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Un face à face entre la police et les manifestant.e.s

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29 novembre 2020

Crédit visuel : Alicia-Marie LeJour – Contributrice

Article rédigé par Fanta Souaré – Journaliste

Pendant près de 36 heures, des manifestant.e.s se sont rassemblé.e.s depuis la mairie jusqu’au commissariat de police de la rue Elgin, le 19 novembre dernier. Organisée par Ottawa Black Diaspora Coalition, Land Defenders et la coalition de Justice for Abdirahman Adbi, la manifestation avait pour objectif de contester l’oppression systémique et la violence auxquelles font face les communautés noires et indigènes au Canada. Entre revendications, altercations et arrestations ; retour sur un événement qui a marqué les esprits.

Les trois organisations initiatrices de l’événement ont notamment pu y revendiquer leur mandat antiraciste. Le tout s’est effectué dans le respect des mesures de santé et de sécurité de la COVID-19, comme en témoigne Anne Moreau, étudiante de l’Université d’Ottawa  y ayant assisté.

Vouloir se faire entendre

Alicia-Marie LeJour, femme afro-autochone de la communauté Cree et co-présidente d’Ottawa Black Diaspora Coalition, explique qu’il y a plus d’un événement déclencheur à cette décision de manifester dans les rues. Parmi eux, l’acquittement récent de l’agent Daniel Montsion concernant le décès d’Abdirahman Abdi, à la suite d’une altercation avec la police en 2016 à Ottawa. En conséquence, les proches du jeune homme ont fondé Justice for Abdirahman Abdi, qui demande justice. 

Selon elle, cette affaire s’ajoutant à la mort récente de Joyce Echaquan au Québec, a accentué les inquié­tudes concer­nant la santé et la sécu­rité des commu­nau­tés indi­gènes et noires, qui ont mené à la déci­sion de mani­fes­ter. Épuisée de crier à haute voix sur la colline parlementaire, LeJour affirme que sa communauté ne croit plus en les promesses vides des politicien.ne.s, et qu’il est nécessaire d’agir.

De même, Victoria Marchand, militante, organisatrice et membre de la communauté Anishinabe, détaille que les revendications relèvent du niveau institutionnel. Elle explique que les demandes officielles sont de geler le budget de la police, d’interdire cette dernière sur les territoires contestés autochtones, ainsi que de mettre fin aux saisies dynamiques.

Au niveau de l’éducation, elle insiste sur le besoin de mettre fin au programme de visite de la police dans les écoles, d’interdire les propos racistes dans les salles de classes, d’augmenter le financement destiné aux étudiant.e.s noir.e.s et indigènes. Des fonds devraient, selon Marchand, être envoyés vers la crise de santé publique du racisme systémique, pour mettre fin au racisme dans les services sanitaires et les services public, tout en finançant des logements plus sécuritaires et abordables. 

LeJour explique que l’idée de bloquer l’intersection de la rue Nicholas et de l’avenue Laurier, était d’occasionner un dérangement pour que les autorités prêtent attention à leurs revendications. Si la coalition avait pour but de tenir son action pendant 24 heures, elle a décidé de persévérer pour se faire entendre, mais cela ne s’est pas fait sans difficulté.

Débordements violents

Une femme blanche a tenté de traverser la foule de manifestant.e.s au volant de son véhicule, rapporte la co-présidente d’Ottawa Black Diaspora Coalition. La police n’est pas intervenue, et deux personnes ont dû se rendre à l’hôpital suite à cela. Si elle déclare avoir lancé une enquête, LeJour explique que rien n’a été fait pour le moment, et que ce n’était qu’une tactique pour déplacer les manifestant.e.s. Cette situation contraste avec le fait que lorsqu’une organisatrice noire s’est rendue sur le site en voiture pour apporter des provisions, elle a été harcelée par la police.

Les contestataires ont aussi eu à faire à des contre-manifestant.e.s. LeJour explique qu’un homme blanc avec un chapeau portant l’inscription Make America Great Again, serait arrivé sur les lieux avec des intentions néfastes. Après 30 minutes de négociation avec la police, il aurait, d’après elle, reçu plus d’empathie et de compassion que les manifestant.e.s.

Droits bafoués, promesses brisées

Le vendredi soir, deux réunions à la mairie ont été finalement programmées avec la police et des membres du conseil municipal pour le samedi 21 novembre. LeJour explique que cette nouvelle a permis à la majorité de la foule de rentrer chez elle. Dans la nuit, 12 des 20 manifestant.e.s encore présent.e.s ont cependant été arrêté.e.s par le corps policier. 

Les deux organisatrices insistent sur le fait qu’elles avaient reçu des promesses des autorités, et du chef de police lui-même, que cela ne se produirait pas. Pour la co-présidente d’Ottawa Black Diaspora Coalition, il s’agissait d’une tactique de répression pour que les manifestant.e.s baissent les bras, car ils.elles coûtaient du temps et de l’argent à la ville. En démentelant la manifestation, les autorités ont fait le choix de « garder les blanc.he.s heureux.euses », déclare-t-elle.

Marchand cite la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la Charte des droits et libertés ainsi que la Loi des Indiens pour insister sur son droit juridique fondamental de manifester. Protégées en justice par leurs cartes de statut d’Indiens, elle affirme que la police a brimé leur propre loi coloniale en arrêtant des personnes Anishinabe.

Et si « les membres du conseil municipal maintiennent qu’ils.elles n’étaient pas au courant que les manifestant.e.s seraient arrêtés », Marchand assure que permettre des actes violents et faire des promesses de réconciliation dans le même souffle est un illogisme. Les organisatrices ont donc refusé de se rendre à la réunion planifiée. 

Mensonge et manque de respect

Marchand explique que ses possessions spirituelles, incluant de la sauge et un tambour cérémoniel, ont été confisquées durant les arrestations. Ce n’est que le lendemain qu’un membre du conseil municipal lui a révélé de façon anonyme qu’elle pourrait retrouver ses effets personnels à une certaine adresse. Cependant, Marchand a retrouvé ses biens personnels par terre, dans un lot de sable près d’une toilette portative sur le côté de la rue. L’organisatrice dénonce que le manque de respect envers leurs objets sacrés était un acte de violence délibérée et illégale. 

Elle trouve insensé que le corps de police se vante de compléter plus de 50 heures de formation de sensibilisation culturelle en un an pour se comporter ainsi. Si la police atteste avoir consulté un organisme communautaire indigène avant de se débarrasser des objets, l’activiste juge qu’il s’agit d’un mensonge illogique et flagrant puisque la police est incapable de citer l’organisation, et qu’il est impossible qu’elle ait pu la contacter samedi à quatre heures du matin. 

Marchand note que la police était présente tout au long de l’évènement, mais avait un rôle majoritairement observateur, l’un d’eux portant une bande bleue représentative du contre-mouvement Blue lives matter. D’après elle, quand la police s’adresse aux médias, elle justifie ses actions en prétextant avoir démantelé la manifestation pour protéger les gens présents. Si c’était toutefois le cas, elle ne serait pas venue avec l’intention de dépasser les manifestant.e.s en nombre pour les appréhender, explique-t-elle. 

Manque de visibilité

LeJour se dit elle offusquée par le manque de présence médiatique à l’événement. Elle souligne qu’en dehors de The Aboriginal Peoples Television Network, la presse a mis trop de temps à arriver. Peut-être la presse n’a-t-elle pas jugé qu’il s’agissait d’un événement suffisamment sensationnel pour faire la une, a-t-elle surenchérit. En outre, l’activiste explique que promouvoir l’événement auprès du public s’est avéré difficile en raison de la censure sur les réseaux sociaux et de cette absence de la presse.

« On est plus fort.e.s ensemble ! Le système ne veut pas qu’on reste solidaire, parce que quand on vient ensemble les choses peuvent basculer. Je crois réellement que le changement est possible sinon je ne ferais pas ce boulot, et ça commence avec l’amour et le support. Ce n’est pas fini ! », conclut LeJour. 

LeJour rappelle que la cause ne se limite pas qu’à un moment donné, que c’est un combat ardent et permanent. Elle demande aux gens, surtout les personnes blanches, de sortir de chez eux.elles. Elle ajoute que s’il y avait eu plus de gens présents les choses n’auraient pas fini de la manière dont elles ont fini. Les deux organisatrices promettent de faire du bruit, tant que leurs revendications ne sont pas entendues, et comprises. 

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