
Créer pour dénoncer : l’art face aux injustices
Crédit visuel : Élodie Ah-Wong– Directrice artistique
Chronique rédigée par Bianca Raymond – Cheffe du pupitre Arts et culture
Si l’art est généralement considéré comme un moyen d’expression personnelle et de développement individuel, il peut aussi se révéler un puissant outil de revendication collective. Malgré les avancées sociales, économiques et politiques, notre société demeure marquée par des inégalités que l’art contribue à exposer, à interroger et parfois même à transformer.
L’expression de soi comme acte de résistance
Lorsque l’on me demande de definir l’art, ma réponse reste la même : il s’agit d’un moyen d’expression doté d’une force indescriptible. À mon humble avis, l’art permet de se comprendre soi-même, de se défouler, de donner forme à ce que les mots n’arrivent pas exprimer. L’art demeure, pour moi, un espace de résistance, un terrain où les voix marginalisées peuvent non seulement se faire entendre, mais se faire voir.
Nous rencontrons de nombreux.euses artistes qui ont transformer leur pratique en une forme de « révolution ». Le célèbre artiste d’art urbain, basé en Angleterre, Banksy, par exemple, met en lumière des enjeux comme l’exploitation humaine, la violence et l’absurdité des conflits armés. Son art, souvent créé dans l’« illégalité », s’impose pourtant comme une intervention publique brutale et poétique, capable de réveiller les consciences.
À Ottawa, plus près de nous, l’artiste et professeur.e Cara Tierney utilise également sa pratique comme un espace de réflexion identitaire et politique. Iel explique que, grandissant sans le langage nécessaire pour exprimer son identité queer et trans, l’art est devenu, pour la personne qu’iel est, un moyen essentiel de se construire et de s’exprimer :
"J’ai utilisé ma pratique comme un moyen de créer cette ouverture permettant aux autres d’adopter des modes de pensée pouvant faciliter leur désir d’exister au-delà des normes sociales conditionnées et restrictives."
- Cara Tierney -
Tierney souligne ainsi que l’art peut « révéler les structures, parfois invisibles, qui perpétuent les inégalités.» Pour iel, l’art se veut une manière de dépasser les normes sociales. Et les artistes qui ont tracé ce chemin offrent aujourd’hui à une nouvelle génération d’artistes la possibilité de poursuivre et de réinventer cette vision.
Langage universel
L’art a le pouvoir de rassembler des communautés entières autour d’une même injustice, justement parce qu’il s’exprime sans imposer de langage, d’idéologie ou un lexique. Il touche directement l’émotion. Face à un discours politique monotone, l’art en général possède cette capacité rare de nous atteindre là où les mots échouent. Une image, une chanson, une performance ou un geste artistique peut provoquer ce que le langage politique ne parvient pas à faire. Parce qu’une image vaut mille mots, l’art visuel peut laisser une trace durable en nous et tout renverser.
C’est aussi ce que rappelle la chanteuse franco-ontarienne Mélissa Ouimet avec sa chanson Personne ne pourra m’arrêter, devenue un symbole de résilience et de solidarité, notamment lors des mobilisations pour les droits des Franco-ontarien.ne.s. Dans un article de Radio-Canada, elle explique que l’art peut même devenir un refuge lorsque la politique étouffe la liberté. Elle rappelle aussi que la contestation peut être belle et fragile, mais qu’elle est d’abord et avant tout profondément nécessaire.
Le groupe québécois Loco Locass partage également cette idée. Depuis plus de deux décennies, il défend la justice sociale, la langue, l’identité et la participation politique. Leur chanson Libérez-nous des libéraux est devenue un véritable hymne politique, dénonçant l’immobilisme du Parti libéral de 2004; un message qui résonne encore aujourd’hui. Ainsi, le groupe montre comment la musique peut faire vibrer toute une communauté tout en l’incitant à réfléchir et à se mobiliser.
À travers son chant Journalistes en danger(Démocrature),Alpha Blondy dénonce la répression de la liberté de la presse et les violences infligées à ceux qui osent exposer la corruption ou s’opposer aux régimes autoritaires. L'artiste d'origine ivoirienne met en garde contre les dirigeants qui musellent la vérité par la force et pointe du doigt les abus de pouvoir ainsi que l’absence d’une véritable démocratie.
La résistance
Qu’il s’agisse d’une murale de rue, d’une chanson engagée ou d’une performance dérangeante, l’art continue de jouer un rôle essentiel dans la dénonciation des injustices contemporaines. En brouillant les frontières entre le personnel et le politique, il invite chacun.e à réfléchir, à se positionner et parfois à agir.
L’art ne se contente pas de représenter le monde : il le bouscule. Et tant que les injustices persisteront, il restera l’une des formes de résistance les plus accessibles, les plus créatives et les plus indomptables. Parce que les mots peuvent rassembler, mais l’art, lui, va plus loin à mon avis. L’art peut transformer.
