
Parler ou écrire, comment se comprendre entre deux cultures ?
Crédit visuel : Elodie Ah-Wong
Article rédigé par Kady Diarrassouba — Cheffe de pupitre sports et bien-être
Au-delà de la simple grammaire, parler et écrire se distinguent de différentes façons : le ton, l’expression, le rythme… mais aussi le contexte culturel qui pourrait façonner notre manière de communiquer ou d’interpréter les messages. Dans un contexte universitaire interculturel, l’écrit pourrait-il servir de terrain d’entente entre diverses cultures linguistiques ?
Deux mots qui ont la même prononciation mais qui ne s’écrivent pas de la même façon sont des homophones. Saut, sot ou sceau, l’écriture de ces mots apparaît donc comme le point d’accord où ils peuvent être différenciés. Shana Poplack est professeure émérite au département de linguistique et directrice fondatrice du laboratoire de sociolinguistique à l’Université d’Ottawa (U d’O). Pour elle, deux éléments sont à prendre en compte dans cette différenciation: la variabilité de la langue parlée et la catégoricité de l’écrit.
La variabilité linguistique désigne les multiples manières d’exprimer une même réalité. En français, par exemple, la négation peut se formuler avec ou sans la particule ne : « je n’ai pas de sous » et « j’ai pas de sous » traduisent toutes deux l’absence d’argent. Un constat que partage le professeur et docteur en linguistique Karim Achab, pour qui la langue parlée s’affranchit aisément des « conventions purement linguistiques ».
" À l’oral, certains comportements apparaissent comme de véritables stimuli verbaux ou non verbaux, auxquels on peut réagir en riant, en souriant ou en posant une question pour en clarifier le sens. "
- Karim Achab -
À partir de ce proverbe Kabyle : « malmène le chien et regarde la face de son maître ; dans son regard, tu verras ton propre regret », il rappelle que comprendre une parole revient aussi à savoir lire les regards et les signes subtils qui ne s’entendent pas.
En ce qui concerne l’écrit, Poplack explique que la catégoricité de ce registre repose sur l’idée qu’il n’existerait qu’une seule bonne façon d’écrire chaque chose. Selon elle, cette rigidité fait de la langue écrite un système qui rejette des formes courantes jugées « incorrectes », alors qu’elles sont en réalité utilisées par tous.tes, et qualifiées par les linguistes de grammaire communautaire.
Il y a également le fait que « la langue écrite est essentiellement descriptive », comme le rappelle Achab. L’absence de contexte fait par exemple qu’un « merci » écrit peut sembler froid comparé à un « merci » accompagné d’un sourire à l’oral. Cette disparition des indices rend la tâche du lectorat plus complexe : des comportements naturels à l’oral peuvent soudain sembler brusques ou maladroits à l’écrit, estime-t-il.
Poplack partage cette idée et souligne qu’à l’écrit, « on réfléchit, on barre, on change, on réécrit, et souvent on consulte des œuvres prescriptives pour éclaircir nos doutes », alors que « dans le parler spontané, les locuteur.ice.s obéissent aux normes en vigueur dans leur grammaire communautaire. »
La culture, filtre de nos échanges
L’écrit, un espace commun entre cultures ?
Aussi séduisante soit-elle, l’idée que l’écrit puisse créer un terrain d’entente entre des cultures linguistiques différentes reste largement théorique. Pour Achab, l’écrit ne suffit pas : il doit être accompagné de « diplomatie, d’intelligence émotionnelle et de connaissance de la culture de l’autre » pour dépasser les limites du texte et éviter les malentendus.
Cette nécessité de contextualisation rejoint les analyses de la sociolinguiste Poplack. Elle explique que l’écrit « ne peut servir de terrain neutre que pour ceux.celles qui ont pu bénéficier de l’instruction formelle. » Or, « la vaste majorité de la population du monde a peu ou pas accès à la scolarité formelle », ce qui limite fortement la portée universelle des normes écrites.
Aux étudiant.e.s internationaux.les qui peinent à naviguer entre les différences culturelles linguistiques, Achab conseille de considérer la compétence culturelle.
" Dans le contexte canadien, la politesse dans des situations de communications est primordiale, l’humour est régulé dans le sens où l’on ne peut pas rire de tout. Adapter son langage est nécessaire pour éviter toute expression jugée offensante ou discriminatoire. "
- Karim Achab -
