Le silence pesant de l’Université d’Ottawa face à l’islamophobie sur le campus
Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique
Article rédigé par Ismail Bekkali — Journaliste
Depuis presque un an, les voix de nombreux étudiant.e.s musulman.e.s de l’Université d’Ottawa (U d’O) dénoncent une montée d’actes islamophobes sur le campus. Des cas de vandalisme et d’agressions ciblées ont en effet été répertoriés sur le site universitaire. Il s’agit là d’une situation qui crée un climat d’insécurité pour une partie de la communauté étudiante.
Selon les témoignages de plusieurs associations étudiantes, les actes islamophobes sur le campus de l’U d’O se sont manifestés sous différentes formes, qu’elles soient de l’ordre du vandalisme d’espaces publics ou d’agressions plus ciblées. C’est dans ce contexte que la vice-présidente interne de l’Association des étudiant.e.s musulman.e.s à l’Université d’Ottawa (UOMSA), Areeba Mallick, décrit cette situation, qu’elle qualifie d’alarmante. « Il y a beaucoup d’étudiantes [qui sont] venues nous voir parce qu’elles se sont fait arracher leur hijab, d’autres ont carrément été insultées et même crachées dessus. Ces comportements, plus rares par le passé, semblent s’être multipliés au cours des derniers mois », dénonce-t-elle.
Selon la vice-présidente, la plupart des victimes ne se sentent pas suffisamment à l’aise lorsqu’il s’agit de contacter les services de protection de l’Université. Ce faible taux de signalement rend la situation plus préoccupante, déplore Mallick.
Contexte politique désavantageux
Un cas concret de recrudescence de l’islamophobie sur le campus est survenu récemment : un exemplaire du Coran a été retrouvé dans une des toilettes de l’U d’O. Ayham Hakimi, directeur de recherche au sein de l’association Integrity Not Spite Against Falastin (INSAF), souligne la gravité de cet acte : « c’est une attaque directe contre la communauté musulmane à l’Université, et l’administration est restée silencieuse à ce sujet ».
La Rotonde a pu s’entretenir sur le sujet avec quelques étudiant.e.s musulman.e.s. Il en ressort que ces cas d’islamophobie, qui témoignent d’un climat de plus en plus hostile envers cette partie de la communauté étudiante, sont alimentés par les tensions politiques internationales actuelles.
« L’année passée, les tragédies à Gaza ont poussé les étudiant.e.s musulman.e.s à se mettre sur le devant de la scène, ce qui a sans doute entraîné beaucoup de cas d’islamophobie. Affirmer qu’il n’y en avait pas auparavant serait cependant un euphémisme », explique Mallick.
Le directeur de recherche de l’INSAF développe ce propos en soulignant les stéréotypes pouvant être véhiculés dans la sphère médiatique occidentale. « Ces médias dressent un portrait négatif des musulmans.e.s. Ce genre de rhétoriques discriminatoires est très dangereuse, et pousse à la généralisation », déplore-t-il. Une rhétorique qui, selon Hakimi, se manifeste sur le campus par les actes d’étudiant.e.s mal-informé.e.s faisant l’amalgame entre Arabes et Musulman.e.s, qui se concrétise aux yeux de tou.te.s par des graffitis injurieux sur les murs, affirmant par exemple « Morts à tous les Arabes ».
Silence inquiétant
La communauté musulmane de l’U d’O s’interroge sur l’attitude « silencieuse » de l’administration universitaire face à ces cas d’islamophobie sur le campus.
Pour faire face à ce silence, la vice-présidente interne de l’UOMSA s’est dotée d’une mission qui consiste essentiellement à entretenir les communications avec l’Université et ses groupes affiliés. Mallick exprime son dépit vis-à-vis de ce silence : « Nous avons fourni des preuves tangibles d’islamophobie sur le campus et des mesures concrètes que l’Université pourrait entreprendre pour montrer son soutien à ses étudiants, mais elle n’est pas disposée à le faire ».
Ce silence administratif est d’autant plus frappant lorsque l’on compare la réaction de l’Université à d’autres formes de discrimination, comme la nomination récente d’un conseiller contre l’antisémitisme, soutient Hakimi. Le directeur de recherche de l’INSAF mentionne, revenant sur cet événement, que cette personne « a eu des propos très blessants pour notre communauté, affectant aussi bien les étudiant.e.s mulsulman.e.s que les étudiant.e.s juif.ve.s ». La démission volontaire qui a suivi est, selon Hakimi, révélatrice du pouvoir des étudiant.e.s à se réunir et dénoncer ce qui est injuste. Dans ce cas-ci, « l’Université a clairement favorisé certain.e.s étudiant.e.s par rapport à d’autres », poursuit Hakimi.
C’est une « double peine », selon lui, de subir de tels actes et de les voir demeurer impunis. Ce double standard pourrait s’expliquer par l’importance que donne l’Université à son image publique : Hakimi et Mallick soulignent cette préoccupation en rappelant les liens financiers de l’établissement avec des donateurs et entreprises qui pourraient influencer sa prise de décision.
Communauté solidaire
À défaut d’une sensibilisation de la part de l’Université, les associations étudiantes ont pris le devant pour protéger et soutenir leurs pairs.
L’INSAF a notamment pour mission principale « d’éduquer et de partager l’importance des efforts entrepris » pour résoudre cette situation, affirme Hakimi. Ce dernier met l’accent sur la nécessité de lutter contre « l’ignorance » en déconstruisant les préjugés existants, pour les remplacer par une meilleure définition de l’islam. En parallèle, UOMSA fournit une assistance directe aux membres de sa communauté susceptibles ou ayant directement été affectés.
En plus de l’organisation d’événements portés sur la prière et la santé mentale, l’association étudiante a également fait en sorte de « fournir un service de soutien psychologique professionnel grâce à un partenariat avec Ruth Therapy », annonce Mallick. Malgré leurs efforts de collaborations avec de plus grandes institutions, comme Le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), les deux intervenant.e.s interrogé.e.s par La Rotonde reconnaissent les limites de leurs initiatives. Leurs contributions ne suffisent pas à contrer cette vague d’islamophobie. Ils.elles appellent ainsi l’Université à prendre des mesures concrètes.