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La mosquée, l’oasis d’une communauté

Web-Rotonde
2 février 2017

Web exclusif

Chronique

Par Yasmine Mehdi 

Débarquer dans un pays où tout est tellement grand, tellement froid. Avoir peur. Parce qu’on est seul. Parce qu’on ne sait pas quoi faire. Avoir un budget réservé aux appels internationaux. Économiser toute l’année pour pouvoir acheter ce fameux billet d’avion estival. Pleurer quand on entend sa mère au téléphone. Penser à cette vieille femme qui fait de son mieux pour comprendre pourquoi on est allés si loin, dans un pays où tout est tellement grand, tellement froid.

Déposer des CV aux quatre coins de la ville. Se faire dévisager parce qu’on a un accent. Ne jamais être rappelé pour une entrevue. Devoir travailler au noir pour joindre les deux bouts. Un monsieur dans l’autobus qui nous accuse de « voler ses jobs ». Connaître un chauffeur de taxi, un boucher, un chômeur, un serveur, qui était ingénieur dans son pays. Ne plus trouver notre place dans ce pays où tout est tellement grand, tellement froid.

Ne pas trouver les épices de son pays au Super C. Essayer de cuisiner avec des légumes surgelés. Essayer de mettre un pantalon de neige, de déneiger, de garder l’équilibre sur les trottoirs givrés. Consoler ses enfants parce qu’on s’est moqué d’eux à la récréation. Expliquer à sa fille qu’ici, il faut attendre que la lumière soit verte pour traverser. Apprendre à faire du pâté chinois. Inscrire ses enfants au ski. Investir dans une bonne pelle. Cinq ans plus tard, ces enfants qui ne savent plus parler à leur grand-mère, qui ne peuvent plus prononcer le nom du village de leurs ancêtres. Ne plus savoir si s’intégrer, ça veut dire oublier son pays où tout est tellement petit, tellement chaud.

Éviter les problèmes, à tout prix. Être transparent. Répondre à toutes les questions. Justifier son identité, constamment. Être discret. Tout ça pour être l’ami immigrant bien intégré. Ces efforts qui tombent à l’eau chaque fois qu’il y a un attentat. Prier pour que le nom de cet auteur de l’abominable ne ressemble pas au nôtre. Avoir peur pour ses amies qui portent le voile. Le lendemain, s’excuser constamment. Être obligé de condamner plus haut et plus fort que tout le monde. Se sentir doublement atteint, mais ne rien dire, pour ne pas froisser, pour ne pas choquer.

De temps en temps, se retrouver à la mosquée. Pour des raisons religieuses, oui. Mais plus que ça. Pour retrouver des gens qui nous comprennent. Pour partager des souvenirs d’antan. Pour parler une langue qu’on ne peut que rarement parler sans sentir le regard lourd et désapprobateur des passants méfiants. Pour partager l’adresse de la petite épicerie qui vient d’ouvrir à deux coins de rue et dont les olives seraient absolument délicieuses. Et de temps en temps, pour débattre du dernier épisode de Tout le monde en parle.

Et puis l’intolérable. Apprendre pour Québec. La tête qui tourne. Le cœur qui serre. Les larmes qui coulent. Entendre les analyses à la télévision, qui n’expliquent rien au final, parce que rien n’est à comprendre, parce que ça n’a aucun sens, parce que c’est trop atroce, parce que les mots ont l’air de se décomposer dans nos oreilles. Avoir mal. Pour les enfants qui ont perdu leur papa. Pour les femmes qui ont perdu leur mari. Pour tous ceux dont le cœur est brisé et le sera bien après que leurs visages cesseront d’être diffusés en boucle sur tous les petits écrans de la province.

Avoir mal pour soi aussi. Parce qu’en attaquant une mosquée, on a attaqué plus qu’un lieu de culte, on a attaqué sa communauté, sa culture. Un lieu où on se sent un peu chez soi, malgré son accent différent, son nom de famille difficile à prononcer, le bout de tissu qui nous cache les cheveux, et toutes ces autres petites différences qui aujourd’hui semblent tellement futiles. Parce que la mosquée est bien souvent une oasis dans ce pays tellement grand, tellement froid.

Et à travers ce bouleversement, cette tristesse, ce désarroi, voir ces milliers de personnes qui sortent, à Québec, à Montréal, à Ottawa, à Trois-Rivières. Ces personnes qui bravent le froid, qui combattent la barbarie, armées de chandelles, de compassion, et de mots d’espoir. Comme les premiers rayons de soleil sur son visage, un après-midi de printemps. Ceux qui nous permettent enfin d’avoir un peu d’espoir. Ceux qui font presque oublier qu’on vit dans un pays tellement grand, tellement froid.

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