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Journée mondiale de l’autisme : la « sensibilisation » ne suffit pas

Camille Cottais
2 avril 2023

Crédit visuel : Marie-Ève Duguay – Rédactrice en chef 

Chronique rédigée par Camille Cottais – Secrétaire de rédaction

Créé par l’ONU en 2007, le 2 avril est la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme. En théorie, cette journée vise à informer sur les troubles du spectre autistique (TSA) et à promouvoir l’inclusion des personnes autistes dans la société. Pourquoi cette journée, et le mois qui l’accompagne, sont-ils alors si critiqués par la communauté autiste ?

L’autisme est une différence neurologique naturelle, souvent décrite comme se déployant sur un spectre. Au Canada, selon l’Enquête canadienne sur la santé des enfants et des jeunes de 2019, un.e mineur.e sur 50 (2 %) a reçu un diagnostic de TSA, dont quatre fois plus de garçons (un sur 32) que de filles (une sur 125).

Beaucoup d’événements organisés dans le cadre de ce mois d’avril, comme des conférences et des campagnes de récolte de fonds, sont en réalité nuisibles. L’emphase est souvent mise sur les souffrances des personnes autistes, quasi exclusivement des enfants, et l’argent recueilli finance principalement des recherches pour un soi-disant remède, plutôt que de nous aider réellement nous, personnes autistes. Des changements sont donc nécessaires dans la façon dont nous considérons cette journée, ce mois, et l’autisme en général.

Sensibilisation versus acceptation

En 2020, l’Autism Society of America (ASA) fut la première à remplacer le terme sensibilisation (awareness) par acceptation (acceptance), mais ce changement de paradigme ne fut pas suivi par les autres pays ou dans le monde francophone. Si cela peut sembler n’être qu’un détail, le choix du langage révèle la perspective adoptée sur l’autisme. L’acceptation est le fait de recevoir favorablement quelque chose, alors que la sensibilisation est simplement le fait d’en être conscient.e.

Dans le cas de l’autisme, deux modèles s’affrontent : la sensibilisation vise à ce que l’on sache que l’autisme existe, tandis que l’acceptation vise à inclure et faire accepter les personnes autistes telles qu’elles sont. La sensibilisation se concentre sur les difficultés, les lacunes ; l’acceptation met en avant ce que les personnes autistes savent et peuvent faire. La sensibilisation implique une volonté de guérir l’autisme, de l’effacer, tandis que l’acceptation comprend que cela n’est ni possible ni souhaitable. Les personnes autistes préfèrent donc le terme acceptation à celui de sensibilisation, car nous voulons être supporté.e.s, inclus.e.s et accepté.e.s, et non pas pathologisé.e.s ou regardé.e.s avec pitié.

Sont associés avec la sensibilisation à l’autisme plusieurs symboles et idées, comme la couleur bleue, le symbole du puzzle, Autism Speaks, l’utilisation du terme « une personne avec l’autisme », la considération de l’autisme comme maladie, ou encore l’insistance sur le fardeau que représenterait l’autisme pour les personnes « atteintes » et leurs proches (particulièrement leurs parents). À l’inverse, sont associés avec l’acceptation de l’autisme la couleur rouge, la fierté d’être autistes, l’inclusion, le symbole infini, l’utilisation du terme « personne autiste », ou encore le hashtag #ActuallyAutistic.

La couleur rouge est préférée au bleu pour représenter la journée du 2 avril, car le bleu est associé à la campagne « Light It Up Blue » lancée par Autism Speaks en 2010, une association fortement critiquée par les personnes autistes pour ses pratiques préjudiciables. Le rouge est ainsi préféré, ou l’arc-en-ciel pour symboliser l’idée d’un spectre. Quant au symbole du puzzle, il fut créé en 1999 par l’ASA et est lui aussi associé à une histoire et des idées capacitistes. L’idée même du puzzle implique qu’il nous manquerait quelque chose, ou que notre cerveau serait un mystère pour les personnes allistes (non-autistes). Le symbole de l’infini est largement préféré par les personnes concernées.

Ainsi, ce mois n’a pas mené à une amélioration des conditions de vie des personnes autistes, mais au contraire à leur infantilisation, à de la désinformation et à la propagation de stéréotypes. Le stéréotype le plus nuisible est sûrement l’idée selon laquelle on pourrait et devrait guérir l’autisme.

On ne guérit pas l’autisme

La journée de sensibilisation à l’autisme est ancrée dans le modèle médical du handicap, présentant l’autisme comme une tragédie, une pathologie, voire même une épidémie. À l’inverse, le modèle social du handicap reconnaît que celui-ci n’est pas lié à une déficience de l’individu, mais à une société inadaptée à la neuroatypie, qui nous force à rentrer dans la norme plutôt qu’à nous laisser vivre comme nous sommes. Autrement dit, c’est la société qui doit changer, pas nous !

L’autisme n’ayant rien d’une maladie, mais se rapportant plutôt à une manière différente de voir et de penser le monde, il est impossible de l’attraper ou d’y trouver un remède. Certains parents tentent néanmoins d’utiliser sur leurs enfants différentes thérapies, des antibiotiques, des antifongiques, et même de soi-disant « traitements miracles », comme différents régimes alimentaires (sans gluten, caséine, lactose…), des injonctions de vitamine B12 ou même de l’eau de Javel ! D’autres prétendent faussement que l’autisme serait causé par les vaccins ou les polluants environnementaux.

Autism Speaks, une des plus grandes associations du monde sur l’autisme (ou plutôt contre l’autisme), incarne à la perfection le capacitisme du modèle médical du handicap. Leur but est ouvertement de soigner voire d’éradiquer l’autisme, dépeint comme un monstre, un ennemi contre lequel il faudrait se battre. En 2010, seulement 4 % de leur budget aidait les personnes autistes, contre 44 % accordé à la recherche (d’un remède, des causes de l’autisme, d’un test prénatal). Autism Speaks est pourtant soutenu par de nombreuses célébrités, comme Céline Dion et Lady Gaga.

Dans le nom même de l’association, l’utilisation du terme « Speaks » est révélatrice : les personnes autistes ne pourraient pas parler pour elles-mêmes, n’auraient pas de voix. Ce sont ainsi les parents qui « militent », cherchant à se débarrasser de l’autisme qui leur aurait enlevé leur enfant. Or, l’autisme est indissociable de la personne, c’est quelque chose que l’on est et non que l’on a ou qui nous arrive. La seule manière de se débarrasser de l’autisme est donc l’eugénisme ou le génocide. C’est ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale, les personnes autistes ayant fait partie des 270 000 personnes handicapées éliminées par les nazis avec le programme Aktion T4.

Rien sur nous sans nous

Le mois de l’autisme est un mois sur nous, mais sans nous. Les personnes autistes sont rarement consultées : nous sommes exclues des conversations, des conférences et autres événements organisés dans le cadre de ce mois.

C’est le principal problème de cette journée et de ce mois : les voix des personnes neurotypiques recouvrent celles des personnes concernées. Le problème se retrouve également dans la culture populaire, où la majorité des films et séries sur l’autisme (Atypical, Rain Man, Music…) sont faits sans consulter les personnes autistes. Des stéréotypes sont alors propagés, comme l’archétype du petit garçon autiste blanc, isolé socialement, fan de trains, de science-fiction ou fort en mathématiques. Il a généralement du mal à interagir avec les filles, est représenté comme puéril, malpoli et manquant d’empathie, et ses parents souffrent de devoir élever cet enfant hors du commun…

On ne le répétera jamais assez : l’autisme est un spectre. Il ne touche pas seulement les enfants, les personnes blanches, les garçons. Ces stéréotypes ont des conséquences tangibles, les femmes, les personnes non binaires, les adultes, et les personnes racisées étant encore largement sous-diagnostiqué.e.s.Il n’est pas si compliqué d’être un.e allié.e de la communauté autiste. Acceptez tout simplement les personnes autistes comme elles sont, et ne parlez pas de ce sujet à leur place. Utilisez « mois d’acceptation de l’autisme » plutôt que « mois de sensibilisation à l’autisme ». Invitez des personnes autistes pour parler de l’autisme lors des événements sur ce sujet. Partagez sur les réseaux sociaux des posts faits par des personnes autistes. Boycottez Autism Speaks. Rejetez les termes capacitistes et eugénistes « autisme Asperger » ou « high/low functioning ». Arrêtez de dire aux personnes autistes qu’elles « n’ont pas l’air autistes » parce qu’elles ne ressemblent pas à votre neveu autiste qui a 8 ans. Faites jouer les personnages autistes par des acteur.ice.s neurodivergent.e.s. Fournissez des accommodements à vos élèves, vos étudiant.e.s et vos employé.e.s.

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