurait fallu demander aux étudiants de donner 50 cents ou 1 $ pour ce fonds, nous étions certains que le référendum ne serait pas passé. »

DÉCERTIFICATION ET INTERDICTION DES GROUPES MISOGYNES

C’est encore une fois le MÉR qui est responsable de cette motion qui, comme son nom l’indique, a pour but de décertifier et d’interdire les groupes misogynes sur le campus. La motion mentionne spécifiquement l’Association canadienne pour l’égalité (CAFE), qui a tenu un évènement sur le campus le 10 février dernier.

Contacté à ce sujet, Justin Trottier, porte-parole de la CAFE, s’est dit blessé par la motion qui qualifie son organisme de groupe haineux : « Je ne sais pas quel organisme ils décrivent, mais ce n’est pas celui auquel j’ai dédié trois ans de ma vie. » M. Trottier a ajouté que la motion était diffamatoire et que la CAFE « envisagerait d’engager une procédure judiciaire si cela s’avérait nécessaire ».

Mme Boulding se défend d’avoir promulgué des accusations infondées et rappelle que, dans un éditorial écrit par David Shackleton, fondateur du chapitre ottavien de la CAFE, le féminisme était comparé au nazisme.

PRÉSENCE OBLIGATOIRE DES ADMINISTRATEURS DU CA AUX AG

Un peu de contexte : la deuxième instance de la FÉUO, après l’AG, est le Conseil d’administration (CA). Des représentants étudiants élus de chaque faculté, soit 25, y siègent : ce sont les administrateurs et les administratrices du CA.

Même si la présence de ces 25 individus à l’AG pourrait contribuer à atteindre le quorum, elle n’est pas obligatoire. C’est exactement ce que la motion vise à changer. Justin Patrick, étudiant en science politique, en est l’auteur.

Il s’exclame : « Ils sont des modèles, ils devraient se rendre aux AG et encourager les étudiants qu’ils représentent à en faire de même. »

PROMOTION DU BILINGUISME AU SEIN DE L’EXÉCUTIF

Cette motion vise à augmenter la note de passage du test de bilinguisme auquel les candidats aux élections de la FÉUO doivent se conformer. En effet, si le/la président.e doit obtenir une note de 3 sur 4 dans son épreuve de lecture et de 5 sur 5 dans son épreuve orale, ce n’est pas le cas d’autres membres de l’exécutif, qui peuvent se contenter d’un 2 et d’un 4, respectivement.

Nick Robinson, étudiant et administrateur au CA représentant la Faculté des sciences, a aidé l’Association de la culture francophone de l’U d’O à rédiger cette motion. Il commente : « On a eu l’idée d’apporter cette motion après les élections puisqu’on a remarqué que bon nombre de candidats ne savaient clairement pas parler français. »

RENDRE LA CAFÉTÉRIA PLUS ACCESSIBLE

Quel étudiant de l’U d’O n’a pas été embêté par les nouveaux règlements de la cafétéria : l’interdiction des sacs, le refus d’entrer sans forfait ou même la possibilité d’expulsion entre les repas.

C’est en réponse à cette frustration que cette motion est née. Si elle est adoptée, la FÉUO devra faire pression sur les Services alimentaires afin d’éviter les « barrières pour l’entrée à la nouvelle salle à manger ».

La Rotonde a tenté de découvrir qui était responsable de cette motion, mais sans succès. Le vice-président aux services et communications de la FÉUO, Roméo Ahimakin, a toutefois déclaré avoir « encouragé des étudiants » à déposer une motion à ce sujet.

Mystères féuosiens non-résolus

LA PARTICIPATION ÉTUDIANTE, PRÉOCCUPATION ÉTERNELLE

Avec une trentaine de personnes présentes, loin du quorum établi aux alentours de 300, la dernière AG était un flop. Cette fois-ci, la FÉUO espère se rattraper grâce à l’amnistie universitaire partielle accordée par le Sénat et à l’emplacement de l’AG, qui sera tenue sur le campus.

Ahimakin ne se leurre toutefois pas : « Ce genre de détails ne feront pas qu’on ait le quorum ou non. L’Assemblée générale est un outil pour tous les étudiants et la FÉUO va continuer de s’assurer qu’il n’y a pas d’obstacles dans le processus. »

Avec 100 affiches publicitaires, 500 dépliants, un évènement Facebook et quatre courriels, Ahimakin juge que les efforts de promotion ont été à la hauteur. M. Robinson, auteur d’une motion, affirme l’inverse : « Les membres de l’exécutif devraient être aussi présents pour promouvoir l’AG que pour se faire élire. Ils devraient parler aux étudiants et faire des présentations dans les classes, mais ce n’est pas le cas. »

QUI A DÉPOSÉ QUOI?

En principe, les motions déposées et le nom des personnes qui en sont responsables sont rendus publics. Dans les dernières années, les membres de l’exécutif divulguaient en effet ces informations. Cependant, lorsque La Rotonde a demandé à Ahimakin les noms des gens ayant déposé des motions, le v.-p. aux communications a convenu que cette information était publique, a promis de la transmettre, mais ne l’a jamais fait.

Un flou demeure donc concernant les personnes responsables de la motion sur la cafétéria. En effet, le v.-p. aux communications a assuré que : « Notre participation est moindre, nous ne présentons pas de motions, ce sont les étudiants qui les apportent. »

Un peu plus tôt, Vanessa Dorimain, v.-p. aux affaires universitaires, avait pourtant laissé entendre que son collègue Ahimakin et sa présidente, Anne-Émilie Hébert, s’étaient chargés de la motion sur la cafétéria. M. Robinson, auteur d’une des motions, soutient également avoir vu Hébert en train de faire signer une motion. Questionnée à ce sujet, la présidente a déclaré ne pas être « responsable d’une des six motions de l’AG ».

Le mystère quant à la participation de la FÉUO dans l’élaboration des motions demeure donc entier.

PROPOSER UNE MOTION : VÉRITABLE COURSE CONTRE LA MONTRE

Une autre critique ayant été formulée par les étudiants est le peu de temps qu’ils ont eu pour préparer leur motion.

M. Robinson explique : « La FÉUO nous a informés de la date limite pour remettre les motions deux jours avant le début de la semaine de lecture. Puisque la date limite était le mardi après la semaine de lecture, nous n’avons eu que trois ou quatre jours de classe pour écrire la motion, l’imprimer, et récolter 100 signatures, ce qui a été très difficile. »

Justin Patrick, responsable d’une des autres motions, a soulevé la même inquiétude : « Mes amis et moi avions une dizaine d’idées de motions, mais nous n’avons eu le temps d’en préparer qu’une seule. »

LA MOTION DISPARUE

M. Patrick a ajouté une énigme à la liste des mystères féuosiens. Dans une entrevue avecLa Rotonde, il prétend que sa motion visant à forcer la FÉUO à publier un répertoire de tous ses employés lui a été dérobée alors qu’elle comptait 70 signatures – il ne lui en restait donc que 30 à obtenir pour pouvoir soumettre la motion.

Il raconte : « La veille de la date limite, nous étions à Marion vers 19 h pour faire signer la motion. Nous l’avions déposée dans une classe en groupe de discussion. Lorsque nous sommes revenus, notre motion n’était plus là. »

Et si la motion avait été perdue, et non volée? M. Patrick est catégorique : il a passé la classe au peigne fin avant de se lancer à la recherche de sa motion dans le reste du pavillon, en prenant soin d’interroger ceux qui étaient sur son passage.

Mais pourquoi quelqu’un volerait-il une motion? M. Patrick propose une théorie qui a le mérite de faire hausser les sourcils : « Je ne vois pas qui l’aurait fait à part Campus Alliance. Je crois qu’on ne voulait pas que cette motion voie le jour et c’est pour ça qu’elle a été volée. »

Plusieurs questions, mais peu de réponses. Plusieurs motions, en espérant un peu plus d’étudiants. C’est donc ainsi que se trame la prochaine AG. Nick Robinson résume l’exaspération de plusieurs en un soupir : « J’ai l’impression que la FÉUO voit l’AG comme une conférence où les exploits de l’exécutif sont centraux, mais les préoccupations des étudiants secondaires. »