
La communauté étudiante inquiète face aux agressions : le dispositif sécuritaire de l’U d’O questionné
Crédit visuel : Élodie Ah-Wong- Directrice artistique
Article rédigé par Lê Vu Hai Huong — Journaliste
Un nombre croissant de cas d’agressions dans divers lieux, dont les résidences, les bibliothèques et les pavillons, ont récemment été signalés par la communauté étudiante de l’Université d’Ottawa sur Reddit. Quel message cela envoie-t-il sur la sécurité et la prévention dans cet établissement universitaire?
L’histoire à plus de 800 000 vues
À la bibliothèque Morisset, une étudiante en troisième année de l’école de gestion Telfer affirme qu’un homme l’a sexuellement agressée . Suite à cet incident, elle a lancé un appel aux autres étudiant.e.s sur Reddit le 20 octobre dernier. Sa publication initiale a attiré l’attention de plus de 800 000 personnes, notamment de personnes affirmant avoir été ciblées par le même individu.
L’Université a pu identifier et bannir cet individu du campus, grâce à la plainte déposée par cette étudiante au Service de la Protection. C’est ce qu’indique le porte-parole de l’Université, Jesse Robichaud, dans un courriel à La Rotonde (LR). Il poursuit en précisant que le service de protection a transmis le dossier à la police d’Ottawa. Ceci signifie que la police pourrait arrêter cet agresseur si celui-ci décide de revenir au campus, explique la victime qui souhaite rester anonyme sur Reddit.
Une autre étudiante en deuxième année en marketing, qui préfère également rester anonyme, affirme avoir fait face à une expérience similaire impliquant le même homme l’année dernière.. En entrevue avec LR, elle estime que, même si l’individu est banni du campus, les employé.e.s ne le reconnaîtraient pas forcément et pourraient ne pas lui demander de quitter les lieux s’il revenait. Elle a aussi peur que cette solution entraîne un effet de psychologie inversée, l’encourageant à tester les limites.
Riham Serrakh, étudiante en troisième année en économie internationale et développement, exprime la même inquiétude, ayant vécu des épisodes similaires. Elle note que le campus n’est pas fermé et que bannir quelqu’un ne garantit pas qu’il ne reviendra pas.
Un climat de manque de confiance
Carly Huber, coordinatrice des campagnes au Syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa (SÉUO), est responsable de l’initiative « Plus sûrs ensemble ». Huber met en lumière des témoignages selon lesquels des agent.e.s du Service de la protection ont fait preuve d’un manque de discernement et n’ont pas su aborder la situation de manière respectueuse pour la victime. Elle dit douter qu’ils.elles disposent d’une formation adéquate en prévention de la violence sexuelle.
Des résidences ou des zones de risque ?
Pourtant, les recours aux services d’urgence n’apportent pas toujours l’aide attendue, selon l’histoire d’une mère anonyme sur le groupe Facebook University of Ottawa Parents Group.
Elle raconte que sa fille et ses colocataires ont tenté de contacter le Service de la Protection, puis 911, sans succès. Lors de leur échange, l’opérateur « a dit que les services d’urgence peuvent seulement intervenir en cas de lésions corporelles et si ce sont bien les agent.e.s de sécurité universitaire qui les appellent ».
Qu’est-ce qui a mené ces étudiant.e.s à appeler, en premier lieu ? Un homme tentait de collecter les numéros et réseaux sociaux d’étudiantes dans plusieurs résidences, y compris sa fille, en se faisant passer pour quelqu’un cherchant à emprunter un téléphone. D’après sa publication du 31 octobre dernier, le Service de la Protection n’a réagi qu’après plusieurs appels faits par les étudiant.e.s.
« Il est alarmant que leur besoin de sécurité [des étudiant.e.s] ne soit pas considéré comme une priorité »,
- Elita Uch, coordonnatrice du Centre de ressources féministes (CRF) du SÉUO -
Pourtant, selon le porte-parole de l’U d’O, « les gardes de sécurité du Service de la protection sont présents sur le campus 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et ce, pendant toute l’année ».
Une sécurité à repenser
Pour contacter efficacement le Service de la Protection, l’étudiante anonyme de troisième année en marketing suggère d’utiliser différents canaux : téléphone, courriel ou l’application secureUO. Elle souligne aussi l’importance de conserver des preuves : « Les photos que j’ai prises de cet homme ont permis de faire avancer les choses de manière significative », explique-t-elle.
Elle encourage d’ailleurs les étudiant.e.s à signaler tous les incidents, même non résolus, afin de créer un dossier.
Pour Uch et Huber, l’U d’O devrait investir plus d’argent dans des programmes de prévention contre la violence sexuelle. De plus, Serrakh, Uch et l’étudiante anonyme recommandent d’augmenter le nombre de patrouilles effectuées par les agent.e.s du Service de la protection. Ces propositions sont formulées parce que les étudiant.e.s rencontré.e.s par la coordinatrice du CRF ont affirmé ne pas se sentir en sécurité, surtout dans les bibliothèques principales, les cages d’escalier ou aux arrêts de bus. L’étudiante en économie internationale et développement ajoute que les caméras de l’Université ne peuvent pas couvrir tous ses alentours, ce qui rend la présence physique des gardes de sécurité plus qu’importante.
Pour la coordinatrice des campagnes du SÉUO, « une sécurité accrue ne signifie pas nécessairement une sûreté accrue ». Chaque jour, elle constate que certain.e.s gardes ont tendance à discuter entre eux.elles plutôt que de surveiller activement leur environnement.
Pour un changement plus profond, Huber met l’accent sur la nécessité de transitionner d’une culture de violence vers une culture du consentement, où chacun.e peut s’exprimer et se faire comprendre.
« L’Université a la responsabilité d’entendre leurs préoccupations [de la communauté estudiantine] et d’améliorer sa réactivité, d’autant plus que ce service est financé par les étudiant.e.s », avance l’étudiante anonyme en troisième à l’École de gestion Telfer.
