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Pour la décriminalisation du travail du sexe : Entrevue avec Mélina May

Camille Cottais
12 février 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Entrevue réalisée par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

La Rotonde s’est entretenue avec Mélina May, travailleuse du sexe (TDS) et membre du Comité autonome du travail du sexe (CATS). Elle évoque les revendications de cet organisme basé à Montréal, s’articulant principalement autour d’un changement de la loi canadienne sur le travail du sexe.

La Rotonde (LR) : Pouvez-vous vous présenter et m’en dire un peu plus sur CATS ?

Mélina May (MM) : Je suis escorte indépendante depuis deux ans, ce qui signifie que je décide de mes horaires de travail, de mes prix, de mes limites et de mes clients. J’ai un site web, et les gens me contactent à travers des annonces.

Je m’implique au CATS depuis sa création en novembre 2019. CATS est un projet d’organisation en autonomie par et pour les TDS. C’est avant tout un projet politique, luttant pour l’amélioration de nos conditions de travail. On distingue vraiment l’exploitation sexuelle/trafic humain et le travail du sexe, deux choses très différentes.

LR : Quelle est la place des hommes et des personnes transgenres dans le travail du sexe ?

MM : Il y a beaucoup de personnes transgenres dans le travail du sexe, car elles sont beaucoup discriminées, marginalisées et violentées dans le milieu traditionnel de l’emploi. Le travail du sexe peut également leur permettre de sortir de la pauvreté.

Il y a en effet une majorité de personnes s’identifiant comme femmes, transgenres comme cisgenres, car c’est un travail qui est historiquement féminin, tout comme les autres métiers du care (travailleuses ménagères, enseignantes, infirmières, etc.). Le travail du sexe s’inscrit dans le travail de reproduction et donc dans les luttes pour sa reconnaissance et sa valorisation.

LR : Vous considérez-vous comme féministe, et si oui, vous inscrivez-vous dans un courant particulier ?

MM : Oui, je me considère comme féministe. Je m’inscris dans le féminisme marxiste, et toutes les luttes liées à l’amélioration des conditions de travail sont des luttes auxquelles je réfléchis et participe.

Le marxisme a surtout analysé le travail comme quelque chose de productif : le travail des hommes, le travail qui produit des marchandises. Les féministes marxistes ont souligné qu’il existe également le travail de reproduction, nécessaire à la reproduction de la société, dans lequel selon moi s’inscrit le travail du sexe.

Le discours du féminisme pro-sexe m’agace parfois. On évite de propager ce discours de la « happy hooker », de dire que le travail du sexe mène nécessairement à l’empowerment. Notre travail n’est pas fun, il est difficile, comme la plupart du travail dans le système capitaliste.

Il faut sortir du cadre exploitation versus libération, pour entrer dans un cadre de droits, de reconnaissance. Je veux que mes droits fondamentaux soient protégés, je veux que mes collègues arrêtent de mourir, je n’ai pas envie de dire qu’il s’agit d’un travail incroyable. C’est simplement un travail pour lequel j’ai des habiletés.

LR : Actuellement, la loi fédérale canadienne n’interdit pas le travail du sexe mais les activités autour, comme le racolage et le proxénétisme, et pénalise les clients. Que pensez-vous de cette loi et quelles conséquences a-t-elle sur les TDS ?

MM : La demande principale du CATS est la décriminalisation du travail du sexe. Au Canada est criminalisé tout ce qui est lié à la demande : les clients, les tierces parties et toutes les personnes profitant du travail du sexe. Nous demandons la décriminalisation complète du travail du sexe, et non la légalisation ou la décriminalisation partielle. Nous demandons également un statut pour tou.te.s, y compris nos collègues issu.e.s de l’immigration, qui peuvent, sous la loi actuelle, être arrêté.e.s, emprisonné.e.s et même déporté.e.s.

C’est à partir de 2015 que le travail du sexe a commencé à être criminalisé au Canada, avec la loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation (loi C-36). Dans les faits, cette loi criminalise les TDS, par exemple en nous empêchant de nous organiser ou d’avoir des espaces en commun.

Nous voulons que le travail du sexe soit reconnu comme tout autre travail. On demande les mêmes protections dont bénéficient tou.te.s les autres travailleur.se.s : assurances, congés de parenté, protections contre l’abus au travail, possibilité de se syndiquer, etc. Dans le monde, seule la Nouvelle-Zélande a ce modèle de législation.

Oui, il y a de la violence dans le travail du sexe, mais il est hypocrite de dire que la façon de la combattre serait la criminalité ou la police. C’est la même chose avec les drogues. Ce n’est pas en criminalisant davantage les corps et les individu.e.s qu’on va enrayer la violence, au contraire.

LR : Quel a été l’impact de la COVID-19 sur le travail du sexe ?

MM : Nous avons été extrêmement touché.e.s et vulnérabilisé.e.s, car nous avons perdu du jour au lendemain notre moyen de survie. Puisque nous ne sommes pas reconnu.e.s comme des travailleur.se.s et pouvons donc difficilement déclarer nos revenus, nous n’avons pas pu bénéficier de l’aide financière du gouvernement.

Beaucoup de TDS ont également eu des amendes pendant la pandémie, particulièrement lorsque le couvre-feu était en place. Des policier.ère.s se sont même fait passer pour des client.e.s pour entrer dans des salons de massage. Les TDS itinérant.e.s ont été particulièrement affecté.e.s par le couvre-feu.

Nous aurions également aimé bénéficier de la vaccination prioritaire, car nous sommes nous aussi des travailleur.se.s « front line », très exposé.e.s à la transmission.

LR : Comment peut-on être un.e allié.e des travailleur.se.s du sexe ?

MM : Il faut s’informer, écouter des podcasts et lire des livres faits par des TDS. Sur notre compte Instagram, on fait beaucoup de publications et on publie des zines. Il faut parler autour de soi, mettre de l’avant les demandes des TDS, par exemple ne pas dire qu’on veut la légalisation mais la décriminalisation.

Rappelons-nous que nous subissons des violences avant tout à cause des lois. La meilleure façon de nous protéger, c’est de les changer, c’est d’annuler la loi de 2015 et d’enfin reconnaître notre travail comme un vrai travail.

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