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Par Noémie Calderon Tremblay – Journaliste
Il y a celles et ceux qui ne vivent qu’avec elle, qui s’en passent, qui n’y ont pas accès, qui la portent aux nues et qui en font leur bouc émissaire. Il y a aussi tou.te.s les autres qui ne savent pas trop quoi penser de la prestation canadienne d’urgence (PCU) ou de la prestation canadienne d’urgence pour les étudiant.e.s (PCUE). Personnellement, je fais partie des gens qui sont un peu mélangés et qui tentent tant bien que mal de comprendre comment elle a été conçue et quelles seront les répercussions de sa mise en place. J’ai donc tenté dans cette chronique d’entamer une réflexion sur cette fameuse prestation.
Avant de débuter, je précise que malgré toutes les critiques qui sont faites sur la PCU, je reconnais et j’estime qu’elle est essentielle pour un grand nombre de canadien.e.s.
La PCU selon le site officiel du gouvernement du Canada est « un soutien financier aux employé.e.s et aux travailleur.euse.s indépendant.e.s canadien.ne.s qui sont touché.e.s directement par la COVID-19 ». Pour y être admissible, on doit entre autres avoir un revenu mensuel inférieur à 1000$, et avoir travaillé pour un revenu de 5000$ minimum dans les 12 derniers mois. Les canadien.e.s qui y ont accès reçoivent 2000$ pour une période de quatre semaines.
À la base, elle devait être disponible pour seize semaines. En juin, le gouvernement du Canada a décidé de la prolonger pour une durée de 8 semaines.
Ce qu’on en dit
La facilité avec laquelle on peut avoir accès à la PCU suscite de nombreuses questions auprès des canadien.ne.s qui craignent que de la fraude soit commise. En effet, selon un article de Radio Canada (RC) la PCU est disponible pour presque tou.te.s les canadien.ne.s qui en font la demande et ce qu’ils y soient admissibles ou non.
L’article annonce cependant qu’un projet de loi a été mis en place par le gouvernement comportant des amendes et même des peines de prison pour ceux qui auraient demandé la PCU sans y avoir droit.
Fannie Blanchet est une artiste vivant à Québec et travaillant habituellement dans le milieu de la restauration ; actuellement elle vit sur la PCU.
Avant même que le gouvernement ne ferme les entreprises, le restaurant où elle travaille a fermé ses portes, soucieux de mettre en danger ses employé.e.s et ses client.e.s.
« J’ai eu une greffe rénale, il y a environ deux ans. Je suis donc une personne immunosupprimée et une personne à risque d’attraper la COVID-19 », confie-t-Blanchet. Elle ne pourra par conséquemment pas revenir au travail en présentiel tant qu’il n’y aura pas de vaccin. Puisqu’elle est une personne à risque, son compagnon a également dû cesser de travailler.
La PCU lui permet donc d’effectuer les dépenses de base, mais « il n’y a pas de surplus », souligne-t-elle. Celle qui ne tarit pas d’éloge à l’égard de ce programme croit « que cette aide était la bienvenue pour beaucoup de monde. »
Cependant, certain.e.s disent qu’il s’agirait d’un frein à l’économie, comme l’exprime le ministre québécois du Travail, Jean Boulet dans un article de RC, qui affirme que la PCU « est aujourd’hui devenu un frein pour la reprise économique, dans la mesure où des travailleur.euse.s préfèrent réduire leurs disponibilités ou retarder leur retour au travail pour bénéficier de la PCU tout l’été. »
Elle créerait, selon lui, une fausse pénurie de main-d’oeuvre. Stéphane Drouin, le directeur général du Conseil québécois du commerce de détail, souligne qui n’est pas contre la PCU, mais se demande si elle est toujours pertinente à cette phase du déconfinement : « Il y a des employé.e.s qui essaient de jouer un peu avec le système. Ce n’est pas la majorité, mais il y en a qui essaient tout simplement de ne pas revenir au travail. Ils ou elles aiment mieux rester avec la PCU à la maison et profiter un peu de l’été. »
Blanchet rapporte que si la PCU n’avait pas été là, elle et ses autres collègues qui ont pu y avoir accès se seraient retrouvé.e.s avec de grandes difficultés financières. Elle indique aussi que « l’association des propriétaires d’immeubles n’a absolument rien fait pour aider les locataires et les propriétaires », et que certain.e.s de ses proches ont eu beaucoup de difficulté à payer leur loyer, malgré l’aide financière du gouvernement.
La PCU maintenant et demain
Il est important de se rappeler que ce n’est pas parce qu’on arrête de travailler dans la sphère publique qu’on arrête de travailler tout court. Je suis peut-être naïve, mais je crois que sincèrement que peu de personnes se sentent accomplies à écouter la télévision toute la journée ou à faire une activité dite non productive.
Personnellement, je me sens débordée à la maison aussi. Je découvre chaque jour, des tâches et des problèmes personnels dont je dois m’occuper. Je n’imagine même pas la situation de parents qui doivent s’occuper de leur enfant à temps plein ou d’un artiste qui doit garder sa pratique professionnelle active.
L’instauration de la PCU est venue mettre pleins feux sur un autre débat qui a lieu depuis plusieurs années : l’instauration d’un revenu minimum garanti.
Un concept qui permettrait à tout.e.s les citoyen.ne.s d’avoir accès à un montant d’argent de base par mois ou par an. Il s’agit d’un type de programme qui existe déjà à plusieurs endroits comme la Finlande, l’Alaska ou Singapour.
Dans un article pour RC, Wayne Lewchuk, professeur d’économie émérite à l’Université McMaster à Hamilton, énonce que le gouvernement Trudeau s’est aperçu que la PCU était moins difficile à administrer qu’un programme comme l’assurance emploi, par exemple.
Monique Bégin, ancienne ministre du bien-être social, affirmait déjà en 1970 que ce programme « devrait coûter moins cher parce qu’on se défait de nombreux bureaucrates […] et donc les frais d’administration seraient uniques au lieu d’être multipliés par une courtepointe de programmes de toutes sortes. »
Blanchet indique qu’elle est en faveur de la mise en place d’un revenu minimum garanti. Elle y a réfléchi, et « c’est une solution qui me plait, je pense que ça aidera à solidifier le tissu social et ça permettrait d’éviter que les gens se retrouvent complètement démunis. »
La PCU freine peut-être le retour au travail à l’heure actuelle, mais elle permet sans aucun doute à de nombreuses personnes de vivre tant bien que mal durant cette pandémie. Dans tous les cas, elle remet en question notre rapport à la productivité et à la notion de travail. Bref, ce n’est pas parce que le monde semble s’être mis en pause qu’il ne l’est réellement.