Musique
Catherine Dib | Chef de pupitre
@CatherineDib
La nostalgie d’un temps qu’on n’a jamais connu imprègne notre consommation quotidienne de culture, notamment en matière musicale – non seulement la musique comme telle, mais également le support de celle-ci. En effet, à la veille de ses 65 ans, le 33 tours fait un retour tant dans le cœur des mélomanes que des plus branchés. Enquête sur cet engouement inattendu pour le vinyle et son rapport au numérique.
Une augmentation imprévue
Depuis l’apparition du disque compact en 1983, nul n’envisageait le retour du 33 tours, si on en juge par les réflexions du professeur de composition et de théorie du Département de musique de l’U d’O, Murray Dineen : « Je croyais que le vinyle était mort, mais ça fait un grand retour. » Le vinyle connaît effectivement une augmentation flagrante de popularité depuis les dernières années.
Le propriétaire du Record Shaap, Matty McGovern, en sait quelque chose, ayant vu les ventes de vinyles augmenter d’année en année. Ayant beaucoup d’expérience dans le circuit des boutiques d’albums d’Ottawa, il a vu la section de vinyles prendre de plus en plus de place dans sa boutique.
Le son perdu et retrouvé
C’est en tout premier lieu une question de son. « C’est un débat qui a lieu depuis quelques années, celui de la qualité du son du vinyle versus celui du numérique », résume le propriétaire du Record Shaap. Le son plus chaleureux qui reste absent du fameux disque argenté permet au vinyle de gagner un capital de sympathie auprès des amateurs de musique. Étudiant de première année en musique, Fred Modayed estime que c’est une question d’authenticité lors de l’écoute de musique dans leur version originelle : « Pour le rock classique par exemple, ça me permet de le comprendre tel qu’il avait été composé à l’époque ».
Mais il n’est pas seulement question des tons organiques du son, mais aussi de la présence intégrale de celui-ci. M. Dineen se réfère au débat entre l’analogique et le numérique : « Le vinyle n’a jamais été égalé en ce qui concerne l’analogique. Quand tu fais un CD, tu dois convertir le son en signal digital. Ça le compresse. Certaines informations sont coupées dans le processus, certaines longueurs d’onde sont filtrées. Les Beatles remastérisés, ce n’est simplement pas la même chose. » Le professeur emploi une métaphore pour faciliter la compréhension : « C’est comme si tu voyais un arc-en-ciel avec toutes ses couleurs et en portant des lunettes fumées, tu perds certains détails. C’est ça qui se passe avec le numérique. »
Toutefois, petit bémol, car certaines sous-cultures restent indubitablement accrochées au disque compact. « Je ne sais pas ce qu’il y a avec la culture de la musique métal, mais tous mes clients achètent cette musique en format de CD! » ajoute Matty McGovern. M. Dineen corrobore ces propos en mentionnant aussi la musique électronique, qui a été créée pour l’écoute numérique.
Beauté noire
Le culte du passé est aussi de la partie : « Il y a évidemment une fascination pour les années 1960-1970 et la dimension esthétique d’une pochette de vinyle est incontournable », admet le professeur. Cette esthétique s’applique aussi au rituel, celui d’ouvrir délicatement la pochette, d’en retirer le disque et de déposer doucement l’aiguille du tourne-disque chez soi. M. McGovern y voit quant à lui un côté dépendant de la mode. Il précise qu’« il y a certainement un côté cool à écouter des vinyles, ça on ne peut pas le nier ».
Mais au bout du compte, ce grand retour s’expliquerait peut-être par le besoin de concret qui pousse enfin les jeunes à quitter leur ordinateur pour se rendre chez le disquaire. Les jeunes exprimeraient-ils leur désarroi face à la dématérialisation constante de leur monde en consommant des biens culturels? « Le vinyle n’est pas parfait – on peut l’égratigner et c’est souvent encombrant –, mais le côté tangible de la chose permet de toucher et même de s’approprier une œuvre », conclut le professeurDineen.