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Éditorial

L’activisme de marque plus présent que jamais

Rédaction
10 septembre 2018

Éditorial

Par Mathieu Tovar-Poitras – Rédacteur en chef

 

Parfois, la meilleure publicité est celle qui choque, qui crée des remous et soulève des controverses. Comme le dit l’humoriste Louis-José Houde, « les paroles s’en volent, les écrits restent mais les images fessent ».

Vraisemblablement, c’est un concept que Nike a su incorporer au sein de ses campagnes publicitaires, dont la plus récente, qui a comme tête d’affiche Colin Kaepernick, joueur de football connu pour avoir mis un genou à terre durant l’hymne national pour protester contre la brutalité policière. Le choix de l’entreprise américaine quant à l’angle de cette campagne démontre par la même occasion le phénomène de l’intégration de l’activisme au sein de la publicité.

Dans un essai publié dans Vox, Sarah Banet-Weiser, professeure de média et communication à l’École d’économie de Londres, contextualise cette campagne sous le courant de l’activisme de marque (commodity activism). Ce concept est défini par l’auteure comme étant la fusion des habitudes des consommateurs avec des objectifs politiques et/ou sociaux. En se basant sur cette définition, il est clair que c’est ce qui est présenté, de manière transversale dans la récente campagne de Nike.

Toutefois, c’est justement à cause de cela que le tout a généré autant de réactions, à la fois positives et négatives. Beaucoup se réjouissent de la prise de position publique de l’entreprise. D’autres sont en colère contre le choix du porte-parole, ou encore de l’instrumentalisation des manifestations comme forme de marchandisation.

 

Ce n’est pas nouveau

L’internet a peut-être explosé suite à la diffusion de la campagne, mais ce n’est pas la première fois qu’une entreprise agit de la sorte. En fait, ce n’est même pas la première fois que Nike prend une telle approche.

Ce phénomène, combinant le modèle d’affaires d’une entreprise avec des enjeux sociaux correspondant au profil démographique des consommateurs visés, est souvent associé aux milléniaux. Ce capital éveillé, comme le définit le New York Times, vise à mettre en place une stratégie qui utilise l’activisme et le militantisme afin d’attirer un public cible.

C’est un concept particulièrement présent sur la scène culturelle, lorsque des artistes prennent position et se lient à des enjeux sociaux et qui intègrent dans leur art des revendications. Le groupe punk-rock Green Day l’a fait lors de la promotion de leur album American Idiot en 2004, en dénonçant explicitement l’administration Bush ainsi que la guerre en Irak. Le groupe est ensuite devenu une figure de proue dans la société américaine en ce qui concerne la dysfonction sociale.

On peut aussi étendre ce concept pour y inclure l’importance de l’emballage. Après la sortie de leur premier album en 1988, le groupe rap NWA s’est vu confronté à d’énormes critiques de la presse et des associations de parents, qui dénonçaient la violence de leurs propos. Cela les poussa à apposer des autocollants d’avertissement de contenu mature. Résultat : les jeunes voulaient les copies arborant l’autocollant.

Par contre, pour le groupe, il a vu les dénonciations et l’activisme présents dans leur musique atteindre un plus grand public. NWA est devenu une figure forte dans le contexte des émeutes de 1992 à Los Angeles, dont une des causes était le verdict de Rodney King, les tensions raciales ainsi que la brutalité policière.

Ce qu’il est toutefois important de noter, c’est que ce sont deux exemples d’artistes dont la musique était inspirée de leurs opinions socio-politiques. Dans le cas de Nike, sa nature d’entreprise fait en sorte qu’une autre couche de complexité s’ajoute, en ce qui concerne l’utilisation de l’activisme pour vendre, ce qui est – et restera – le but premier d’une entreprise aux chiffres d’affaires frôlant les 37 milliards de dollars pour l’année fiscale 2018.

 

Perception et visuel

L’image de marque s’est étendue au-delà du modèle d’affaires traditionnel pour incorporer des thèmes sociaux, parfois politiques. Les campagnes de Dove sur les normes de beauté en sont un bel exemple. Sans mettre ses produits en avant, Dove a su mettre son image globale en premier plan. Elle s’est vendue en tant qu’entreprise tout en ayant pris le pouls du contexte pour agir socialement dans sa position d’acteur.

C’est dans une certaine mesure un cas similaire à la campagne représentée par Kaepernick. Par contre, contrairement à la marque de cosmétiques et d’hygiène, Nike s’est attaqué à une problématique suscitant présentement d’énormes tensions sociales et politiques.

Pour ce faire, Nike doit se vendre et les gens doivent l’acheter, ce qui semble avoir été le cas, comme le témoignent les statistiques d’Edison Trends, indiquant que les ventes en ligne de l’entreprise auraient augmenté de 31% dans les jours suivant le lancement de la campagne.

D’un point de vue strictement visuel, la simplicité de l’image – le noir et blanc avec un court texte – est devenue associée à cette marque. On dit souvent qu’une image vaut mille mots. Dans le cadre de cette campagne, le visuel qui vient en tête représente bien plus que l’image seule ou même Kaepernick à genoux.

Nike a su, du moins au yeux de certaines personnes, être authentique dans son message. Dû à son historique d’incorporation des enjeux sociaux dans ses campagnes, la perception d’authenticité chez Nike était assez élevée. Puis vient la question de l’engagement. La controverse suscitée par la campagne est en grande partie le résultat ce qui est perçu comme une prise de position politique ferme.

Sans ces deux éléments, la campagne ne frapperait pas un tel succès et Nike aurait fait face à d’encore plus grandes répercussions. Pour illustrer ces propos, en 2017, Pepsi a vu sa publicité où figurait Kendall Jenner être sévèrement critiquée, malgré que l’intention du message était liée à des enjeux de tensions sociales. Par contre, l’authenticité faisait défaut, car le placement de produit était trop présent et l’historique lié à cette forme de campagne chez Pepsi n’existe pas autant que chez Nike. En terme d’engagement, il n’y avait pas prise de position ferme et on présentait plutôt une vision naïve, idyllique et coupée de la réalité.

Ensuite, ce sera de voir comment les choses progressent. Qui se contentera de regarder ? Qui prendra le temps de réagir ? Qui osera agir en lien avec le message de la campagne ?

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