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Opinions

Liberté ou responsabilité académique ?

Rédaction
16 mars 2021

Crédit visuel : Archives 

Texte d’opinion rédigé par Nawel Hamidi, professeure temps partiel à l’Université St-Paul – Contribution

Les multiples débats actuels autour de l’utilisation du mot en N concernent-ils vraiment la liberté académique ? Je ne le pense pas. Le langage utilisé et les contenus traumatiques abordés au sein de classes de plus en plus diverses culturellement est avant tout un enjeu de responsabilité académique. Le racisme, les violences coloniales et sexuelles, les guerres et génocides sont des thèmes qui, à travers leurs littératures et leurs langages, exigent d’être approchés avec un angle pédagogique informé sur les traumatismes. 

Le colonialisme et le racisme ont perpétrés différents traumatismes intergénérationnels, collectifs et individuels. Ces traumatismes ne peuvent plus être ignorés par les professeur.es surtout au sein d’institutions qui souhaitent prendre la voie de la réconciliation et la décolonisation des savoirs. Plus encore, ces réalités historiques difficiles, sont toujours actuelles pour ceux qui les subissent au quotidien et exigent une approche sensibilisées aux dynamiques de pouvoir et de violence au sein même de nos sociétés, et ce, en évitant de reproduire ces mêmes dynamiques au sein de la salle de classe. Décider d’utiliser un terme lourd de violence et d’humiliation laisse entendre qu’il est permit d’utiliser ce mot en salle de classe et en société sans égard aux effets que cela peut entrainer. 

Le trauma n’est pas une sensiblerie

Les travaux, entres autres de la psychiatre Muriel Salmona, nous ont permis de mieux comprendre le trauma, sa nature et ses effets. Le traumatisme est généralement associé à un transfert violent d’énergie qui dépasse les capacités de résistance du corps humain et qui peut causer des blessures sévères qui nécessitent une prise en charge. Les désordres liés aux traumatismes sont des formes détresses psychologiques importantes qui habitent le corps et l’esprit parfois durant toute une vie. Le Centre universitaire de santé McGill estime que les blessures traumatiques physiques ou psychiques sont la principale cause d’incapacité et de mortalité chez les moins de 49 ans.  

Il m’est arrivé de voir des étudiant.es revivre en classe des désordres liés au syndrome post-traumatique, surtout lorsque nous traitions du racisme et de la violence coloniale et sexuelle. Les recherches actuelles démontrent clairement le nombre effarant d’étudiant.e.s ayant vécu des abus et violences sexuelles. Avec le temps, j’ai appris que l’enseignement apporte des outils extraordinaires pour émerger grandit de ces réalités longtemps occultées et ainsi contribuer à aider les étudiant.es à cheminer graduellement à travers leurs expériences à partir des savoirs. 

L’humiliation mène directement à la violence

Il m’est aussi arrivé de recueillir des témoignages d’étudiants qui avaient abandonné leurs études parce qu’ils avaient vécu des formes d’humiliation dans les institutions vouées au savoir. Mes recherches actuelles sur l’humiliation en contexte colonial révèlent que l’humiliation est une expérience importante qui dépossède l’être humain de sa dignité humaine et qui renvoie à cette personne une image d’elle-même avilit, honteuse et mortifiée. En effet, la personne humiliée se retrouve dans une course pour se réapproprier sa dignité et les moyens utilisés sont souvent agressifs. La violence peut être tournée vers soi ou vers une autre personne. Si elle n’est jamais excusable, la violence doit être comprise comme étant partie d’un cycle relationnel abusif qui commence par l’humiliation ou par des abus de pouvoir variés et subtiles et qui peuvent aller très loin dans leurs conséquences. 

L’humiliation est une expérience intolérable qui lorsque est vécue de manière répétée, peut perpétrer des traumatismes importants. Pour éviter certains cycles de violence au sein du monde académique, il importe de les prévenir et réduire au minimum ces formes dans la salle de classe, et ce, en s’outillant avec les meilleures pédagogies pour aborder des sujets traumatiques ou, simplement, éviter d’enseigner ces contenus sans les bonnes approches.

La réalité à laquelle nous sommes confrontés comme enseignant est complexe, surtout en temps de Covid. Nous connaissons peu ou pas du tout l’histoire des nos étudiants, leur réalité, leurs souffrances, leur condition de vie. Afin que l’apprentissage soit une expérience positive, il importe d’approcher certains contenus avec précaution. Avec le confinement, plusieurs étudiants se sont retrouvés dans des milieux familiaux violents, isolés et sans ressources. 

Ainsi, notre travail est aussi d’approcher la matière de manière à diminuer les chances de reproduire des formes de déshumanisation institutionnelle et amoindrir le décrochage scolaire qui est en hausse en ce moment. Revenons aux fondements de notre mission. Refaire de nos universités des lieux encourageant la connaissance approfondie de soi-même et du monde qui nous entoure tout en valorisant la responsabilité relationnelle; c’est peut-être là où se loge le vrai savoir ?

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