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Les défis pour le Canada suite aux élections états-uniennes

Ismail Bekkali
2 Décembre 2024

Crédit visuel : Sophie Désy — Photographe

Article rédigé par Ismail Bekkali — Journaliste

Le mois dernier, les résultats des élections présidentielles américaines, en plus de mettre en lumière une société profondément divisée, ont promis de profonds bouleversements, non seulement sur le sol américain, mais également sur la scène internationale. Alors que le monde scrute attentivement la direction que prendra désormais la politique étrangère des États-Unis, cette période soulève des questions cruciales sur l’avenir des interactions entre les deux voisins nord-américains. 

Le premier changement qui serait apporté à la politique étrangère des États-Unis serait son « multilatéralisme », selon Aaron Ettinger, professeur à l’Université Carleton. « Il s’agit là d’une rupture significative par rapport au consensus qui s’est établi au cours des 80 dernières années », ajoute-t-il. Cela se manifesterait, selon lui, par un grand désengagement des accords internationaux en vigueur, comme ceux de l’ONU ou de l’OTAN, pour davantage favoriser les intérêts nationaux. Pour le Canada, cela signifierait que « dans toutes négociations, le pays sera surclassé par le poids des États-Unis », dit l’expert. 

Bien que les relations entre les deux pays soient historiquement ancrées, le professeur Charles-Étienne Beaudry de l’Université d’Ottawa semble également rejoindre ce point de vue. Il mentionne alors les possibilités d’une renégociation commerciale des actuels accords de libre-échange, et l’imposition de tarifs douaniers. « Avec une économie à 80% basée sur les relations avec les États-Unis, le Canada ne peut se passer du jour au lendemain de cet avantage », explique le professeur. 

Ettinger développe d’autant plus cette éventualité économique en insistant sur la nécessité pour le Canada de diversifier ses relations commerciales pour pallier sa dépendance à l’égard des États-Unis. L’expert poursuit son argument en mentionnant les efforts succincts du pays à « conclure d’autres accords de libre-échange avec l’Europe ou le Partenariat transpacifique », tout en rappelant que cela impliquerait de plus grands investissements et une stratégie cohérente à long terme. 

Trump à la Maison-Blanche, quels effets sur le paysage politique canadien ? 

Dans un plus large registre, l’influence du « courant trumpiste » sur le paysage politique canadien ne pourrait être ignorée, selon Beaudry, particulièrement si l’on prend en compte les élections fédérales canadiennes qui auront lieu au plus tard en automne prochain. En dépit d’un système canadien structurellement différent, le professeur émet l’hypothèse que certains discours populistes feraient « tache d’huile » au Canada, notamment dans des partis ou provinces dans lesquels les frustrations économiques et sociales sont exacerbées. « On est deux États de type fédéral, il y a des possibilités à ce niveau-là, mais je ne sais pas à quel point le mouvement trouverait écho au Canada. L’élection est trop récente », dit Beaudry. Ce dernier poursuit son analyse en espérant que les « valeurs progressistes » ancrées dans la société canadienne puissent agir comme un rempart contre une adoption du populisme à l’américaine.

Ettinger met également en garde contre une possible polarisation du débat public. Il explique qu’à terme, le résultat des élections « va introduire une toute nouvelle considération dans la façon dont les Canadien.ne.s envisagent la politique fédérale », tout en abordant la question avec un point de vue plus modéré. « Il y a cette dynamique d’extrême droite au Canada, et le style agressif de Trump fera son chemin au Canada, mais la culture politique ici reste fondamentalement différente », explique le professeur. En ce point, il dévoile la complexité de la politique canadienne, qu’il décrit comme « malléable », certes, mais qui reste « durable ». « Le Canada est après tout une nation à part entière, ayant des dynamiques politiques qui lui sont propres. Elles ne sont pas à l’abri de ce qui se passe aux États-Unis, mais elles ne sont pas non plus déterminées par ce cadre », conclut l’expert.

Campagne électorale et polarisation politique 

Beaudry explique l’intensification de ces divisions sociétales aux États-Unis en raison du rôle polarisant des médias et autres réseaux sociaux, formant des « bulles » qui « filtrent » la diversité des opinions politiques. Le professeur développe davantage cet argument en parlant des campagnes électorales des deux candidat.e.s qui, selon lui, deviennent un spectacle où les comportements extrêmes et les incivilités forment « une culture de l’insulte », notamment grâce à la viralité des plateformes numériques. 

À son tour, Ettinger souligne la singularité des campagnes des deux candidat.e.s. Du côté républicain, Donald Trump aurait mené une campagne « qui ne s’est pas préoccupée des pièges politiques conventionnels ». Au contraire, il prend « fierté en sa capacité à faire des choses qui, autrement, ruineraient les carrières d’autres politicien.ne.s », explique le professeur. Du côté démocrate, « Kamala Harris a fait campagne sur une combinaison étrange de statu quo, poursuivant les politiques de l’administration Biden tout en amenant une ère de changements », poursuit Ettinger. 

L’influence de Trump sur la culture politique américaine 

Les résultats des élections états-uniennes soulèvent, selon Beaudry, une interrogation plus profonde autour de la popularité du candidat qu’est Trump et son discours « radical ». Il dépeint un personnage jouant de son image publique à son propre avantage, aussi négative soit-elle, simplement parce que « toute presse est bonne à prendre ». Le professeur achève son intervention en décrivant la montée d’une « nouvelle forme de fascisme » dans le cadre de cette démocratie. 

Ettinger met en lumière, lui aussi, un paradoxe en parlant de ce personnage : « Il est clair que quelque chose a changé dans la culture politique américaine, qui rend la permissivité des mauvais comportements plus attrayante ». Il rappelle finalement, dans un registre plus modéré, que « Trump est une preuve concrète » de ce changement de paradigme, mais il constitue « un cas unique en son genre ». 

D’un point de vue plus « académique », l’expert discerne qu’il s’agit peut-être du signe d’une « permissivité morale différente chez les électeur.ice.s de droite », que l’on attribuerait à ce nouvel attrait pour le populisme « anti-estashblishment ». D’après lui, « ces politiques réactionnaires sont appréciées car elles combattent des craintes auxquelles il est possible de s’identifier, et si cela signifie qu’il faut mal se comporter, qu’il en soit ainsi ». En conclusion de son argumentaire, Ettinger déduit que «  ce genre de dynamiques étendent la limite de ce qui est admissible aux États-Unis », tout en soulignant qu’il ne s’agit pas forcément d’une généralité transnationale.

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