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Georges Sioui | « Recirculariser la société »

27 janvier 2014

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– Par Marc-André Bonneau et David Beaudin Hyppia –

Nous sommes arrivés au bureau de M. Sioui, où une bonne odeur de sauge parfumait l’air. Une dame qui passait devant son bureau s’est exclamée « Smells like barbecue! », on a tous ri. M. Sioui, grand homme mince à l’allure sereine, se dressait devant nous. De sa voix calme, il nous a remerciés d’être venus le rencontrer. Fondateur du programme d’études autochtones de l’Université d’Ottawa et auteur de multiples ouvrages fondateurs qui proposent une vision de l’histoire de l’Amérique du point de vue des Premières nations. La Rotonde a eu la chance de s’entretenir avec ce grand esprit.

La Rotonde : Pourquoi avoir choisi l’histoire comme discipline?
George Sioui : Au début, mes professeurs m’ont dit « qu’est-ce que tu viens faire en histoire, les Amérindiens sont supposés aller en anthropologie! C’est eux qui s’intéressent à vous autres! ». Je leur ai dit que mon père m’a dit de faire d’autres livres d’histoire, et non pas de faire d’autres livres d’anthropologie. J’ai été un peu têtu et je suis resté là-bas, mais je n’ai pas bénéficié de beaucoup d’aide de la part des historiens, c’est surtout des sociologues, des philosophes et des anthropologues qui m’ont aidé. Éventuellement, j’ai été en contact avec des gens comme Claude Lévi-Strauss aussi. En histoire, je n’ai pas trouvé personne pour vraiment s’intéresser à ce que je voulais faire. Mais, je sentais que c’était dans le domaine de l’histoire que les Amérindiens ont momentanément perdu la bataille. C’était le meilleur chemin pour moi de créer des ponts avec la société. On se frappe toujours aux mêmes murs, c’est toujours l’incompréhension entre les deux cultures. J’ai toujours trouvé qu’il fallait réinterpréter l’histoire de façon à se rencontrer, se comprendre. Parce que quand on fait l’histoire d’un point de vue amérindien, ce n’est pas vraiment de l’histoire. C’est de la philosophie.

LR : Croyez-vous que l’histoire amérindienne de l’Amérique ait une portée universelle?
GS : Oui, parce que le but de cette histoire, c’est de redécouvrir la circularité de la vie, l’interdépendance entre tous les éléments de la création. À ce niveau, c’est une histoire universaliste, qui veut que les gens comprennent une autre façon d’apprécier la vie.

LR : A quel moment de votre vie avez-vous réalisé qu’il était nécessaire de réécrire l’histoire?
GS : J’étais très jeune. Quand je suis revenu de l’école après ma première leçon d’histoire, j’étais sous le choc. On nous avait dit que nos ancêtres avait été cruels et qu’ils n’ont pas su apprécier ce que les « bons » missionnaires nous apportaient. Mon père m’a dit « il ne faut pas croire cette histoire-là, ce n’est pas de la vraie histoire. Un jour, tu pourras t’occuper d’écrire d’autres livres d’histoire. Nos peuples ont été bons avec les Européens et les Français, ont essayé de s’entendre avec eux autres et se sont entendus beaucoup avec eux. » Malheureusement, ce qu’ils ont écrit dans les livres d’histoire ne représente pas notre réalité.

LR : Quelles sont les sources d’indignations qui vous ont amené à réécrire l’histoire?
GS : Ce qui était surtout indignant, c’est qu’on était présenté comme des peuples qui n’étaient pas totalement rationnels et qu’on ne cherchait qu’à se battre et à guerroyer. Ils évoquaient que si les Européens n’étaient pas venus ici, on aurait continué à s’entre-détruire. Ça faisait de nous des sous-humains, et ça niait notre rationalité. On n’était pas, selon eux, des gens adéquats pour atteindre un niveau de civilisation.

LR : Si vous commenciez vos réflexions en ce moment, auriez-vous les mêmes sources d’indignations, de révoltes?
GS : Oui, je pense que cela n’a pas changé substantiellement. Je pense qu’on n’a pas tellement avancé, comme société, pour s’accepter. Pendant trop longtemps, il y a eu trop de préjugés qui ont été véhiculés dans les livres d’histoire, dans les écoles. Ce qui a changé, c’est que la société est maintenant plus consciente qu’il faut que cela soit un effort collectif. Ça prend de l’éducation. Il faut s’éduquer entre nous. La crise environnementale concorde avec tout cela aussi. Ça aide les gens à se rendre compte qu’on ne s’en va pas vraiment dans une bonne direction, comme société. On a besoin des ressources de tout le monde. Les gens ont un sens que quelques réponses à ces questions peuvent venir, et doivent venir, des peuples amérindiens. Ça, ça a changé.

LR : Ainsi, vous trouvez qu’on retrouve, dans le discours environnementaliste et féministe, une philosophie similaire à la philosophie circulaire des Premières nations?
GS : Oui, le mot recirculariser l’humanité ou la société est vraiment à l’ordre du jour, parce qu’on aurait des sociétés circulaires et matricentristes. Et aujourd’hui, le discours, environnementaliste et féministe de ces groupes-là, vient se ressourcer dans nos idées. Il y a de plus en plus de monde qui pensent et qui sont conscients, et qui font un pas dans notre direction. Et nous dans la leur aussi, parce qu’on a toujours été privés de participer, alors c’est notre désir, comme celui de n’importe quel peuple ou individu, de contribuer à quelque chose pour l’ensemble de la communauté.

(Suite dans la prochaine édition)

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