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Éditorial

Calcul pour la liberté musicale

Web-Rotonde
1 Décembre 2014

– Par le comité éditorial de La Rotonde –

Ignorer les réalités du marché du travail ne porte pas à la création de meilleurs musiciens. Plutôt, le fardeau de dette d’un diplôme en musique porte entrave à la capacité de vivre de la musique.

Le pavillon Pérez, situé discrètement au coin des rues Cumberland et Université, est autant une source de fierté pour l’Université pour sa capacité de produire des musiciens de renommée mondiale qu’une source de névrose et d’insécurité pour ses étudiants. La qualité de son enseignement est, sans doute, d’un calibre exceptionnel. Il est possible d’étudier l’interprétation, la composition, l’éducation, la pédagogie du piano, la musicologie, l’écriture et les techniques d’analyse avec des professeurs qui rayonnent dans leurs champs d’études. Ce qui n’est cependant pas discuté en entrant dans ces programmes, c’est la possibilité d’emploi une fois le diplôme en main. Sachant que la dette étudiante dépasse 28 000 $ pour la majorité des étudiants, le salaire moyen du musicien est de 10 000 $ en Ontario, l’incidence de travail autonome est de 44 % – soit cinq fois la norme nationale – et le montant de gens dans l’industrie de la musique aurait doublé par rapport à la norme nationale depuis le début des années 70. Par ces faits, il est possible d’entrevoir un groupe de gens pauvres, débrouillards et nombreux.

Un stratagème pour survivre
Ces faits, s’ils étaient examinés avant l’engagement coûteux aux études postsecondaires, feraient réfléchir plusieurs quant à la nature et la longueur de l’éducation qu’ils recherchent. La hausse de paie pour les étudiants détenant un ou même plusieurs diplômes en arts visuels ou performatifs est en moyenne seulement quelques pourcentages plus élevée que ceux ayant un diplôme du secondaire ou aucun diplôme tout court. Le moment d’entrer au marché du travail, celui-ci pouvant être retardé d’une dizaine d’années pour ceux à la poursuite d’un doctorat, est aussi à considérer, surtout dans un métier qui convoite la jeunesse. Quoique le raffinement de son pouvoir expressif soit certainement une noble ambition, nul ne peut nier le problème structurel qui afflige le monde musical.
Lorsque les dépenses annuelles de l’Ottavien typique sont mises en ligne de compte, la situation pour le musicien, ainsi que pour l’artiste dans n’importe quelle discipline sauf la gestion artistique, devient rapidement précaire. Selon les données de différents organismes, le loyer annuel pour une chambre simple s’élève à 8484 $, un laissez-passer adulte d’OC Transpo à 1209 $, 1370 $ pour l’électricité, 733 $ pour l’internet, 672 $ pour le téléphone et 3000 $ pour la nourriture, pour un total de 15 468 $. Ce coût n’inclut évidemment pas les dépenses de vêtements, dure réalité dans le creux de l’hiver; les habits de concerts, typiquement coûteux et difficiles à maintenir; les voyages, dépense incontournable pour accéder aux possibilités d’emploi à la soixantaine de postes orchestraux disponibles à l’échelle nationale; ou les sorties, partie intégrante du développement d’un réseau social qui pourrait mener à la possibilité d’emploi. Les cotisations syndicales, les assurances, les coûts de bénéfices, la couverture optique et dentale et la possibilité d’épargner sont souvent aussi mis de côté par l’artiste. Des dépenses tels le traitement de microtraumatismes répétitifs, l’utilisation de drogues et d’alcool autant comme source d’inspiration que de confort pré- et postperformance et des traitements psychologiques post-récital – événement annuel qui rassemble amis et famille et qui vaut de 3 à 9 crédits dont 100 % de la note est jugée sur la performance – sont des items qui ne se retrouvent pas typiquement dans les lignes budgétaires des artistes.
De tous ces frais, le plus crève-cœur est certainement l’achat d’un instrument, celui-ci pouvant facilement s’élever à 15 000 $ pour un instrument orchestral de base et jusqu’à 100 000 $ pour des instruments pouvant ouvrir la possibilité du poste convoité de chef de section. À noter que des musiciens dans les veines populaires peuvent eux aussi accumuler des montants similaires pour leur équipement.
Alors, dans ce calcul qui sombre largement dans le négatif, comment faire pour arriver à tout payer sans s’endetter? Selon les statistiques, il ne faut pas se faire d’illusions quant à la nature des études supérieures en musique et en arts. Celles-ci sont destinées à l’approfondissement personnel et la création d’un réseau d’amis et de compères qui servira de soutien sur le plan financier et spirituel dans le futur. Se lancer directement sur le marché du travail après les études secondaires, prendre quelques années pour développer un plan d’affaires ou même suivre un diplôme collégial en affaires pourrait offrir beaucoup plus de possibilités que d’innombrables heures passées à essayer d’impressionner son professeur avec ses trilles ou son vibrato. Le sujet de l’employabilité ne devrait jamais être un tabou dans les murs de Pérez ni dans aucune autre bâtisse universitaire. Les jeunes artistes d’Ottawa méritent de savoir quelles options leur sont disponibles puisque le piège de la dette est profond et peut saper de précieuses années créatrices des étudiants, empêchant que leur art dépasse les confins de l’Université.

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