Inscrire un terme

Retour
Actualités

Être hétéro, ou ne pas l’être : l’école de l’hétérosexualité

Camille Cottais
7 novembre 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Chronique rédigée par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

L’hétérosexualité est au cœur d’un paradoxe, étant à la fois omniprésente et invisible à l’œil nu. Elle est constamment valorisée dans le milieu scolaire, mais pas de manière explicite, en affirmant clairement que l’hétérosexualité est meilleure et que tout le monde devrait être hétérosexuel. C’est la leçon apprise par les élèves qui fréquentent des écoles toujours empreintes d’hétéronormativité. 

Tout au long de mon parcours à l’école secondaire, on ne parlait presque jamais d’homosexualité, mais surtout, on ne parlait jamais d’hétérosexualité : cela allait de soi. C’était la norme incontestée de notre programme scolaire, de l’attitude des enseignant.e.s et de la façon en général dont nous, les adolescent.e.s, étions élevés.

Des normes de genre hétéronormatives

Théoriquement, les écoles sont censées être mixtes, mais cela ne les empêche pas de véhiculer un discours rempli de normes de genre relatives à la sexualité. Si les garçons et les filles cisgenres coexistent, lorsqu’on y regarde de plus près, il apparaît clairement qu’ils.elles vivent des expériences éducatives très distinctes.

Dans les toilettes ou les vestiaires, les élèves sont toujours séparé.e.s selon le sexe assigné à la naissance. En plus de ne pas être inclusive pour les enfants transgenres, le but de cette séparation est de prévenir la promiscuité entre les corps féminins et masculins, ce qui repose sur l’hypothèse que tou.te.s les élèves ressentent une attirance hétérosexuelle pour l’autre sexe. Les enfants sont amené.e.s à croire que le corps féminin doit être protégé et qu’il n’est attirant que pour le regard masculin.

On retrouve la même logique dans les codes vestimentaires, imprégnés de règles sexistes et de culture du viol : on interdit les jupes courtes ou les débardeurs, comme si le corps des filles était si attirant qu’il fallait le dissimuler pour éviter que les garçons soient distraits ou aient envie de les toucher. Certains codes vestimentaires ne sont pas explicitement mentionnés dans le règlement de l’école mais sont tout de même en vigueur, comme l’impossibilité pour les garçons de se maquiller ou de porter des vêtements dits féminins.

Prouver son hétérosexualité pour s’intégrer

Si les garçons transgressent les normes de genre, ils sont rappelés à l’ordre par les adultes mais aussi par leurs camarades de classe qui établissent de manière informelle une « police du genre ».

Celle-ci s’inscrit dans la performativité du genre, qui permet aux individus de s’intégrer au groupe et se fait souvent par la démonstration de l’hétérosexualité. Les filles prouvent leur hétérosexualité en parlant des garçons et en essayant d’attirer leur attention par leur apparence, tandis que les garçons mettent en scène leur hétérosexualité en se vantant de leurs prouesses sexuelles.

Les adolescent.e.s « populaires » sont les gagnant.e.s de ce que l’on pourrait appeler « le jeu de l’hétérosexualité » : ce sont ceux et celles qui incarnent le mieux la masculinité ou la féminité. Ne pas jouer ce jeu en flirtant avec l’autre sexe revient à saboter sa vie sociale et à courir le risque d’être victime d’intimidation ou d’harcèlement. Par conséquent, les enfants queer ont deux choix : participer malgré elleux à la séduction hétérosexuelle ou rester hors du jeu, sur la touche de la culture scolaire dominante.

Une hétérosexualité par défaut

L’homosexualité n’est pas visible dans les couloirs, les manuels ou les œuvres étudiées en classe. Les représentations sont, par défaut, celles d’hétérosexuel.le.s. Les seuls moments, si nous avons de la chance, où nous parlons d’homosexualité, c’est en marge du contenu formel. Par exemple, si l’on parle de reproduction en cours de biologie, il y a des chances que l’on mentionne brièvement à la fin que « P. S. : il est aussi possible d’être homosexuel ». Le message véhiculé est que l’homosexualité est marginale, qu’elle est seulement un détail mineur. 

Comme l’exprime si bien l’écrivaine féministe américaine Adrienne Rich, « quand quelqu’un avec l’autorité d’un professeur décrit le monde et que vous n’y êtes pas, il y a un moment de déséquilibre psychique, comme si vous vous regardiez dans un miroir et que vous ne voyiez rien ». L’école est très en retard en matière d’éducation sexuelle. Il n’existe toujours pas d’éducation appropriée sur les nombreuses identifications sexuelles à l’école, où l’identité queer reste invisible et où les récents changements sociaux ne semblent pas avoir eu d’impact sur le système éducatif. L’éducation sexuelle est axée sur la reproduction, la pénétration hétérosexuelle, et donc une prétendue complémentarité des corps masculins et féminins. La sexualité est encore présentée de manière binaire : les corps masculins d’un côté et les corps féminins de l’autre. Cela implique que le sexe homosexuel, surtout entre deux femmes, n’est pas du vrai sexe : il manquerait quelque chose.

Présomption d’hétérosexualité

Les enseignant.e.s devraient également cesser de présumer que les filles sont attirées par les hommes et les garçons, par les femmes. Cette présomption d’hétérosexualité (croire que tou.te.s les élèves sont hétérosexuel.le.s jusqu’à preuve du contraire) peut être violente pour les adolescent.e.s queer dont l’identité est niée.

L’homosexualité étant hypersexualisée, nous supposons à tort que parler d’homosexualité revient à parler de sexe, et notamment de sodomie. Pourtant, nous pourrions parler de l’amour homosexuel ou de la famille, qui sont des sujets de discussion adéquats pour les enfants de tous les âges.

De même, il faut réaliser qu’être hétérosexuel.le est aussi une orientation sexuelle, tout comme être cisgenre est aussi une identité de genre. Les stéréotypes hétérocentriques véhiculés par l’éducation sexuelle ne servent à personne, quelle que soit notre orientation sexuelle, car ils confinent tout le monde à des rôles de genre très stricts et binaires en termes de masculinité et de féminité.

Ainsi, l’école reproduit les normes hétéronormatives et sanctionne les attitudes non conformes aux attentes en matière de genre. Puisqu’il est difficile d’accepter et d’affirmer son identité romantique et sexuelle si on nous enseigne la bonne façon d’être un garçon ou une fille, ce système cisnormatif et hétérosexiste peut retarder les questionnements des enfants queer et parfois même induire un refoulement de ses désirs et de son identité.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire