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Opinions

Oui j’adore mon désordre, et alors ?

Actualités
28 novembre 2020

Crédit visuel : Valérie Soares – Photographe

Chronique écrite par Aïcha Ducharme – Leblanc – Journaliste

Si notre société idéalise l’ordre, il reste selon moi survalorisé. Je suis bordélique et j’y tiens, malgré toutes les personnes, livres, ou documentaires qui me disent de mener ma vie autrement. Il est grand temps de repenser à comment nous envisageons le désordre.

Au moment où j’écris cette chronique, je contemple mon chez-moi. Au milieu d’innombrables tasses de café, de vieux papiers qui traînent partout, ou encore de livres empilés les uns sur les autres ; le moins que je puisse dire, c’est que je ne suis pas minimaliste. Mais j’ai beaucoup d’affinité pour cet environnement qui est le mien. 

Désordre et mal-être

Avez-vous déjà vu le documentaire Minimalism ? La série Tidying up with Marie Kondo ? Ou encore ces youtubeur.euse.s préconisant un mode de vie sans encombrement ? Je suppose que plusieurs d’entre vous répondront oui à au moins l’une de ces questions. 

Le désordre a une très mauvaise réputation dans un monde axé sur l’ordre. Désigné comme une nuisance et un fléau pour la productivité, il est supposé avoir un impact négatif sur la santé physique et mentale. D’après une étude menée sur le bien-être publiée en 2017, il existerait un lien important entre la procrastination et les problèmes d’encombrement. 

Cet avis est loin d’être impopulaire. Comme le souligne le journaliste montréalais Josh Freed dans son documentaire My Messy Life, les personnes désordonnées sont souvent perçues comme incompétentes, ou peu fiables à cause de leur mode de vie.

Mais le terme est trop souvent confondu avec la thésaurisation, un trouble qui selon le Manuel Merck, « se caractérise par la difficulté persistante à jeter ou à se séparer de biens, indépendamment de leur valeur réelle », dont les effets peuvent mettre la vie de la personne affectée en danger. Or, permettez-moi de préciser que je ne suis pas atteinte de ce trouble. Je suis simplement bordélique. 

Ranger pour se faire accepter

À droite et à gauche, j’ai été bombardée de messages me conseillant de « désencombrer » ma vie, afin de libérer mon esprit pour trouver la paix intérieure. En outre, la décongestion de mon quotidien m’offrirait une vie plus facile et merveilleuse. Mais ce n’est pas nécessairement le cas pour moi. 

Ma chambre, mes espaces personnels ne restent jamais propres pour plus de quelques jours. Même si j’essaie de garder ma chambre immaculée, la vue du vide qui en résulte est dérangeante. Je ne peux tout simplement pas vivre dans un environnement 100 % net. Ma maison, partagée avec six autres personnes, est comme un musée du fouillis.

Et pourtant, lorsque des gens viennent chez moi, la pagaille devient plus apparente et je ne peux pas m’empêcher d’éprouver un sentiment de honte. Comment justifier ce grand désordre, qui mon équilibre ? Il semble imprudent, voir impoli d’accueillir des personnes dans un domicile moins qu’impeccable. Ce désordre représente comme un échec du rôle traditionnel féminin que la société me prescrit. 

Ma vie, mon chaos, et moi

Mon bazar en dit long sur moi. À ma droite par exemple, j’aperçois un jouet déchiqueté qui a dû appartenir à mon chien, Alfie. Les photographies et objets aléatoires qui traînent sont les vestiges nostalgiques de mon enfance, de mon passé. Ces innombrables feuilles de papier sont la preuve de mon travail assidu au fil des années, et mes tasses de café témoignent de ma passion pour cette boisson.

En fait, le désordre, ce n’est pas si mal. Au contraire, une étude réalisée en 2013 à l’Université du Minnesota a conclu qu’un environnement dérangé peut générer la créativité et l’innovation d’un.e individu.e. Plusieur.e.s artistes, penseur.euse.s et écrivain.e.s en défendent même les bénéfices. Et pour Steve Jobs, J.K. Rowling ou encore Albert Einstein, le désordre ne leur a pas empêché des carrières remarquables. Ce dernier a notamment remarqué que « si un bureau encombré était le signe d’un esprit encombré, de quoi donc un bureau vide est-il signe ? »

Je ne plaide pas en faveur de la thésaurisation aveugle, ni de la consommation incessante d’artefacts ou d’un fouillis « invivable ». Mon message est celui de l’acceptation et de la tolérance, pour ceux.celles d’entre-nous qui ne sont pas des neat-freaks. Notre désordre raconte l’histoire de notre vie, de notre identité ; et pour moi, c’est une histoire qui vaut la peine d’être connue. Vive l’entropie !

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