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Arts et culture

Le passeport et moi : le manque de communication dans la tente du Musée canadien des enfants

Eve Desjardins
15 mars 2023

Crédit visuel : Eve Desjardins – Contributrice

Chronique rédigée par Eve Desjardins – Contributrice 

J’ai décidé d’analyser la place qu’a joué le passeport du Musée canadien des enfants tout au long de ma vie, passant de ma jeune enfance à aujourd’hui. En véritable crise existentielle, je veux comprendre pourquoi l’étampe supposément manquante de la tente des communications fut une telle obsession pour moi.

Première visite – L’enfance

Ma première visite au Musée canadien des enfants était en mars 2003. J’avais deux ans et demi. Mon frère, nouveau-né, était tellement jeune que son cou n’était pas capable de tenir le poids de sa tête. Mes cousins plus vieux, mes grands-parents et ma mère y étaient aussi. Dès que je suis rentrée dans le musée, on m’a donné mon passeport et j’étais libre d’explorer : c’était magique.

Le passeport au Musée canadien des enfants fait partie intégrante de l’expérience. À chaque station dans le musée, tu es chargé.e d’étamper ton passeport à un kiosque, de manière indépendante. Tu rentres ton papier, tu appuies sur le bouton et tu ressors ton passeport, maintenant citoyen.ne du monde de l’enfant. C’était une grosse tâche, je la prenais vraiment au sérieux.

Je me souviens être – pour une des premières fois dans ma vie – extrêmement anxieuse. Toute étampe devait être parfaite, bien centrée avec le même montant d’encre, bien orientée sur la page. J’attendais que mes cousins passent avant moi pour pouvoir comprendre les complexités du kiosque en question. Tout allait très bien, jusqu’à ce que je me rende à la tente des communications dans le secteur « Égypte ». C’était une sous-section du pays et il n’y avait pas d’étampe, pas de kiosque, même s’il y avait une page dédiée dans le passeport. Perdue, je cherchais partout le pays pour faire ma deuxième étampe. J’avais un choix difficile à faire, soit que la page dans mon passeport reste vide, ou bien que j’étampe la page avec le premier kiosque de l’Égypte. Trop stressée, mon nez a commencé à saigner…

À travers mes photos de famille, je suis capable de retracer mon parcours. Mon regard est très intense sur les photos me capturant en train d’insérer le passeport, j’ai l’air concentrée quand j’observe les autres, et en même temps totalement anxieuse. C’est la première fois en 20 ans que je regarde ces photos, et je suis de retour dans le vif de l’action.

Pourquoi est-ce que j’ai pris ça tant à cœur ? Pourquoi est-ce que cela a provoqué  chez moi une réaction si intense ? Pourquoi est-ce qu’ils ne changent pas le passeport, ou bien qu’ils ne rajoutent pas une étampe pour la tente des communications ? Pourquoi est-ce que lors du reste de mon enfance, je refuse d’avoir un passeport parce que ça me cause trop d’angoisse ? Pourquoi est-ce que c’est une anecdote racontée lorsqu’on me diagnostique avec un trouble obsessif compulsif à 8 ans ?

Le deuxième passeport — Fin de l’enfance

Avant la fête de mes 18 ans, je suis retournée au Musée canadien des enfants pour marquer la fin de mon enfance. Pour faire mon deuil, j’ai décidé d’essayer le passeport à nouveau. J’étais plus vieille, plus mature, plus en contrôle de mes émotions. J’étais, cependant, toujours encore naïve.

Ma visite n’a pas été documentée par des photographies cette fois-ci. Au lieu, j’ai écrit dans mon carnet de notes que je me sentais comme une poupée trop grande pour les proportions de sa maison. Déstabilisée par les jeunes enfants qui crient et qui courent autour de moi. Prise dans une machine à temps qui me ramène à l’âge de deux ans. Le vertige arrive avant que je puisse en reconnaître les symptômes. 

J’étais avec ma mère. Elle me raconte que lorsque j’étais jeune, j’évitais toujours l’Égypte, pour cause de préservation de soi, elle supposait. Je plie du papier origami pour faire un oiseau dans le secteur Japon. Le rituel me calme. Je suis choquée plus qu’autre chose. 

Pourquoi est-ce que c’est encore le même problème ? Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas eu de plaintes en 15 ans ? Pourquoi est-ce que je ne suis pas capable de lâcher prise ?

Perspective — Adulte 

Récemment, j’ai tenté de répondre à mes questions existentielles sur le Musée canadien des enfants. J’ai appris, en discutant avec une employée du musée, que la pandémie de la COVID-19 a mis fin, temporairement, au passeport du Musée canadien des enfants. Les kiosques sont en effet des lieux tactiles et fréquentés, donc ils posent un risque de contamination élevé. L’employée du musée m’a aussi annoncé qu’ils planifient de sortir un passeport repensé dans le futur proche.

Lors de cette conversation, j’ai réalisé que la page pour la tente des communications ne nécessitait pas une étampe, mais bien d’écrire la langue dans laquelle tu avais écrit « bonjour ». Il n’y avait jamais eu d’étampe manquante. L’ironie d’une faute de communication n’est pas perdue, je vous le garantis.

Cette erreur soulève un point intéressant : comment pouvons-nous vulgariser les communications décernées vers les enfants, surtout dans un contexte éducatif comme celui du Musée canadien des enfants? Il y avait quand même une erreur au sein du passeport. Il ne manquait peut-être pas une étampe, mais il manquait de la clarté dans les propos.

Lorsque j’examine mon parcours professionnel, je me demande si j’ai décidé de dédier ma vie à l’étude des communications au sein des musées pour apaiser la petite fille en dedans de moi qui saigne du nez au Musée canadien des enfants. Est-ce que les expériences que nous vivons, qui forment notre personnalité, ne sont que des moments qui guident notre avenir ? Est-ce inévitable, de vouloir contrer les injustices que nous croyons avoir vécu dans notre enfance ? N’est-ce pas qu’un cercle vicieux, se perdre dans la scénographie de la maison de poupée qu’est notre psyché ?

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