
« La province, c’est notre point d’ancrage » : entrevue avec l’honorable Edith Dumont, lieutenante-gouverneure de l’Ontario
Crédit visuel : Kenneth Sidibe — Créateur de contenus
Entrevue réalisée par Camille Cottais — Rédactrice en chef
La Rotonde a eu l’honneur de s’entretenir avec l’honorable Edith Dumont, 30e lieutenante-gouverneure de l’Ontario, à l’occasion de sa venue sur le campus. Première Franco-Ontarienne à exercer cette fonction, Mme Dumont détient deux diplômes de l’Université d’Ottawa (U d’O) et a mené une grande carrière dans le secteur de l’éducation.
La Rotonde (LR) : Pouvez-vous expliquer de manière simple le rôle et les responsabilités d’une lieutenante-gouverneure ?
Edith Dumont (ED) : Au Canada, nous avons un gouverneur général qui représente le Canada, un.e lieutenant-gouverneur.e dans chacune des provinces canadiennes, et un.e commissionnair.e dans les trois territoires.
Le rôle du ou de la lieutenant.e-gouverneur.e se divise en trois volets. Sur le plan constitutionnel, je suis la gardienne d’un gouvernement responsable et représentant la population de l’Ontario. Je signe également les projets de loi, les amendements, et tout ce qui est en lien avec de nouvelles lois dans la province. Je suis une figure apolitique, je ne représente aucun parti : j’incarne la province.
Mon rôle est également protocolaire. Je reçois dans les appartements de la lieutenant.e-gouverneure les dignitaires avant qu’ils rencontrent le gouvernement. Enfin, je suis présente dans la communauté ontarienne. Je remets des distinctions et je valorise les actions citoyennes dans la province.
LR : Quel a été votre rôle dans le récent déclenchement des élections en Ontario ?
ED : C’est un moment important comme lieutenante-gouverneure de l’Ontario. Ma responsabilité constitutionnelle est d’assurer la continuité des processus démocratiques.
D’abord, le Premier ministre vient à la rencontre de la lieutenante-gouverneure. Alors j’ai rencontré M. Ford, et, sous sa recommandation, j’ai accepté que l’on déclenche les élections.
Ensuite, j’ai signé l’ensemble des décrets avec Élections Ontario. Puis, quand le gouvernement a été confirmé, M. Ford est revenu me voir pour me présenter son nouveau cabinet exécutif. Mardi dernier, nous avons eu la cérémonie d’assermentation, durant laquelle chaque nouveau.elle ministre a prêté serment à la Couronne. C’est une cérémonie très protocolaire, durant laquelle je signe leur serment d’allégeance.
La prochaine étape sera mi-avril. Je vais aller à l’Assemblée législative pour qu’elle vote le ou la Président.e de la Chambre. La dernière étape sera de lire le discours du trône du Premier ministre en Chambre.
Donc, la province suit des processus qui sont enchâssés dans notre fonctionnement démocratique monarchique, et moi je suis la gardienne : j’entends et j’approuve.
LR : Après plus d’un an dans ce rôle, à quoi ressemble une journée typique dans vos fonctions ?
ED : Aujourd’hui, c’est une journée typique. Ce matin, j’ai prononcé une allocution pour l’ouverture de la conférence Michel Bastarache, qui m’a donné l’opportunité de parler de la francophonie en Ontario, au Canada et à l’international, de l’importance des droits acquis pour les francophones, et de l’importance d’un système juridique qui dessert la population dans les deux langues officielles du Canada.
Puis, nous avons visité l’Université d’Ottawa, où j’ai étudié. Nous avons fait le tour de la Faculté d’éducation, l’endroit où j’ai passé le plus de temps lorsque j’étais étudiante. J’ai eu des conversations avec des étudiant.e.s au bac, en maîtrise et au doctorat. Et puis, je termine ma journée avec une entrevue avec vous, La Rotonde !
Cette journée-là, je pourrais la passer aussi à Toronto, à Peterborough, à visiter un collège, à rencontrer un groupe communautaire, à engager une conversation.
Parfois, je reste dans les appartements de la lieutenante-gouverneure, qui sont à Queen’s Park, et c’est moi qui accueille les gens. Par exemple, à l’occasion du Mois de l’histoire des Noir.e.s, nous avons accueilli des élèves d’une école élémentaire avec des personnes de la communauté noire qui sont venus nous parler de leur parcours de vie dans divers secteurs professionnels.
Il y a quelques jours, nous avions une soirée littéraire. Nous avons accueilli des auteur.ice.s dans les appartements de la lieutenante-gouverneure et nous avons lu de la poésie, fait l’analyse d’un roman et parlé de l’importance des clubs de lecture.
Alors, c’est une fonction qui va à la rencontre des autres, mais aussi qui accueille. C’est absolument ravissant de voir comment les communautés à travers l’Ontario sont généreuses, vibrantes et engagées dans leur milieu.
LR : Qu’est-ce qui vous a inspirée à suivre cette carrière, et comment votre parcours à l’U d’O a-t-il contribué à cette trajectoire ?
ED : Je suis partie un été pour faire du travail communautaire au Rwanda. On m’avait affectée à l’hôpital, mais j’ai pu rester seulement deux jours, parce que ce n’est pas un milieu dans lequel je me sens bien.
Ils ont tout de suite vu que j’étais pâle, et ils ont dit « si tu peux, on va t’envoyer enseigner ». Il y avait juste à côté une petite école, je suis allée enseigner et ça a été un coup de foudre pour moi.
Je suis revenue au Canada après quatre mois. J’ai arrêté la maîtrise à Montréal. Je suis revenue faire des études à Ottawa pour faire un deuxième bac en orthopédagogie, puis une maîtrise en éducation. L’U d’O a été comme une deuxième famille pour moi. C’est un milieu dans lequel j’ai évolué et où je me suis énormément épanouie comme personne.
LR : Vous êtes la première francophone à occuper ce poste. Que représente cette réalisation pour vous ?
ED : Je viens de l’Est de l’Ontario, qui est une communauté très francophone. En fait, je pense que jusqu’à l’âge de 12 ou 13 ans, je croyais que l’Ontario était une province francophone ! Je me sens privilégiée d’avoir fait toutes mes études en français, jusqu’à l’université.
Être la première Franco-ontarienne et la quatrième femme à occuper ce poste, ce fut selon moi une réalisation dans le cheminement d’une province qui embrasse pleinement sa diversité. Je l’ai davantage accueilli d’un point de vue institutionnel que personnel. La diversité, dont la francophonie fait partie, est une richesse pour cette province.
LR : En quoi le rôle de lieutenante-gouverneure vous permet-il d’avoir un impact positif sur la communauté ?
ED : L’impact qu’on peut avoir comme lieutenante-gouverneure se fait à deux niveaux. Premièrement, lorsque l’on ouvre les portes pour accueillir les membres de la communauté : tou.te.s les Ontarien.ne.s devraient se sentir les bienvenu.e.s à Queen’s Park, qui est leur maison.
Deuxièmement, lorsqu’on va à la rencontre des communautés pour leur dire merci, sans porter de couleur politique. Ce merci est un geste d’amour envers des citoyen.ne.s qui apportent une différence dans la vie de leur communauté. Je ne m’attendais pas à ce que cela touche autant les gens. Je suis impressionnée de voir que, peu importe l’âge, peu importe les autres certificats ou médailles qu’ils ont eus, les gens sont touchés.
L’expérience la plus marquante depuis le début de mon mandat fut probablement lorsque j’ai remis l’Ordre de l’Ontario à Dr. Crook à l’hôpital, peu avant sa mort. C’est une docteure en psychologie très réputée à l’international, qui travaille dans le domaine des thérapies pour la violence chez les garçons. Quand je lui ai remis la médaille, elle m’a dit : « vous ne savez pas ce que ça veut dire pour moi, de recevoir une reconnaissance de ma province ». La province, c’est notre pays, c’est notre lieu, notre point d’ancrage.
Depuis cette expérience, chaque fois que je remets une reconnaissance officielle au nom de la province, j’y mets tout mon cœur parce que je sais que c’est important. C’est une action qui dure deux-trois minutes, mais si c’est fait avec le cœur, l’impact est majeur. C’est important comme lieutenante-gouverneure d’être consciente de cet impact et d’être connectée de cœur à cœur lors de ces moments.
Alors, il y a des choix à faire dans la vie d’une lieutenante-gouverneure, et chaque choix permet de mettre de la lumière sur des enjeux importants. Chaque action et chaque déplacement envoient un message.
LR : Quels étaient les objectifs de votre tournée universitaire et comment a-t-elle contribué à votre mission ?
ED : L’U d’O, c’est le milieu qui m’a vraiment permis de m’épanouir. Quand je suis arrivée à l’U d’O, c’est comme si soudainement le monde s’ouvrait. Je m’y suis épanouie sur le plan intellectuel et personnel.
Quand j’ai su que je venais ce matin, j’ai demandé si on pouvait faire un tour. Juste en marchant sur le campus, j’ai vu que les choses ont beaucoup changé, dans le bon sens. Il y a de la lumière partout, il y a des cafés, il y a des édifices qui sont modernes : je trouve que l’Université est vraiment, encore plus aujourd’hui, ancrée dans un milieu de vie. C’est rafraîchissant de voir qu’il y a du renouveau et que la jeunesse d’aujourd’hui redéfinit les espaces en fonction de ses besoins.
LR : Avez-vous un mot de la fin pour la communauté étudiante ?
ED : Profitez pleinement de votre expérience étudiante, et gardez votre communauté étudiante vivante. L’université, ce sont des liens pour la vie. Finalement, continuez d’être audacieux.ses et curieux.ses.