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Arts et culture

Le théâtre à l’ère numérique : préserver le vivant dans un monde connecté

Crédit visuel : Élodie Ah-Wong– Directrice artistique

Article rédigée par Bianca Raymond – Cheffe du pupitre Arts et culture

Si aujourd’hui la technologie prend une place importante dans la vie quotidienne, le théâtre peut-il encore faire vibrer le public sans se laisser absorber par le numérique ? Les artistes du milieu expliquent les défis d’adaptation et financiers lorsqu’ils exploitent leur vision de l’émergence du numérique. Ils.elles tentent d’aborder un équilibre entre numérique et humanité sans perdre l’essence du vivant du spectacle.

La technologie en coulisse : simplifier sans remplacer

Dans les coulisses, la technologie a transformé la manière de monter un spectacle. Tina Goralski, directrice de production au département de théâtre de l’Université d’Ottawa (U d’O) affirme que ces nouvelles technologies facilitent l’entrée en salle, mais nécessitent beaucoup plus d’efforts quant à leur programmation. Elle donne notamment l’exemple des éclairages, programmés à l’avance mais dont la programmation requiert tout de même une plus grande charge de travail.

Par contre, si la programmation peut prendre du temps, les coûts, eux, sont moins élevés, car les technologies peuvent remplacer des éléments coûteux. « Les lumières LED sont beaucoup moins chères qu’il y a cinq ans. Donc, une petite compagnie de théâtre a plus de chances d’intégrer la technologie dans son décor », soutient-elle.

Si la technologie peut faciliter l’entrée en salle ou rendre certains articles moins coûteux, surtout pour les petites compagnies, la gestion humaine reste quand même difficile pour Goralski. Elle se retrouve entrain de jongler entre un peu plus de 100 étudiant.e.s bénévoles et travailleur.se.s, et 18 professionnel.le.s. Elle doit, en même temps, gérer les calendriers de tout le monde et veiller à la production du spectacle.

Avec toute cette coordination, elle est partagée entre deux sentiments. D’un côté, elle estime que cette charge de travail mérite d’être accomplie : « Travailler avec d’autres êtres humains, pour partager nos histoires avec un public intéressé à les entendre, c’est complexe mais ça en vaut la peine.»

De l’autre côté, elle admet vouloir que l’intelligence artificielle puisse gérer les horaires à sa place, afin d’alléger son quotidien. La technologie n’efface pas toutes les difficultés, reconnaît-elle, mais elle insuffle un nouvel élan artistique aux compagnies, en leur permettant de faire face aux contraintes budgétaires, de trouver des solutions et de redoubler de créativité.

Anne-Marie Ouellet, metteuse en scène et directrice de la compagnie L’eau du bain partage cette vision. Ouellet ajoute que  la technologie aide à créer un lien avec le public. Elle en veut pour preuve un projet immersif où une salle remplie de plantes produisait des sons.

“Lorsque quelqu’un touchait une feuille, des signaux étaient envoyés à l’ordinateur, qui produisait alors une note de musique.”

-Anne-Marie Ouellet-

La technologie prend tout son  sens lorsqu’elle dévoile l’invisible et le lien avec le public, sans perdre l’essence du vivant, souligne Ouellet.

Les défis du théâtre franco-ontarien

Dans le paysage du théâtre franco-ontarien, l’ère numérique a une autre signification. Le spectacle numérique réduit l’aspect humain, déplore Dillion Orr, directeur artistique de Créations in vivo

Durant la pandémie de la Covid-19, Orr  a exploré ce type de théâtre, mais la connexion humaine faisait défaut, constate-t-il. Aujourd’hui, il compare cette expérience à ses spectacles actuels : « Il y a à peine de technologie dans mes shows, et je trouve que c’est là que se situe ma théâtralité.». Il ajoute qu’en faisant des tournées, intégrer de nouveaux outils technologiques ou des projections demeure un véritable défi logistique.

Si Goralski estime que la technologie peut remplacer des éléments coûteux, Orr souligne que les coûts demeurent élevés tant pour les nouvelles technologies que pour les artistes. La diffusion du théâtre, notamment du théâtre franco-ontarien, devient difficile et cela se reflète dans les budgets des compagnies, précise-t-il. 

En raison de ces coûts, le prix des billets augmente, rendant la clientèle difficile à atteindre : « C’est un pari. Les gens acceptent de payer très cher pour aller voir Taylor Swift, mais vont-ils accepter de payer pour du théâtre franco-ontarien ?», se questionne Orr.

S’adapter sans se perdre

Amélie Trottier, comédienne, chroniqueuse et auteure franco-ontarienne, incarne pleinement cette transformation. Forte d’un parcours mêlant théâtre, télévision et radio, elle porte un regard plus large du milieu artistique. Selon elle, la réglementation et le financement ne suivent pas le rythme effréné des innovations technologiques.

Elle se dit inquiète de l’apport de l’intelligence artificielle l’inquiète, particulièrement à cause d’un programme qui prévoit une rémunération pour les doubleurs dont la voix, transformée en version synthétique, est utilisée dans des productions. 

“Il existe des appels de casting pour former les IA. On t’offre un tout petit cachet pour vendre ta voix et ton image à perpétuité.”

-Amélie Trottier-

Sur scène, Trottier fait face aux mêmes défis qu’Orr : attirer le plus de spectateur.rice.s pour remplir les salles demeure un combat constant. « On ne peut pas compter sur les revenus de billetterie. C’est un médium qui repose presque entièrement sur les subventions, qui deviennent de plus en plus difficiles à obtenir », explique-t-elle.

Ces obstacles la poussent à se tourner vers l’art multidisciplinaire, une manière pour elle de contrer l’impact du numérique. « On aura toujours besoin de l’art vivant. C’est à nous d’en faire ce qu’on veut », conclut-elle.

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