Inscrire un terme

Retour
Opinions

Il faut plus qu’un diplôme

Rédaction
8 avril 2019

Par Patrick Lagacé

De 1991 à 1995, j’ai participé à la publication de La Rotonde. J’y ai trouvé une école de vie, j’y ai confirmé ma vocation : le journalisme.

Le premier texte que j’ai publié dans le journal était je crois une recension de livre, un truc épouvantablement ronflant et présomptueux, si je me souviens bien. À 19 ans, on a le droit d’être ronflant et présomptueux.

Je suis rapidement passé à la section nouvelles, où je me suis fait les dents. Je ne me souviens plus sur quoi j’écrivais à l’époque, sur les affaires de la Fédération étudiante, j’imagine. Je me souviens très bien en revanche de ce sentiment de vertige en lisant mon « byline », ce petit espace où le nom du journaliste est écrit, en haut de l’article.

La Rotonde fut le lieu de toutes les expérimentations, de toutes les folies. Ce fut le sel et le poivre et la sauce piquante de mon bac.

Ce fut un lieu sérieux, aussi : nos textes sonnaient les cloches du pouvoir étudiant et du pouvoir de l’administration du campus, parfois. Nous suscitions des réflexions qui n’auraient pas pu exister autrement.

Un exemple ? Un de nos journalistes a enquêté sur une forme ou une autre de malversation commise par un prof, j’ai oublié la crosse en question. Mais je n’ai jamais oublié le nom du journaliste : Daniel Leblanc. Des années plus tard, c’est lui qui a sorti les articles dans le Globe and Mail qui ont révélé ce qu’on allait appeler le scandale des commandites, qui embarrassa sérieusement le gouvernement Chrétien.

J’oubliais : quant au prof, il fut forcé de démissionner après l’enquête de Daniel dans La Rotonde. C’est aussi à ça que servent les journaux étudiants, en plus de permettre aux étudiants en poésie de se faire publier et aux étudiants en génie de faire jeux de mots dans les titres des résultats sportifs : à garder un œil sur les institutions, pour les forcer à mieux se comporter.

****

En 1992-93, suis devenu chroniqueur à La Rotonde, en plus d’être chef de la section Nouvelles. J’ai appris sur le tas à faire de la chronique, métier que je fais encore aujourd’hui. De 1993 à 1995, j’ai continué la chronique tout en étant rédacteur en chef du journal. Ce fut une expérience inestimable, le socle de ce que je suis devenu professionnellement.

C’est ce que je veux vous dire aujourd’hui, en reprenant la plume dans mon vieux journal : il faut plus qu’un diplôme.

À mon entrée à l’Université d’Ottawa, je croyais que ce qui ouvrait les portes, c’était le diplôme. J’avais tout faux. Si vous visez un métier où le diplôme est obligatoire, c’est en partie vrai. Ingénieur, avocat, médecin : vous n’accèderez pas à  ces professions sans le bon diplôme. Mais il y a tout un spectre de métier qui n’exigent aucun diplôme précis. Le journalisme fait partie de ces métiers. On ne m’a jamais demandé une copie de mon diplôme (heureusement, je ne l’ai reçu qu’il y a quelques années) ou de mes notes (une mesure complètement inutile pour juger du potentiel d’un jeune journaliste).

Ce qui m’a ouvert des portes, c’est ce que j’ai fait hors de mon bac, sur le campus. C’est La Rotonde. Je m’y suis fait les dents, j’ai écrit, écrit, écrit, écrit et j’ai réfléchi au métier. Quand j’ai commencé à travailler, j’avais un moignon d’expérience, mais j’en avais. J’avais l’expérience d’écrire, de couvrir des événements, de gérer la controverse. Inestimable.

Même si vous visez un métier où il faut un diplôme, s’impliquer dans la vie étudiante est un plus, un atout important. Je connais peu d’employeurs qui vont embaucher des robots asociaux dont la grande qualité est d’avoir obtenu des A+ dans chacun de leurs cours. Si vous avez décroché des A+ dans tous vos cours, mais que vous n’avez aucun sens de l’initiative, aucun jugement, aucun sens du travail d’équipe et aucune énergie, bonne chance pour faire progresser votre carrière.

C’est le meilleur conseil que je peux donner aux personnes qui lisent cet article : impliquez-vous sur le campus. Vous allez apprendre des choses que vous ignoriez, vous allez développer des muscles que vos cours ne développeront pas. Ces muscles sont aussi importants que décrocher un A+ à votre examen final…

Peut-être même plus importants.

La Rotonde fut pour moi un havre où apprendre et m’épanouir, tout en ayant du plaisir. Pour d’autres, c’était la Fédération étudiante, la radio étudiante, le club d’échecs ou d’environnement, ou alors GRIPO…

J’y ai connu des amis que j’ai encore, des amis chers qui comme moi voulaient changer le monde en faisant du journalisme. Quand nous avons investi le marché du travail, nous nous sommes tous auto-pistonnés partout où nous le pouvions : les premiers jobs sont toujours les plus difficiles à obtenir.

***

Petit aparté politique.

J’ignore tout de la réalité du campus de l’Université d’Ottawa en 2019. Je ne prétendrai pas la connaître non plus. Mais je suis stupéfait d’apprendre que le financement de cette institution est en danger. Si je comprends bien, les étudiants pourront désormais cocher quels organismes étudiants ils désirent appuyer, au début de l’année…

En théorie, cela est formidable. Qui peut être contre ça ?

En pratique, ça ne fait que favoriser l’individualisme en plus d’affaiblir le collectif. Bien sûr que des étudiants vont juger que donner 5$ à un organisme comme La Rotonde est une perte d’argent, mais ce faisant ils affaibliront la qualité de l’information et la diversité des sources d’information à propos de leur milieu de vie.

La droite militante rêve depuis des années de faire au syndicalisme ce qu’elle fait présentement à La Rotonde : elle aimerait que l’adhésion à un syndicat — et le paiement de la cotisation syndicale qui vient avec — ne soit pas obligatoire. Cela affaiblirait fatalement le mouvement syndical. Qui en profiterait ? Le Pouvoir, au sens large.

En sapant le financement des journaux étudiants, c’est exactement ce que le gouvernement Ford fait : il s’assure que les contrepoids de la vie démocratique soient plus faibles. Ce qui ne profite qu’aux forts.

Longue vie à La Rotonde. J’espère que vous allez survivre à cette mauvaise passe.

*****

Impliquez-vous. Faites autre chose qu’étudier, sur ce campus. C’est une forme d’investissement dans votre carrière, ce qui est une forme d’investissement dans votre bonheur, quand on y pense : le travail compose le tiers de nos vies, sinon plus. C’est long, passer le tiers de son temps à faire quelque chose qu’on n’aime pas.

En vous impliquant dans un organisme comme La Rotonde, ou quelque autre organisme, mouvement, club, fédération, etc., sur le campus, vous allez ouvrir vos horizons et développer des muscles qui ne se développent pas autrement, disais-je.

Et vous allez découvrir des intérêts qui ne se découvrent pas forcément en classe, dans les livres, dans les examens.

Ce fut mon cas.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire