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Opinions

Notre système de notation est-il à mettre à la poubelle ?

Actualités
19 septembre 2012

 – Par Caroline Ramirez –

Je ne parle pas en parfaite connaissance de cause. Je ne suis ni professeure, ni directrice d’un quelconque département, encore moins doyenne d’une faculté. Je ne participe pas à l’élaboration des règles d’évaluation des étudiants. Et, en plus, je suis Française de France : qui suis-je pour dire que le système de notation de l’Université d’Ottawa ne vaut rien ?

Je suis assistante d’enseignement. Je corrige les copies, je note les étudiants. Et j’ai moi-même été notée dans le cadre de mes cours de maîtrise et de doctorat. Il me semble donc avoir un semblant de légitimité dans ce dossier pour pouvoir m’exprimer. Et étant, je le répète, Française de France, j’ai eu la chance d’être confrontée à deux systèmes : je peux donc les comparer.

Je ne vais pas y aller par quatre chemins et sans doute emprunter de gros raccourcis, traçant à grands traits, donc peu nuancés, mon impression : l’évaluation des étudiants à l’Université d’Ottawa est complètement bancale. Il encourage à la surévaluation, à la négociation geignarde, à la course aux résultats et non pas aux connaissances. Dans les niveaux non gradués, l’évaluation tue la réflexion, l’argumentation et encourage le par cœur, l’ânonnement, les réponses automatiques.

– Je me souviens d’un cours dans lequel le/la professeur-e faisait les mêmes présentations et soumettait le même examen depuis trois ans.

– Je me souviens d’un cours pour lequel j’étais assistante et où le/la professeur-e m’avait très clairement demandé de m’assurer que 60% des étudiants aient une note finale au-dessus de B+.

– Je me souviens d’un cours pour lequel j’étais assistante et où le/la professeur-e m’avait fortement suggéré de monter sans trop discuter la note des étudiants venus exprimer leur insatisfaction (oui, car les étudiants expriment plus souvent leur insatisfaction que leur incompréhension : ils ne cherchent pas à comprendre leur note, mais seulement à l’augmenter).

– Je me souviens d’un cours où j’avais refusé de monter la note d’un-e étudiant-e après avoir fait recorriger sa copie par un autre assistant. L’étudiant-e était directement allé-e voir le/la professeur-e qui, de guerre lasse, lui avait donné des points supplémentaires.

– Je me souviens d’un cours où le/la professeur-e avait augmenté toutes les copies d’un examen de deux points, considérant que les notes étaient trop basses, alors que son cours et ses examens étaient les mêmes depuis des années et que les correctrices avaient travaillé dans la même logique que les sessions précédentes.

– Je me souviens d’un-e étudiant-e qui m’avait dit : « Mais pourquoi tu veux faire de la pédagogie ? Les autres assistants veulent juste qu’on les laisse tranquilles, ils n’ont pas le temps. Moi, tant qu’on me donne mes points, je suis content-e ».

Il m’est arrivé de ne pas oser tenir tête aux étudiants. Ou alors guère longtemps. Je discutais un peu avec eux, tentais de leur expliquer leurs erreurs et de les aider à progresser, mais je sentais que mon blabla ne leur importait que si, à la clé, se trouvait une augmentation de leur note. Et je l’augmentais, en général, parce que je savais que le/la professeur-e ne voulait pas de problèmes et que les étudiants avaient payé une somme folle pour s’offrir ce cours, certains occupant un voire deux emplois en parallèle pour payer leurs études. Dans ces conditions, je me sentais plus proche d’une Cheating Assistant que d’une Teaching Assistant. Qui étais-je pour les mettre en échec, pour les obliger à prendre à nouveau ce cours, à souscrire à un nouveau prêt, à louer un appartement un peu moins cher et un peu plus glauque ?

Car le problème est là, au fond. On le sait déjà, depuis longtemps. Mais on se trouve des excuses, on se voile la face. Les étudiants sont devenus des clients, tout particulièrement en Ontario où les frais de scolarité universitaires sont les plus élevés au Canada. Et il faut satisfaire ces clients, il faut leur donner ce pour quoi ils ont payé. Nos clients ont un droit de regard sur nos services en tant qu’assistants et professeurs, droit qui peut facilement se transformer en ingérence.

En France, les professeurs du système universitaire public n’auront aucun scrupule à vous mettre une note entre 0/20 et 9/20 si votre travail est mauvais. Vous payez votre année scolaire 200 euros, la cafétéria offre des repas complets à moins de trois euros, le gouvernement vous verse des APL (Aide Pour le Logement) si vous n’avez pas beaucoup de ressources, et le CROUS (Centre Régional des Œuvres Universitaires et Scolaires) vous propose des chambres, certes un peu pourries, mais pour un prix défiant toute concurrence. En France, « être boursier » signifie que ni vous ni vos parents ne gagnez beaucoup d’argent et que l’État vous aide en conséquence. Dans les universités publiques, il existe quelques bourses au mérite, mais elles sont rares et peu élevées.

Au Canada, en tout cas à Ottawa d’après ce que j’ai pu constater, les chambres en résidence coûtent relativement cher, « être boursier » signifie que vous avez de bons résultats et quelques bonnes références, quand ces dernières sont nécessaires. Et les bourses amènent les bourses, ce qui est totalement injuste. Vous avez le temps d’étudier parce que vos parents vous aident financièrement et que vous n’avez pas à travailler dans un bar, un restaurant ou un bureau en dehors de vos études, vous avez donc de bons résultats et on vous offre une bourse, alors que vous êtes peut-être l’un des derniers à en avoir besoin. Vous travaillez pour payer vos études, vous avez même pris un deuxième emploi de nuit pour rembourser vos emprunts, vous habitez à Gatineau pour payer un loyer moins élevé, vous parquez votre voiture dans la Côte-de-Sable et faites des allers-retours toutes les trois heures pour la déplacer et ne pas avoir à payer un ticket, vous êtes un peu fatigués pendant les cours mais vous vous accrochez, obtenant quelques B+, beaucoup de B, parfois un A-, mais ce n’est pas suffisant pour obtenir une bourse, alors que vous êtes peut-être l’un des premiers à en avoir besoin.

 

 

 

 

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