Inscrire un terme

Retour
Arts et culture

« Les oiseaux rougissent-ils ? » : une exposition étudiante aux frontières du vivant

Crédit visuel : Jurgen Hoth – photojournaliste

Critique rédigée par Bianca Raymond – Cheffe du pupitre Arts et culture

Dans une époque où les relations entre l’humain et le vivant sont de plus en plus questionnées, l’exposition « Les oiseaux rougissent-ils ? », présentée du 24 novembre au 2 décembre 2025 par les étudiants du cours « Curating for Contemporary Art – ART4119 », invite à repenser ces frontières souvent invisibles. En s’étendant sur plusieurs galeries de la Faculté des arts visuels, cette exposition propose un parcours sensoriel et réflexif, guidé par des petites pattes d’oiseau.

Chaque espace explore les différentes manières de percevoir, représenter et interagir avec le monde vivant, au-delà de l’humain. Au cœur de cette démarche, la question centrale reste: que signifie observer, représenter ou traduire le vivant ? Les visiteur.euse.s découvrent progressivement ce fil conducteur qui mise sur la pluralité des médiums pour donner corps à cette réflexion.

Dès la première galerie (115), la question-titre : Les oiseaux rougissent-ils ? surgit  comme une invitation à abandonner nos certitudes. Poétique, elle ouvre une brèche conceptuelle où les émotions, les sensations et les comportements du vivant ne sont jamais entièrement accessibles à l’humain.

Les étudiants-artistes présentent des œuvres dont certaines se distinguent par leur capacité à capter l’attention du public dès les premiers instants. Parmi elles, Mr. Mantis, œuvre de Lou Koch, est une longue photographie horizontale qui s’impose comme l’un des points d’ancrage visuels de l’exposition. À première vue, on croit observer une œuvre diptyque, voire théâtrale, en raison de sa mise en scène photographique. Toutefois, à y regarder de plus près, on constate qu’il s’agit en réalité d’êtres mi-humains, mi-insectes.

Vêtu de blanc, le modèle saisi dans cette photographie arbore une coiffe évoquant à la fois des antennes, des ailes de mante religieuse et des fragments de pattes d’insecte. L’ensemble compose une silhouette singulière, à la fois étrange et méditative. Ce qui retient avant tout l’attention est la démultiplication du corps : les figures semblent se déployer en éventail, comme si un unique mouvement avait été figé à différentes phases de son déroulement.

En brouillant ainsi la distinction entre le corps réel et ses doubles, Mr. Mantis interroge la capacité de l’artiste à conserver la maîtrise de ce qu’il ou elle crée. Parle-t-on du ou de la créateur·rice, ou de la création ? De l’humain ou de l’insecte ? L’œuvre ne tranche pas : elle conjugue les deux. La représentation photographique dépasse alors celle ou celui qui la produit, devenant ainsi une entité autonome.

Un parcours tourné vers la nature

Dans les trois galeries suivantes, l’exposition prolonge ce dialogue entre maîtrise et abandon. Certaines œuvres font appel au papier, aux textiles organiques ou aux plumes — des matériaux délicats qui évoquent la fragilité du vivant. D’autres s’attachent à la question de la perception : dessins minimalistes, sculptures énigmatiques et photographies invitent le public à reconsidérer le geste créatif dans son ensemble et à envisager les œuvres depuis leur propre point de vue.

C’est dans cet esprit que la sculpture métallique Sanctuary, de  Nellie Dadabaeva, apporte une nuance intéressante. L’étudiante-artiste reconnaît elle-même l’ironie de présenter une structure industrielle dans une exposition qui interroge précisément notre rapport au vivant. La rigidité du métal, travaillée en formes organiques, crée un contraste entre le matériau manufacturé et l’apparence naturelle, renforçant ainsi la tension centrale du parcours.

Les commissaires de l’exposition ont ainsi joué un rôle essentiel, tant dans la sélection des œuvres présentées que dans l’organisation du parcours. Chaque œuvre a été conçue de manière à explorer différentes perspectives liées à la question « Les oiseaux rougissent-ils ? ». Le premier arrêt, la galerie 115, met en évidence « notre aliénation vis-à-vis des autres et de la nature ».

La galerie 206 évoque quant à elle les environnements naturels qui nous entourent, souvent hors de notre champ de vision, et que nous avons tendance à ignorer. Ici,  l’étudiante – artiste Vivian Garaets-Rose, explique que son œuvre, The Forest Memorial, créée en réunissant plusieurs éléments de l’environnement  reflète la beauté de la nature.

Mind the Gap, de Steph Dancer, est la seule œuvre présentée dans la salle 208. Cette installation propose un nid dans lequel les visiteur.euse.s sont invité.e.s à s’asseoir et à se détendre afin de « se rappeler que le soin est un acte incarné ». Enfin, la Galerie Verte ramène le public vers une réalité plus familière avec des œuvres évoquant notre environnement quotidien.

Les limites du vivant

L’exposition Les oiseaux rougissent-ils ? ne cherche pas la démonstration technique ni la virtuosité plastique, mais s’appuie sur une cohérence conceptuelle forte qui explore les zones grises où l’humain se confond avec la nature. Accessible et bien articulée, l’exposition peut parfois déstabiliser, tout en restant profondément nourrie par une réflexion honnête sur les limites de la création.

Elle invite ainsi le public à interroger non seulement le rapport entre le créateur et sa création, mais aussi notre relation au vivant, montrant que, dans l’art comme dans la nature, les frontières ne sont jamais fixes : elles vibrent, se déplacent et ouvrent un espace fécond où émergent les formes les plus singulières de création.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire