Crédit visuel : Nicholas Monette – Directeur artistique
Chronique rédigée par Nonibeau Gagnon-Thibeault – Journaliste
La Chine a mené une vaste campagne clandestine de financement envers au moins 11 candidat.e.s aux élections fédérales de 2019, selon le Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS), a révélé Global News. Les médias traitent du sujet sous l’angle de la nécessité de moderniser les lois sur l’espionnage, mais aucun ne questionne le rôle central du financement privé dans cette affaire. Cela révèle l’état inquiétant de notre système médiatique et politique.
La nouvelle de Global News mentionne que des candidat.e.s du Parti libéral du Canada et du Parti conservateur du Canada auraient reçu des fonds qui proviendraient du Parti communiste chinois (PCC). Il est notamment indiqué qu’un.e candidat.e aurait eu jusqu’à 250 000 dollars lors des dernières élections fédérales, via un député provincial de l’Ontario qui agirait comme intermédiaire pour le PCC.
Profiter du système de financement privé des élections
La stratégie alléguée de la Chine serait de financer indirectement les campagnes électorales de candidat.e.s afin de leur acheter de l’influence. Avec cette influence, les intermédiaires pourraient demander aux élu.e.s qu’ils.elles ont financé.e.s de mettre en place au sein de leur cabinet des employé.e.s affilié.e.s à Beijing, tel.le.s que des légisateur.ice.s. Ainsi, ceux.celles-ci seraient en position d’influencer les politiques publiques canadiennes en faveur des intérêts de Beijing.
« Il faut accepter la réalité qu’un.e politicien.ne peut n’avoir aucune idée d’où proviennent ces fonds », explique Dan Stanton, un ex-agent de renseignement du SCRS qui est cité comme expert dans l’article de Global News. La pression qu’ont les candidat.e.s à soutirer le plus de financement possible durant les élections crée une attitude négligente chez eux.elles quant à savoir d’où proviennent ces fonds. « Ils.elles veulent avoir de l’argent et du soutien, mais qui est derrière ça ? », insiste-t-il en entrevue avec La Rotonde.
Stanton relate qu’il y a une indifférence chez la classe politique. « On se fait dire “Où est l’espion ?” Il n’y en a pas. “Ont-ils volé des secrets classifiés ?” Non. “Où est donc le problème ?” C’est une menace grise, subtile ». Les visées du PCC visent les gains à long terme sans nécessairement avoir d’objectifs précis à court terme, expose l’ancien conseiller à la Sécurité nationale de Justin Trudeau.
Le SCRS propose une réforme des lois sur l’espionnage
Stanton explique qu’il n’y a rien dans les lois canadiennes permettant de poursuivre ceux.celles qui financent des candidat.e.s pour une entité étrangère, telle que le PCC. « Le SCRS a le pouvoir d’enquêter, mais il n’y a pas de législation pour une conséquence prosécutoriale », affirme-t-il.
Stanton, comme d’autres experts en sécurité nationale, propose de réformer les lois sur l’espionnage afin de pouvoir s’attaquer aux intermédiaires qui financent des candidat.e.s pour des pays étrangers. Il donne en exemple l’Australie, qui a adopté le Foreign Influence Transparency Scheme. Cette loi demande aux personnes et entités qui se livrent à certaines activités au nom d’entités étrangères de s’inscrire dans un registre.
Et le financement public des élections ?
L’affaire est révélatrice du rôle important des fonds privés dans le financement des élections canadiennes et de l’influence que cela procure. Bien des corporations usent de la même stratégie dans le but que les politiques publiques reflètent leurs intérêts privés.
60 % des Canadien.ne.s croient que leur gouvernement privilégie les intérêts de pouvoirs établis au détriment de ceux des citoyen.ne.s ordinaires, selon un sondage publié en 2019 par le Centre Morris J. Wosk. Cette impression est confirmée par une étude de l’Université Laval qui note qu’il semble y avoir peu d’évidence concernant une influence directe de l’opinion publique sur les politiques canadiennes.
Ne serait-ce pas davantage pertinent d’instaurer le financement pleinement public des élections afin de protéger les Canadien.ne.s de l’influence de grands intérêts, qu’ils soient de grandes corporations ou des pays étrangers ? Est-ce que mettre sur place un registraire est vraiment l’option la plus efficace pour stopper l’interférence étrangère ?
Ces questions sont totalement écartées de tous les médias canadiens, la plupart appartenant à de grandes corporations dépendant des revenus publicitaires. Ces publicitaires sont aussi souvent de grandes corporations, qui ont un intérêt financier à maintenir le statu quo.
Créer la peur de l’Autre
On peut lire des titres sensationnalistes sur l’allégation, où l’on parle du « péril » auquel ferait face le Canada. Ceci rappelle le trope raciste du « péril jaune », qui construit les peuples « orientaux » comme étant une menace pour le Canada.
Stanton nuance l’ampleur du danger que cette affaire représente. « C’est grave, mais ce n’est pas si grave que ça », relativise-t-il. Il souligne l’importance de ne pas tomber dans la xénophobie et d’éviter le profilage racial. « Il n’y a pas de problème avec les étudiant.e.s étranger.ère.s et l’immigration », affirme-t-il.
Cette incapacité profonde des médias de remettre en question le système de financement politique au profit de la peur de la Chine est inquiétante. C’est à se demander si les réelles menaces pesant sur la démocratie canadienne ne sont pas plutôt intérieures qu’extérieures.