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Arts et culture

Jeux criminels et traductions infidèles 

Culture
22 octobre 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Chronique rédigée par Marie-Ève Duguay – Cheffe du pupitre Arts et culture 

La série coréenne,Le jeu du calmar, du réalisateur Hwang Dong-hyuk, fait fureur sur Netflix. Cependant, malgré le grand succès de l’œuvre, il semblerait que les traductions vers l’anglais et le français laissent énormément à désirer.

Plusieurs amateur.ice.s s’en sont pris aux traducteur.ice.s de Netflix sur les réseaux sociaux. Dans un tweet, une auditrice coréano-américaine s’est exclamée que ceux et celles qui ont visionné Le jeu du calmar en suivant les sous-titres en anglais n’ont « pas regardé la même série » que ceux et celles qui l’auraient visionné dans sa langue d’origine.

À vrai dire, ne parlant pas coréen, je n’ai originalement pas remarqué de failles lors de mon visionnement des neuf épisodes. Il est vrai que le dialogue audio traduit en français et en anglais ne correspondait pas toujours au sous-titrage, mais cela ne perturbait tout de même pas l’expérience. 

Ce n’est que lorsque je me suis lancée dans le rabbit hole (j’ai tenté de traduire l’expression mais, ironiquement, je n’ai pas été capable de trouver les mots justes) de l’univers de Gi-hun que j’ai découvert que la série à laquelle je venais de dédier plus de dix heures aurait pu m’offrir du contenu de qualité supérieure. 

Opportunités manquées

La même spectatrice qui s’est prononcée sur Twitter a donné dans une vidéo TikTok l’exemple du personnage 212, Han Mi-nyeo. Son personnage provient d’une classe sociale plus basse et se sert souvent de jurons. Toutefois, son dialogue se fait « stériliser » et ne reflète aucunement son caractère de bandit, d’après la tiktokeuse

Afin d’illustrer son point, l’auditrice se sert également de la scène lors de laquelle les joueur.euse.s doivent choisir un partenaire pour le jeu de billes. Dans la version traduite de cet épisode, Han Mi-nyeo s’exclame qu’elle « n’[a] jamais pris la peine d’étudier et [qu’elle] est pourtant très intelligente ». Nous aurions plutôt dû lire : « Je suis très intelligente, mais je n’ai jamais eu la chance d’étudier ». Toujours selon la spectatrice, cette nuance peut sembler banale, mais elle ferait toute la différence quant à la compréhension du personnage et des défis auxquels la joueuse 212 a dû faire face.

D’après un article rédigé par Sharon Kwon, les titres honorifiques qui sont donnés aux personnages ont également été bâclés, de sorte qu’ils ne traduisent pas correctement les relations entre les joueur.euse.s. Kwon explique que Ali, migrant pakistanais, utilise le terme « sajangnim » pour s’adresser à ses coéquipier.e.s. Ce titre, qui est surtout utilisé en coréen pour désigner son.sa patron.ne, se fait traduire à « sir » en anglais et à « monsieur » en français.  « Cela minimise complètement l’impact qu’a l’auto-déclaration d’infériorité [d’Ali] sur l’histoire et sur le reste des personnages », mentionne Kwon. Au fur et à mesure que l’épisode avance, les personnages deviennent de plus en plus inconfortables par la manière dont Ali s’adresse à eux.elles, mais la traduction n’arrive malheureusement pas à justifier cet inconfort.

Toujours selon Kwon, plus tard dans le jeu, Sang-woo demande à Ali de l’appeler « hyung », terme qui signifie « grand frère » et qui représente une relation basée sur le respect et l’équité. Netflix a complètement omis le terme et, en forçant Ali à appeler Sang-woo par son prénom, la scène de trahison entre ces deux joueurs est devenue beaucoup moins frappante et choquante.

En rétrospective, il m’est extrêmement dommage de constater ces lacunes : pour une série dont la prémisse se base sur les inégalités sociales et sur les relations interpersonnelles, il aurait été primordial de bien transmettre les propos des personnages.

Défis considérables

S’il est vrai que certains aspects de l’émission ont échappé aux spectateur.ice.s qui ne parlent pas le coréen, il faut tout de même comprendre que la traduction n’est pas toujours évidente à faire.

Jinhyun Cho, qui se spécialise en traduction de l’anglais vers le coréen, souligne dans un article que Le jeu du calmar fait face à plusieurs barrières langagières. De fait, plusieurs termes coréens n’existent simplement pas ni en français ni en anglais. Elle fait savoir que c’est un problème qui affecte toutes les langues et toutes les cultures : Cho se sert du terme « intraduisible » pour décrire le phénomène.

La mauvaise traduction n’a néanmoins pas fait tant de dommage ; Le jeu du calmar est d’ailleurs évalué à cinq étoiles sur Netflix et est en voie de devenir sa série la plus écoutée.

J’aurais bien aimé pouvoir mieux comprendre les nuances et les relations entre les personnages dès le départ. Cela ne m’empêchera pourtant pas d’écouter la deuxième saison ; je serai de toutes oreilles (ou de tous yeux) pour les nouveaux épisodes, bonne traduction ou non.

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