
Budget fédéral 2025 : Ottawa crée une agence dédiée à la lutte contre les crimes financiers
Crédit visuel : Élodie Ah-Wong — Directrice artistique
Article rédigé par Sandra Uhlrich — Journaliste
Selon le Centre antifraude du Canada, les pertes monétaires occasionnées par les fraudes s’élèveraient à près de 643 millions de dollars en 2024, soit une augmentation de près de 300% par rapport à 2020. À la fin octobre, le ministre Champagne a annoncé vouloir s’attaquer à cette problématique en mettant en place une stratégie nationale antifraude, une agence de lutte contre les crimes financiers, ainsi qu’un code de conduite pour la prévention de l’exploitation financière. Ces annonces ont été confirmées dans le budget rendu public le 4 novembre.
Stratégie nationale antifraude
Pour la professeure de droit Jennifer Quaid, la stratégie aurait pour vocation première de s’attaquer aux fraudes de masse et de protéger directement les particulier.ère.s de différents mécanismes de fraude. Selon elle, la stratégie vise à « renforcer les infrastructures et les expertises existantes, notamment grâce à des ressources supplémentaires ».
Elle rappelle que les fraudes, notamment celles en ligne, revêtent différentes formes, allant des cas classiques d’hameçonnage par courriel jusqu’aux arnaques amoureuses. Dans tous les cas, le but est d’exploiter les vulnérabilités des personnes ciblées. L’isolement lié à notre consommation numérique représente un facteur important : « Autrefois, les gens étaient assis ensemble devant la télé, se parlaient et discutaient de ce qu’ils voyaient ».
Si les personnes âgées restent les plus ciblées, la professeure Quaid rappelle aussi que les populations plus jeunes ne sont pas à l’abri. Au contraire, les jeunes ont tendance à surestimer leurs connaissances numériques et à se considérer moins vulnérables face à ce genre de pratique. Elle souligne :
« Les gens ne réalisent pas à quel point leurs habitudes en ligne servent à créer des profils de consommateur.rice.s qui seront ensuite utilisés contre eux.elles. »
- Jennifer Quaid -
Une fois la fraude commise, il devient difficile de traduire les coupables en justice, explique Marc Tassé, professeur adjoint à la Faculté de droit. Quaid, à ce niveau, ajoute que prouver l’intention frauduleuse est extrêmement complexe puisqu’elle n’est presque jamais avouée par personne. D’où l’importance de la prévention, insiste le professeur Tassé.
C’est précisément cet objectif de prévention que poursuit la mise en place d’un nouveau code de conduite destiné aux institutions bancaires. Celui-ci encouragera les banques à agir de manière proactive : ne pas simplement attendre un signalement de la part de leurs client.e.s, mais par exemple, intervenir directement en bloquant des transactions suspectes. Bien que ce code soit fondé sur une base d’adoption volontaire, il pourrait permettre aux banques d’acquérir un avantage comparatif non négligeable en termes de protection de leur client.e, selon Tassé.
Agence contre les crimes financiers
Élément central des annonces gouvernementales, les paramètres de cette agence restent encore flous. Le professeur adjoint en droit Noah Arshinoff perçoit cette initiative comme une détermination du gouvernement à centraliser, ou du moins à harmoniser, les ressources allouées à l’enquête sur le blanchiment d’argent et d’autres crimes financiers majeurs.
Il dresse une synthèse du système financier actuel et des processus d’enquête. D’abord, il existe le CANAFE (Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada), qui est l’organisation responsable de l’intelligence financière au pays. Son mandat est de « faciliter la détection, la prévention et la dissuasion du blanchiment d’argent et du financement des activités terroristes, tout en assurant la protection des renseignements personnels qu’il détient ». Une fois qu’une situation douteuse ou problématique est identifiée par le CANAFE, il revient à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de mener l’enquête et de recueillir suffisamment d’éléments de preuve pour poursuivre les acteur.rice.s impliqué.e.s en justice. Cette dernière étape relève du système pénal et judiciaire.
Selon une lecture sommaire du Budget 2025, les ressources nécessaires à la création d’une telle agence seraient attribuées à la GRC : « Le budget de 2025 propose d’affecter 1,7 milliard de dollars sur quatre ans […] à la GRC pour qu’elle puisse mieux contrer un large éventail de menaces liées au crime organisé transnational, aux crimes financiers et au blanchiment d’argent, tout en améliorant la qualité du renseignement et en renforçant sa capacité en matière de sécurité nationale. » Pour Arshinoff toutefois, il faudra attendre le dépôt du projet de loi entourant la création de cette agence, prévu pour le printemps 2026, afin de comprendre les pouvoirs qui lui seront attribués.
Les trois professeur.e.s s’entendent pour dire que ces initiatives devraient permettre de renforcer l’expertise concernant ce genre de crimes. Arshinoff se réjouit des perspectives de carrière, et donc de l’approfondissement des compétences, qu’une telle initiative pourrait offrir.
Finalement, pour Quaid, l’agence visera moins la justice criminelle que la sécurité et la protection du système financier canadien dans son ensemble.
