
Conversations saines : repenser la réconciliation dans le secteur de la santé
Crédit visuel : Élodie Ah-Wong- Directrice artistique
Article rédigé par Davy Bambara— Journaliste
À l’occasion de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, Ottawa a accueilli une table ronde intitulée « Conversations saines : les relations dans la réconciliation et les soins cliniques.» Organisé par la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, le CHEO (Children’s Hospital of Eastern Ontario) et l’Hôpital d’Ottawa, l’événement a réuni étudiant·e·s, personnel médical et membres des communautés autochtones. Cette rencontre avait pour but de réfléchir sur l’intégration de la réconciliation dans le secteur de la santé.
La réconciliation au-delà des symboles
Si la réconciliation est souvent évoquée lors de cérémonies officielles, les panélistes ont insisté sur la nécessité d’aller au-delà du geste symbolique. Ensemble, ils ont échangé sur la manière d’intégrer de façon concrète les principes de réconciliation dans le domaine médical, un secteur où les inégalités historiques continuent de se faire sentir.
La rencontre, qui s’est tenue le 30 septembre dernier, s’inscrivait dans une démarche à la fois éducative et symbolique, celle de reconnaître les torts du passé tout en cherchant des pistes d’action pour transformer les pratiques cliniques actuelles. Les discussions ont mis en lumière la nécessité de repenser les relations entre les institutions de santé et les peuples autochtones.
Dès les premières interventions, Jetty Radha, pédiatre au CHEO et directrice du programme de santé autochtone, a donné le ton : « Il ne suffit pas de parler, il faut réfléchir et agir collectivement. Nous sommes tous dans le domaine de la santé, mais surtout des êtres humains, des voisins et des amis. » Ses mots ont résonné dans l’auditoire, rappelant que la réconciliation ne peut être une simple déclaration d’intention, mais qu’elle doit s’incarner dans l’action quotidienne.

Pour Radha, le constat est sans équivoque, le racisme systémique est encore présent dans les structures actuelles. Les inégalités d’accès et la méfiance persistante de nombreux patients autochtones témoignent d’un système de santé encore en développement. Elle a insisté sur le fait que reconnaître ces injustices et les transformer demande du courage.
“ Il faut reconnaître ces iniquités, admettre que nos systèmes sont encore bâtis sur des structures inéquitables, et avoir le courage de les transformer. Notre rôle comme allié.e.s, c’est d’amplifier les voix autochtones et de soutenir les initiatives portées par leurs leaders.”
- Jetty Radha-
Former une nouvelle génération de soignant.e.s
Lors de l’événement, la jeunesse était bien représentée, illustrant l’importance de donner la parole aux nouvelles générations. Montana Warbrick, étudiante en quatrième année de médecine, a souligné la portée de cette journée :
“Ce n’est pas seulement une journée pour se souvenir. C’est une invitation à agir, à remettre en question nos attitudes et à créer des espaces sécuritaires pour les patient.e.s autochtones.”
-Montana Warbrick-
Ses paroles ont mis en évidence l’importance de donner une place réelle aux jeunes voix autochtones dans les discussions sur la santé publique. Warbrick incarne une génération d’étudiant·e·s déterminée à repenser la relation entre médecine et culture, entre soin et justice.
Mais elle a aussi pointé du doigt les limites du système actuel : la formation médicale demeure trop souvent déconnectée des réalités autochtones. Bien que certaines facultés, comme celles d’Ottawa, aient intégré des modules sur la compétence culturelle et la santé autochtone, la mise en œuvre varie grandement d’un établissement à l’autre. Pour Warbrick, «beaucoup reste à faire pour que les diplômé·e·s soient préparé·e·s à répondre aux besoins spécifiques des communautés.»
Ainsi donc, les panélistes ont insisté sur le rôle crucial des institutions dans ce changement. Il ne s’agit pas seulement de sensibiliser les étudiant·e·s, mais de transformer les structures d’enseignement et surtout de former les enseignant·e·s à aborder différemment la santé . Ce travail est essentiel pour bâtir une nouvelle génération de soignant·e·s capables de conjuguer science, respect culturel et écoute.
Des pratiques de soins plus inclusives
La discussion a ensuite porté sur la nécessité d’intégrer les pratiques et savoirs autochtones au cœur des soins. Selon Radha , la médecine moderne doit apprendre à écouter. Il ne suffit pas de soigner un corps, il faut comprendre la personne, sa culture, sa langue et son rapport au monde. Rappelant qu’en ce qui concerne la santé autochtone, il faut tenir compte du bien-être physique, émotionnel et spirituel.
Dans cette optique, les parcours cliniques doivent s’adapter aux réalités vécues par les Premières Nations, les Inuits et les Métis car en effet :« Il faut créer des processus qui écoutent réellement les familles et distinguent les besoins propres à chaque communauté. Une approche unique ne peut convenir à tou·te·s.»
Une responsabilité partagée
Cette table ronde illustre la volonté institutionnelle de l’Université d’Ottawa et de ses partenaires hospitaliers de répondre aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, notamment l’appel n° 22 qui exige que les services de santé tiennent compte des savoirs et pratiques autochtones.
À travers ces échanges, le message est clair : la réconciliation n’est pas un événement, c’est un processus. Elle demande du temps, de l’écoute et un engagement constant. Les panélistes ont rappelé que la transformation se fera à travers les relations humaines. Elle se construit chaque jour, dans les gestes les plus simples comme accueillir un patient avec respect, prendre le temps d’écouter son histoire, reconnaître la légitimité de ses pratiques culturelles.
Cette rencontre a illustré que la réconciliation ne doit pas se limiter à des commémorations annuelles ou à des excuses publiques. Elle doit se vivre dans la formation des étudiant·e·s, dans la reconnaissance des savoirs autochtones et dans la remise en question de structures hospitalières. La vraie réconciliation, a conclu Radha, sera le jour où chaque patient.e autochtone se sentira accueilli.e, respecté.e et compris.e dans les hôpitaux.