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Hôpitaux psychiatriques ou prisons psychiatriques ?

Camille Cottais
8 février 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail – directrice artistique

Article rédigé par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

Historiquement, les hôpitaux psychiatriques ont été le lieu de nombreux abus : tortures, stérilisations forcées, lobotomisations, tentatives de changer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre… Si ces pratiques appartiennent maintenant au passé, de nombreux témoignages éclatent pour mettre au jour la persistance d’abus et de maltraitances au sein des institutions psychiatriques.

Virgile Mougin-Filstroff, 23 ans, a été hospitalisé à l’hôpital psychiatrique (HP) pour la première fois à 14 ans. Sur Twitter, il dénonce les violences médicales qu’il a vécu, et a notamment lancé le hashtag #LaPsychophobieEnHPCest afin d’encourager d’autres personnes à témoigner.

Virgile décrit plusieurs cas de négligences de la part du personnel lors de cette hospitalisation, tels qu’une infirmière lui criant dessus alors qu’il fait une crise d’angoisse ou un patient l’ayant harcelé sexuellement sans qu’aucun.e soignant.e ne réagisse. Celui-ci l’a même plaqué contre le mur en lui disant qu’il devait accepter d’avoir des relations sexuelles avec lui. « J’ai essayé de le repousser de toutes mes forces, j’ai crié, mais je n’ai pas reçu d’aide. Il m’a harcelé tout le long de ma première hospitalisation là-bas, soit environ un mois et demi », déplore-t-il.

Virgile se réfugie alors dans la lecture. Il passe son temps à lire dans sa chambre, endroit où il se sent le plus en sécurité, avant que les soignant.e.s ne le privent de ses livres pour le forcer à sociabiliser, fermant à clé sa chambre durant la journée.

Selon Virgile, ces abus sont la norme dans les HP. « On ne prend pas soin de nous là-bas, on nous enferme, on nous violente, on nous humilie et on nous punit de ne pas rentrer dans le moule neurotypique. Nos conditions de vie étaient pitoyables, il n’y a rien de thérapeutique à ça », dénonce-t-il.

Abus du passé et abus du présent

Daves Holmes est professeur titulaire à l’Université d’Ottawa en sciences infirmières et travaille dans le milieu psychiatrique depuis 36 ans. Bien qu’on ne puisse plus parler aujourd’hui de tortures, explique-t-il, il reste toujours des vestiges de mauvais traitements dans les HP. Ces derniers peuvent se présenter sous diverses formes : négligences, utilisation de mesures restrictives et punitives, ou encore atteinte aux droits et libertés individuelles des patient.e.s.

Au-delà des mesures coercitives, pour Holmes, « la négligence, c’est déjà de la violence » : ne pas parler aux patient.e.s, les laisser sans activités, sans aller dehors, ne pas être à leur écoute ni répondre à leurs interrogations…

L’administration de médicaments supplémentaires, parfois sans que le.la patient.e n’en soit informé.e, peut également constituer une forme d’abus, affirment l’ancien patient et l’ancien soignant. Virgile explique que lorsque les patient.e.s étaient en crise, les infirmier.ère.s n’étaient pas à l’écoute mais cherchaient à les mettre sous sédation « pour avoir la paix ».

Alors qu’il était âgé de 14 ans, on a prescrit à Virgile une longue liste de médicaments : un antidépresseur, deux neuroleptiques, un anxiolytique et un thymorégulateur. « Les grosses doses de médicaments me détruisaient le cerveau. Je ne pouvais même plus faire une addition basique, j’avais d’énormes problèmes de mémoire et j’ai mis des mois à récupérer intellectuellement après l’arrêt des médicaments », témoigne-t-il.

Déshumanisation et infantilisation

Holmes explique qu’il existe en HP toutes sortes de contrôles (des cigarettes, du téléphone, des sorties…) et de règlements (activités obligatoires, heure de coucher imposé…). Ces privations de libertés ne sont, selon le professeur, pas toujours nécessaires et mènent à une infantilisation des patient.e.s.

Virgile décrit en effet une multitude de règles et de privations, dont certaines paraissent davantage punitives que thérapeutiques. Lorsqu’il est arrivé à l’HP, il se souvient que les infirmier.ère.s ont fait l’inventaire de ses affaires pour lui retirer rasoir, parfum, déodorant, téléphone, chargeurs, et même nourriture.

Holmes déplore que dans les HP, les soins ne soient pas personnalisés, tou.te.s les patient.e.s étant traité.e.s de la même manière. Les procédures sont standardisées et donc déshumanisantes. Il faudrait selon lui travailler à « humaniser ces milieux déshumanisants », en tentant le plus possible d’individualiser les soins.

Une « institution totale »

Holmes continue en affirmant, reprenant l’expression de Goffman, que les HP, au même titre que les prisons, sont des « institutions totales », c’est-à-dire des lieux surcontrôlés, où des individus sont enfermé.e.s et vivent une vie recluse, selon des règles très rigides. Tout y est pris en charge, et les patient.e.s/détenu.e.s sont à la merci du système, devenant extrêmement dociles, constate-t-il.

Selon Holmes, ces institutions, qui ont avant tout pour but de contrôler les individus qui s’y trouvent, sont pathologiques : « Ce n’est pas seulement le patient qui est pathologique, c’est aussi l’hôpital comme tel », affirme-t-il. Selon lui, les institutions psychiatriques sont bien plus dangereuses que les patient.e.s qui s’y trouvent. Virgile surenchère : « La psychiatrie est un organe de pouvoir et de contrôle, dont le but est de faire rentrer les fols dans la norme sociale, dans le moule neurotypique. »

Ainsi, les HP mettent en marge les fols de la société tout comme les prisons le font avec les criminel.le.s, et les relations entre personnel soignant et patient.e.s peuvent ressembler à celles de gardien.ne.s des prison et des détenu.e.s, confirme Holmes.

En outre, les institutions totales se défendent lorsqu’on les attaque, soutient le professeur, rendant difficile la dénonciation de ces abus par les patient.e.s tout comme les soignant.e.s. « Si tu témoignes, tu sais que ça peut se retourner contre toi », explique Virgile, qui reçoit beaucoup de messages privés sur Twitter de personnes qui aimeraient témoigner mais n’osent pas par peur des conséquences.

Quelles solutions ?

Holmes reste optimiste. Selon lui, les choses sont en train de changer. Il évoque par exemple le mouvement du rétablissement en santé mentale (recovery), où le.la patient.e est considéré.e comme un.e partenaire des soins. Holmes rappelle l’importance de communiquer avec les patient.e.s, de les rassurer, de justifier toute intervention et de répondre à leurs questions sans s’offusquer, afin que le milieu hospitalier soit véritablement thérapeutique. 

« Le problème principal, c’est que l’institution psychiatrique sert à nous contrôler, et non à nous aider », déclare Virgile, qui a totalement perdu confiance en la psychiatrie.

Virgile aimerait voir se développer plus d’alternatives à l’hospitalisation, comme des méthodes de pair-aidance ou la possibilité d’avoir des soins de santé mentale à domicile. Il dénonce également le recours abusif à la contention et à l’isolement, qu’il souhaiterait voir interdire.

Finalement, de meilleures conditions de travail pour les soignant.e.s, et davantage de moyens financiers et humains, pourraient garantir le respect de la dignité des patient.e.s et pousser les soignant.e.s à faire preuve de plus de bienveillance et d’empathie. De la même façon, avoir des soins de santé mentale abordables et de qualité aiderait à prévenir les hospitalisations.

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