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Écriture inclusive : Et si le masculin ne l’emportait plus sur le féminin ? 

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9 octobre 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Chronique réalisée par Camille Cottais – Cheffe de pupitre Actualités

Utiliser l’écriture inclusive permet de rendre plus inclusive la langue très genrée qu’est le français. Cela a toujours tendance à provoquer de vives réactions au sein des pays francophones. Son usage a par exemple été interdit en France dans les écoles en mai dernier. Qu’en est-il du Canada ? Pourquoi les locuteur.ice.s de la langue de Molière devraient-ils.elles adopter ce langage plus neutre et progressiste ? 

L’écriture inclusive, aussi appelée langage neutre ou épicène, désigne un ensemble de règles grammaticales et syntaxiques visant à « dégenrer » le langage afin d’assurer une égalité de représentation entre les femmes et les hommes. L’écriture inclusive ne renvoie donc pas seulement à l’usage du fameux point médian, mais aussi au démantèlement de nombreuses conventions intériorisées par chacun.e d’entre nous.

Le français est une langue très genrée, comparativement à l’anglais par exemple. Les objets sont tous absurdement attribués d’un genre, et le pronom neutre n’existe pas officiellement, alors que l’usage du they en anglais est relativement répandu et reconnu. 

Si l’usage de l’écriture inclusive rencontre une forte résistance en France, où elle est notamment décriée par l’Académie française qui la juge illisible, non esthétique et la qualifie même de « péril mortel », son emploi est plus répandu au Canada francophone. Elle est notamment soutenue par l’Office québécois de la langue française.

De nombreuses règles

Pour permettre une meilleure visibilité du féminin dans la langue française, l’écriture inclusive propose un ensemble de règles alternatives comme la féminisation des noms de métiers et de titres (ex. : les académiciennes), la règle de proximité (ex. : les académiciens et académiciennes immortelles), la double flexion (ex. : les académiciens et académiciennes), le point médian (ex. : les académicien.ne.s) ou encore la fin du masculin générique et des antonomases (ex. : éviter l’emploi de « droits de l’Homme »).

Le point médian permet une écriture plus inclusive en rejetant le masculin générique, c’est-à-dire l’idée du masculin comme neutre, comme l’option par défaut. Contrairement à la parenthèse ou à la barre oblique, le point met sur un pied d’égalité l’implication du masculin et du féminin. 

La féminisation des titres de professions permet quant à elle de normaliser la présence des femmes dans ces métiers, mais aussi de faire en sorte de rendre possible l’identification des jeunes filles à celui-ci, un métier qui n’a pas d’équivalent féminin paraissant réservé aux hommes. On remarque également que les métiers les moins valorisés socialement n’ont jamais été privés de leur équivalent féminin.

Le sexisme avéré de la langue française

L’écriture inclusive est un combat féministe souvent incompris et très critiqué. L’importance d’un changement linguistique est souvent minimisée, sous prétexte qu’il s’agirait d’un simple détail.

Pourtant, notre langage, par son utilisation quotidienne, contribue à façonner notre société et notre façon de voir le monde, et une langue sexiste a nécessairement une influence sur la façon dont on conçoit socialement le genre. En effet, c’est en posant des termes, des mots, des expressions, que l’on définit ce qui nous entoure, et en parlant que nous sommes capables d’exprimer nos idées. Ainsi, les mots, le vocabulaire, la grammaire que nous allons utiliser reflètent les inégalités et participent à leur perpétuation.

Le langage peut être autant un outil de domination que d’émancipation. Ainsi, l’idée que « le masculin l’emporte sur le féminin » est à l’image de notre société, imprégnée par la domination masculine. Même si une classe est composée de trente étudiantes et un seul étudiant, la règle du masculin générique de la langue française nous forcera à dire « les étudiants », invisibilisant alors la majorité féminine.

Une langue devrait évoluer avec les mœurs de son temps, et ainsi les changements de la langue devraient correspondre aux changements advenant dans la société.

La performativité du langage

Le langage ne prend pas seulement acte de la réalité, il la structure. Chaque langue possède ainsi sa propre version de la réalité, comme on peut le remarquer dans la différence de perception des cris des animaux : le bruit du coq est par exemple « cocorico » en français, mais « kikiriki » en espagnol, « chicchirichi » en italien ou encore « cock-a-doodle doo » en anglais.

L’hypothèse Saphir-Whorf affirme que la langue définit notre façon de voir le monde et de réfléchir. Cette hypothèse a été testée plusieurs fois. Le linguiste Jules Davidoff a par exemple étudié la perception des couleurs chez les Himbas, un peuple du nord de la Namibie. Dans cette langue, il n’y a aucune différence entre le bleu et le vert. Il apparaît que le fait de ne pas avoir de mot différent change la perception des Himbas de ces couleurs. En effet, lors de l’expérience, ils.elles étaient incapables de distinguer le carré bleu des neuf carrés verts, alors qu’à l’inverse, ils.elles distinguaient beaucoup mieux les nuances de vert, ayant des mots pour les désigner.

Cette expérience prouve ainsi la corrélation entre la langue que l’on parle et notre perception du monde. Des exemples fictionnels se sont également basés sur cette idée, comme la novlangue dans le roman dystopique 1984 de Georges Orwell, qui suit la logique selon laquelle réduire notre champ de vocabulaire réduirait en conséquence notre champ de pensée.

Réduire les inégalités en changeant notre langage

En arrêtant d’invisibiliser les femmes par le langage, nous contribuons à la réduction des inégalités et à rétablir la parité. De même, une langue genrée, telle que le français, va imposer une vision binaire femme/homme de la société, ce qui en exclut alors les personnes non-binaires. L’inclusif recommande l’utilisation de mots neutres, non genrés, qui peuvent s’appliquer à toutes les personnes en fonction de leur préférence. Des néologismes neutres comme « auteurice » ou le pronom « iel » sont ainsi de plus en plus utilisés, notamment dans les milieux queer.

Il serait donc cohérent que les associations, les universités, les organismes, ou même les individus qui s’engagent à leur échelle dans un combat pour les droits humains et le respect de tou.te.s utilisent l’écriture inclusive, afin d’être en accord avec les valeurs qu’ils.elles prônent. Il est important de participer à la diffusion et à la normalisation de cette écriture, encore trop peu utilisée de nos jours.

Bien sûr, modifier la langue française ne va pas détruire le patriarcat du jour au lendemain, mais hiérarchiser les combats féministes est inutile. L’écriture inclusive peut avoir une influence sur les mentalités. Il est ainsi logique de vouloir la modifier dans une optique de déconstruction des stéréotypes de genre et donc d’avancée pour l’égalité des sexes, car comme l’affirme la philosophe féministe Monique Wittig, « le langage projette des faisceaux de réalité sur le corps social ».

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